Ce n’est plus un secret : de très importants gisements de gaz et de pétrole sont situés en Méditerranée au large de Chypre, du Liban, de Gaza… et d’Israël. Compte tenu des appétits et des méthodes du régime de Tel-Aviv, le partage des richesses semble impossible. Pour le géopoliticien mexicain Alfredo Jalife-Rahme, la question est de savoir si Israël se contentera de voler les réserves de ses voisins en les siphonnant grâce à des technologies sophistiquées, ou s’il s’emparera de leurs gisements par la force.
Plusieurs analystes expérimentés ont compris que derrière la guerre d’Israël contre Gaza —gouverné par le groupe islamique sunnite Hamas— se trouve un enjeu caché : les pléthoriques gisements de gaz des côtes palestiniennes en Méditerranée.
Bien que doté d’un maximum de 400 bombes nucléaires et de la meilleure aviation de tout le Proche-Orient —à présent on ne peut plus affirmer qu’il possède la meilleure armée de la région après ses récents revers aussi bien au Sud du Liban contre la guérilla islamique chiite qu’à Gaza face au Hamas— Israël affiche deux points faibles incontestables :
– 1. l’eau, raison pour laquelle il ne se résout pas à restituer à la Syrie les territoires occupés du plateau du Golan, bordant le lac de Tibériade (Galilée) et
– 2. le pétrole, il importe plus de 300 000 barils par jour (pour la plupart, en provenance d’Égypte), tandis que sa production de gaz destinée à la consommation nationale est extrêmement réduite.
Je viens de rentrer d’un voyage d’un mois en Grèce, au Liban et en Turquie, où j’ai mesuré l’importance stratégique du gaz, aussi bien pour Gaza que pour le Liban, enfoui sous les eaux communes à Israël et à l’île de Chypre (elle même divisée en partie grecque et turque).
Naharnet (28 juin 2010), un site libanais pro-occidental, dit très justement que les réserves de gaz reparties entre les eaux du Liban et d’Israël peuvent représenter une énorme manne financière, mais qu’elles peuvent également susciter une nouvelle guerre d’Israël contre son faible voisin du nord.
La situation est dramatique car les deux Etats, aussi bien le Liban qu’Israël, sont énormément tributaires des importations d’hydrocarbures.
Quant au Liban, son cas est le plus grave car il est éprouvé par le piteux état de son système de production électrique, qui n’a pu être ni réparé, ni modernisé après 15 ans de guerre civile.
Que cela plaise ou non, face à la cupidité israélienne, ce n’est rien de moins que la guérilla chiite du Hezbollah qui s’est chargée de la défense du gaz libanais. Jusqu’à présent, mis à part le Hezbollah [1], personne d’autre dans la vaste mosaïque libanaise n’a manifesté ouvertement sa position sur ce sujet, qui est loin d’être un sujet de moindre importance et qui peut dégager de grands bénéfices politiques et financiers ou, à défaut, dégénérer en une guerre d’Israël contre le Liban (et non le contraire).
Non sans se référer à des précédents et à des justifications historiques, le Hezbollah accuse Israël de programmer le “vol” du gaz naturel des eaux territoriales libanaises. Les chiites du Sud du pays en ont acquis une grande expérience lors du pillage par Israël des eaux du fleuve Litani.
De son côté, Israël rétorque que les champs pétrolifères et gaziers qu’il exploite ne s’étendent pas jusqu’aux eaux libanaises.
Le problème réside en ce que les limites territoriales —et par extension, les limites maritimes— n’ont toujours pas été fixées, du fait que les deux pays sont techniquement encore en guerre.
Israël a déjà commencé —grâce à un développement technologique plus avancé et à la complicité des compagnies pétrolières et gazières anglo-saxonnes— à développer les deux champs de Tamar et Dalit, dont les abondantes réserves ont fait s’envoler la Bourse de Tel-Aviv, exactement le même jour où le duo Netanyahu-Lieberman était frappé de répudiation mondiale à cause de sa piraterie meurtrière en eaux internationales contre un navire turc d’aide humanitaire destiné à Gaza (la plus grande prison à ciel ouvert du monde).
Les réserves découvertes dans les champs de Tamar et de Dalit sont colossales : 160 milliards de mètres cubes avec lesquels on peut satisfaire les besoins des Israéliens pendant deux décennies.
La compagnie pétrolière et gazière texane Noble Energy, qui fait partie du consortium chargé des explorations des gisements gaziers de la partie soi-disant israélienne de la Méditerranée, a estimé que grâce à la découverte d’un troisième champ —dont le nom, d’intéressante portée sémantique, est Léviathan (de 450 milliards de mètres cubes, presque trois fois ce qui contiennent les gisements de Tamar et Dalit)— Israël pourrait devenir un riche exportateur vers l’Europe et l’Asie.
