De facto, la reconnaissance du CNT par des gouvernements occidentaux et leur intervention militaire en Libye a divisé le pays en deux États distincts. Alors même que la guerre civile fait rage, le CNT qui contrôle la Cyrénaïque exporte son pétrole vers les pays qui le reconnaissent comme autorité légitime. C’est du moins la version occidentale. On pourrait tout aussi bien dire que les puissances coloniales ont mis en place un gouvernement fantoche pour créer une apparence de légalité au vol des ressources pétrolières libyennes.
Le ministre italien des affaires étrangères Franco Frattini, avec le gouvernement émirati, a coprésidé orgueilleusement le 9 juin, à Abu Dhabi, la troisième réunion du Groupe de contact sur la Libye. L’Italie donc, comme dit le président de la république Giorgio Napolitano, joue « son rôle pour qu’avance dans le monde la cause de la paix, des droits humains et de la démocratie ». Les Émirats arabes unis —monarchies absolues dans lesquelles la représentation démocratique n’existe pas— ont envoyé récemment des troupes au Bahrein pour écraser dans le sang la demande populaire de démocratie, et ils sont en train de préparer, avec la compagnie militaire privée Xe Services (ex-Blackwater), une armée secrète de mercenaires à employer aussi dans d’autres pays du Proche-Orient et d’Afrique du Nord [1]. C’est sur cette solide base démocratique qu’on prépare la « phase post conflit » en Libye.
Tandis que l’OTAN démolit systématiquement les bases matérielles de l’État libyen, en larguant des milliers de bombes sur Tripoli et d’autres localités, le Groupe de contact soutient avec des millions de dollars et euros le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi. Celui-ci, représentant une partie minoritaire de la population, n’arrive pas à gagner du terrain même si l’OTAN entraîne et arme ses troupes et lui ouvre la voie avec des bombardements. À Abu Dhabi, il a été décidé d’adopter le « modèle italien » dans la fourniture des « aides » au CNT. L’Italie, qui a joué les « ouvreurs », fournira au CNT des fonds d’une valeur de 300-400 millions d’euros en cash et en crédit disponible, et 150 autres millions en carburant (voir appendice pour la version française, NdT). Les fonds seront « garantis par les biens congelés en Italie et par le pétrole extrait et raffiné dans l’avenir par le nouveau gouvernement libyen ». De cette manière les principaux pays du Groupe de contact (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, monarchies du Golfe) posent une lourde hypothèque sur l’avenir de la Libye. Si un gouvernement obséquieux était installé, ces États auraient en main l’économie du pays, en gérant les fonds souverains libyens gelés et en contrôlant la production et l’exportation du pétrole.
Pendant ce temps, comme garantie pour l’avenir, Washington a placé la gestion des finances et du pétrole du CNT dans les mains de son homme de confiance, Ali A. Tarhouni, enseignant à l’université de Washington. Les résultats ne se sont pas faits attendre : le premier contrat pour l’exportation de pétrole libyen, de 1,2 millions de barils, le CNT l’a conclu avec une compagnie étasunienne : Tesoro. Et, alors que Tarhouni annonce que le CNT produira rapidement 100 000 barils de pétrole par jour, le département d’État annonce « le soutien américain (étasunien, NdT) pour des ventes ultérieures de pétrole par le CNT ». Le gouvernement italien, qui a servi d’ouvreur, ne veut cependant pas être de reste. Il appuie donc aussi le CNT avec « une assistance humanitaire et de coopération au développement » pour un montant de plusieurs millions d’euros. Un de ses projets les plus significatifs, géré par l’Istituto agronomico delle l’oltremare (Institut agronomique de l’outremer) prévoit l’ « amélioration du palmier dattier de l’oasis d’Al Jufra ». Fierté de l’Italie : alors qu’elle largue sur la Libye des bombes d’une tonne à l’uranium appauvri, elle rend plus douces les dattes libyennes.
Juppé : 290 M€ pour les rebelles libyens
La France est prête à débloquer une aide de 290 millions d’euros aux rebelles libyens du Conseil national de transition (CNT), a annoncé le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, lors de la réunion du groupe de contact sur la Libye à Abou Dhabi.
Plus tôt dans la journée, Abdel Hafidh Ghoga, vice-président du Conseil national de transition, avait déclaré que le fonds international d’aide aux rebelles libyens était désormais "opérationnel".
Dépêche Reuters et AFP du 09/06/2011 | Mise à jour : 16:25
[1] « Formation aux Émirats d’une armée secrète pour le Proche-Orient et l’Afrique », par Manlio Dinucci, Réseau Voltaire, 18 mai 2011.
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