Face à la crise financière, la solution proposée par les États-Unis à leurs « alliés » européens pour maintenir l’efficacité militaire de l’Otan est de mutualiser les dépenses via à un système dit de « défense intelligente ». Mais partager les moyens suppose des objectifs communs. A l’heure où Russes et Iraniens seront bientôt susceptibles de fournir aux Européens de l’Ouest l’énergie bon marché dont ils manquent cruellement pour leur développement, il n’est pas sûr que les alliances d’hier soient celles de demain, dans un monde où selon la formule de Charles De Gaulle, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.
Les 21-22 mai se tient à Chicago le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Otan. Parmi les diverse questions à l’ordre du jour, de l’Afghanistan au « bouclier antimissile », il y en a une centrale : la capacité de l’Alliance à maintenir, dans une phase de crise économique profonde, une « dépense pour la défense » qui continue de lui assurer une nette supériorité militaire.
Avec un optimisme inconscient, le socialiste du Pasok Yannis Ragoussis, qui fait fonction de ministre grec de la Défense, a écrit dans la Nato Review, à la veille du sommet, que la participation à l’Alliance a donné à la Grèce « la stabilité nécessaire et la sécurité pour le développement dans le secteur politique, financier et civil ». On en voit les résultats. Le secrétaire général de l’Alliance, Anders Rasmussen, par contre, ne cache pas sa préoccupation quant à l’impact de la crise. En préparation du sommet, il a prévenu que si les membres européens de l’Otan font trop de coupes dans les dépenses militaires, « nous ne serons pas en mesure de défendre la sécurité dont dépendent nos sociétés démocratiques et nos économies prospères ».
Combien dépense l’Otan ? Selon les données officielles mises à jour pour 2011, les « dépenses pour la défense » des 28 États membres se montent à 1 038 milliards de dollars annuels. Un chiffre équivalant à environ 60 % de la dépense militaire mondiale. En ajoutant d’autres postes de caractère militaire, il grimpe à environ deux tiers de la dépense militaire mondiale. Le tout payé en deniers publics, soustraits aux dépenses sociales.
Il y a cependant un déséquilibre croissant à l’intérieur de l’Otan, entre la dépense étasunienne, qui a augmenté en dix ans de 50 à plus de 70 % de la dépense totale, et celle de l’Europe qui a proportionnellement chuté. Rasmussen fait donc pression pour que les alliés européens s’engagent davantage : si l’écart de capacités militaires entre les deux rives de l’Atlantique continue à se creuser, « nous risquons d’avoir, à plus de vingt ans de la chute du Mur de Berlin, une Europe faible et divisée ».
Il passe sous silence par contre le fait que sur les pays européens pèsent d’autres dépenses, dérivant de leur participation à l’Otan. Comme le « Budget civil de l’Otan » pour l’entretien du quartier général à Bruxelles et des employés civils : environ un demi milliard de dollars annuels, dont 80 % sont payés par les alliés européens. Comme le « Budget militaire de l’Otan » pour l’entretien des quartiers généraux subordonnés et du personnel militaire international : presque 2 milliards annuels, payés à 75 % par les Européens. Comme le « Programme d’investissement pour la sécurité de l’Otan », destiné à l’entretien de bases militaires et autres infrastructures pour la « mobilité et flexibilité des forces de déploiement rapide de l’Otan » : environ un milliard et demi de dollars annuels, dont 78 % payés par les Européens. Ainsi que le spécifie un rapport sur les fonds communs de l’Otan, présenté au Congrès étasunien en février dernier, depuis 1993 ont été éliminées les contributions pour les bases militaires des alliés européens, tandis qu’ont été gardées celles pour les bases militaires étasuniennes en Europe. Ceci signifie, par exemple, que l’Otan n’a pas déboursé un centime pour l’utilisation des sept bases italiennes mises à sa disposition pour la guerre contre la Libye, tandis que l’Italie contribue aux dépenses pour le maintien des bases US en Italie
Des dépenses ultérieures, qui s’ajoutent aux budgets de la défense des alliés européens, sont celles relatives à l’élargissement de l’Otan à l’Est, estimées entre 10 et plus de 100 milliards de dollars. On y trouve celles pour l’extension à l’Europe du « bouclier antimissile » étasunien, que Rasmussen quantifie à 260 millions de dollars, sachant bien que la dépense réelle sera beaucoup plus élevée, et qu’il faut y ajouter celle de la potentialisation du système ALTBMD [1], dont le coût est prévu à environ un milliard de dollars. On y trouve les dépenses pour le système AGS [2] qui, intégré par les drones Global Hawk made in USA, permettra à l’Otan de « surveiller » depuis Sigonella (Sicile) les territoires à attaquer : l’Italie a endossé 12 % du coût du programme, estimé à au moins 3,5 milliards de dollars, en payant en outre 300 millions pour les infrastructures. On y trouve les dépenses pour les « missions internationales », parmi lesquelles au moins 4 milliards de dollars annuels pour entraîner et armer les « forces de sécurité » afghanes.
Comment les gouvernements européens, sous pression de la crise, peuvent-ils faire face à ces dépenses et à d’autres ? Le secrétaire général de l’Otan a la formule magique : comme les alliés européens « ne peuvent pas se permettre de sortir du business de la sécurité », ils doivent « revitaliser leur rôle » en adoptant, suivant l’exemple des États-Unis, la « défense intelligente ». Celle-ci « fournira plus de sécurité, pour moins d’argent, en travaillant ensemble ». La formule, inventée à Washington, prévoit une série de programmes communs pour les manœuvres, la logistique, l’achat d’armements (en commençant par le chasseur étasunien F-35). Programmes structurés de façon à renforcer le leadership étasunien sur les alliés européens. Une sorte de « groupements d’achat solidaire » pour faire semblant d’épargner sur la dépense de guerre.
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