Pour le moment, Nabih Berri, président du Parlement libanais, et de surcroît, allié du Hezbollah, a condamné le fait qu’Israël soit en train de se transformer en “émirat pétrolier” grâce à du gaz qui ne lui appartient pas, en déniant le fait que ces champs s’étendent jusqu’aux eaux territoriales du Liban. Le Liban reproduira-t-il face à Israël les expériences tragiques que le Mexique vit aujourd’hui face aux États-Unis pour ce qui est des gisements “transfrontaliers” dont il est dépouillé par les compagnies pétrolières et gazières texanes grâce à la technologie cleptomane du siphonnage ?
Les fonctionnaires de l’Infrastructure nationale d’Israël affirment —tel que l’affirme également, comme on aurait pu s’y attendre, la compagnie texane Noble Energy ainsi que la compagnie norvégienne Petroleum Geo-Services— que les trois champs découverts se trouvent en “zone économique” israélienne. Quelle précision de la géographie divine !
Al Manar (4 juin 2010), le média du Hezbollah fustige “Israël [qui] est sur le point de légaliser le vol du gaz libanais” par un amendement législatif. Il cite la télévision israélienne rapportant que le gouvernement du duo Netanyahu-Lieberman “considère la découverte des champs de gaz naturel dans la Méditerranée comme une découverte israélienne sur laquelle personne (super sic !) n’a de droit”.
Nom d’un diable ! Qu’en est-il alors du droit international transfrontalier lorsque la technique du siphonnage de ce qui appartient à autrui est utilisée par les transnationales anglo-saxonnes dotées d’une meilleure technologie que celle des pays affectés, pour ne pas dire spoliés ?
Pire encore, selon la chaîne de télévision déjà citée, “le comité exécutif du gouvernement et la Knesset (Parlement) préparent une loi qui écarterait le droit des Libanais”. Au besoin, l’armée israélienne sera là pour appliquer de manière unilatérale la nouvelle loi de spoliation.
En dehors du légendaire saccage israélien des territoires occupés, sous tous ses aspects, avec ou sans “cartes géographiques” ou lois pour le justifier, la classe politique libanaise, à cause de ses querelles internes stériles sur l’identité de l’heureux exploitant et producteur de pétrole et de gaz, a laissé filer une précieuse décennie : un vide temporel et territorial qui a été exploité par Israël.
Au mois d’octobre dernier, la compagnie norvégienne Petroleum Geo-Services avait communiqué sur la forte probabilité qu’il existe de grands gisements aussi bien au Liban qu’à Chypre. À propos de ce dernier cas, il semblerait que les gisements seraient repartis entre les deux pays voisins. Que d’artifices souverains nous présente la géographie !
Pour le Liban, n’importe quel type de découverte pétrolière et gazière constituerait une bénédiction qui permettrait de réduire la formidable dette atteignant 52 milliards de dollars, l’une des plus importantes du monde proportionnellement (147 %) à son produit intérieur brut (PIB) de 33 milliards de dollars.
Cependant, il ne faut pas surestimer la dette libanaise, sans doute énorme, car elle est amortie par des dépôts bancaires colossaux allant jusqu’à 110 milliards, ce qui facilite sa gestion.
Quoi qu’il en soit, les nouvelles découvertes de pétrole et de gaz au Liban —souveraines ou partagées avec Israël ou avec Chypre— atteigneraient le chiffre mirifique d’un milliard de milliard de dollars.
Osama Habib, du quotidien libanais en anglais The Daily Star (28 juin 2010), a affirmé que “la richesse du pétrole et du gaz du Liban représente une bénédiction mitigée qui génère en même temps de l’enthousiasme et de l’angoisse” (de par ses conséquences géopolitiques). Elle a révélé au grand jour la lutte primaire des politiciens libanais pour l’obtention de la meilleure part du gâteau dans la gestion des hydrocarbures.
Selon les experts, la production ne sera effective qu’après 15 ans d’exploration des eaux libanaises, mais le risque majeur vient de l’appétit insatiable d’Israël, qui serait capable, une énième fois, d’entreprendre une nouvelle guerre afin de s’approprier du gaz de Gaza et des hydrocarbures du Liban et de Chypre.
[1] Au début des années 2000. cette question avait opposé le président libanais Emile Lahoud d’une part, à son Premier ministre Rafic Hariri et au président français Jacques Chirac, d’autre part, lorsque des navires de la Marine française avaient illégalement entrepris de sonder les fonds marins libanais. Malgré la campagne médiatique internationale pour le dénigrer, le président Lahoud avait refusé de céder les intérêts libanais aux Français. Il s’en était suivi un blocage politique et le gel de l’exploration. Ndlr
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