Le triangle Paris-Berlin-Moscou que MM. Chirac, Schröder et Poutine ont constitué lors de l’offensive anglo-saxonne contre l’Irak a souffert de l’élection en Allemagne du chancelier Merkel qui avait mené sa campagne électorale sous les couleurs de l’atlantisme. Cependant, la nomination de M. Schröder à la tête du consortium du gazoduc nord-européen et le sommet énergétique euro-russe de Lathi, le 20 octobre, ouvrent une coopération nouvelle. Pour Sergei Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, le moment est venu de resserer les liens distendus entre Berlin et Moscou, d’autant qu’en janvier 2007 l’Allemagne prend la présidence tournante de l’Union européenne et du G8.
Durant les quinze années écoulées depuis la fin de la « Guerre froide », le monde a changé irréversiblement. La Russie nouvelle qui se renforce de plus en plus et pratique une politique ouverte et prévisible, reposant sur ses intérêts nationaux compréhensibles, est devenue un important facteur positif de changements.
L’affaiblissement de la discipline de bloc et la tendance de plus en plus manifeste à la démocratisation des relations internationales, ainsi que la compréhension de plus en plus nette des intérêts communs de tous les États face aux nouveaux défis et menaces ne manquent pas de se répercuter positivement sur l’ensemble de la politique mondiale. Somme toute, la masse critique de ces changements s’accumule progressivement bien qu’il n’y ait toujours pas de vraie percée dans la mise en place de mécanismes pleinement conformes aux impératifs du temps, susceptibles de garantir la sécurité et la stabilité dans le monde.
La mondialisation en cours est en train d’élever l’humanité à un tout autre niveau de civilisation, tout en se traduisant par des problèmes très sérieux pour bien des pays. D’où, entre autres, des contradictions internes. On n’arrive toujours pas à les surmonter y compris parce que la période de transition « post Guerre froide » s’éternise. Les tentatives de se cramponner à ce qui est ancien, dues sans doute à la crainte de l’inconnu, sont les signes caractéristiques de cette période de transition. J’entends par là des récidives de la politique des blocs, l’attachement instinctif aux solutions simplistes et musclées des problèmes qui se posent, la volonté d’emprunter des approches idéologisées dans les affaires internationales pour soustraire les pays industrialisés au milieu concurrentiel global et ce, dans des conditions où tout devient un objet de concurrence, y compris les modèles de développement et les repères axiologiques.
Quoi qu’il en soit, les contours d’une nouvelle organisation du monde se dessinent de plus en plus nettement grâce au choix, fait par la majorité écrasante des États en faveur du renforcement des principes collectifs dans la politique internationale, pour la solution des problèmes se posant à l’humanité par le biais de la diplomatie multilatérale, de la suprématie du droit international. Une telle tendance paraît objective et tout à fait logique car elle reflète les réalités de l’architecture multipolaire en gestation des relations internationales et prévoit une réponse collective - la seule efficace - aux défis et menaces.
Compte tenu de tout cela, le renforcement maximum du rôle central de l’Organisation des Nations Unies dans toutes les sphères de la vie internationale et son adaptation ultérieure aux nouvelles réalités constituent une priorité incontestable pour la communauté internationale. L’élargissement de la coopération du G8 avec d’autres grands États et l’application conjointe des décisions du G8 contribuent à l’élaboration d’aptitudes à agir collectivement dans l’arène internationale. D’autre part, le rôle des organisations régionales ne cesse de croître.
La Russie est prête à coopérer avec tous les États et les structures multilatérales, que ce soit dans l’espace euro-atlantique ou ailleurs, concernant tout l’éventail des problèmes communs. Parallèlement aux menaces du terrorisme international, du crime organisé, du narcotrafic et de la prolifération des armes de destruction massive (ADM), il s’agit aussi d’autres problèmes de taille, tels que la nécessité d’atténuer l’esprit de confrontation dans les affaires mondiales et de réduire le facteur force qui l’alimente, ainsi que de surmonter la stagnation actuelle du processus de désarmement.
La nécessité de maintenir l’harmonie dans les relations entre les civilisations se positionne progressivement au centre de l’ordre du jour de la politique internationale. Cela s’explique pour beaucoup par la mondialisation qui défie souvent l’identité nationale ainsi que la diversité culturelle et civilisatrice du monde. Les contradictions entre civilisations se manifestent surtout dans la réaction à l’écart croissant entre les niveaux de développement de certaines régions du monde, dans la volonté de niveler le monde entier, d’engager des transformations au-delà de ses propres frontières, tout en ignorant les conflits non réglés, en premier lieu au Proche-Orient. On ne doit néanmoins pas oublier que, bien que les valeurs fondamentales de la démocratie soient universelles, elles se réalisent différemment dans chaque pays, en fonction de la culture et des traditions nationales.
Nous sommes fermement convaincus que les terroristes n’ont ni nationalité ni religion. Il est parfaitement inadmissible de tenter d’accréditer le terme de « terrorisme islamique ». L’Europe a une histoire trop riche et trop complexe, ainsi qu’une expérience trop variée pour céder à la tentation de se faire une image réductrice du monde. Il lui faut du tact, de la patience et de la tolérance. Et ce, d’autant plus que les spectres du passé, tels que le nationalisme et la certitude de sa propre irréprochabilité, refont de temps en temps surface sur notre continent.
C’est seulement en conjuguant ses efforts que l’humanité saura faire face aux terroristes de tout poil. Un travail collectif est aussi requis pour le perfectionnement du droit international dans le contexte de la solution de ce problème. La Stratégie antiterroriste globale de l’ONU adoptée récemment par consensus constitue une contribution très importante au renforcement de la base juridique de la coalition antiterroriste. La concertation d’une convention antiterroriste globale attend son tour.
Parmi certains problèmes prioritaires de la communauté internationale, je ne peux pas ne pas mentionner le programme nucléaire iranien. Notre position de principe est que ce problème ne peut être réglé que par des moyens politiques et diplomatiques. Il est très important que les autres participants aux négociations se prononcent, eux aussi, en faveur d’une solution diplomatique. Dans le cadre des Six, il a été nettement réaffirmé que l’immuabilité du régime de non-prolifération est notre objectif commun. Nous sommes aussi d’accord pour estimer que toutes les questions relatives au programme nucléaire de l’Iran doivent être réglées sur une base professionnelle avec la participation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), que l’Iran est en droit de participer sur un pied d’égalité avec les autres États intéressés à la mise en valeur du nucléaire civil, conformément au Traité de non-prolifération et aux règles de l’AIEA. En commun avec nos partenaires, nous faisons tout ce qui dépend de nous pour que des négociations appropriées démarrent au plus vite.
Pour ce qui est de notre coopération avec l’Iran dans la construction de la Centrale nucléaire de Bushehr, elle est parfaitement transparente et strictement conforme au Traité de non-prolifération des armes nucléaires et aux résolutions de l’AIEA.
Somme toute, je tiens à souligner que nous nous comportons ouvertement sans escamoter les divergences qui surgissent, et nous sommes prêts à discuter de n’importe quelle question. Nous nous rendons compte que l’indépendance recouvrée par la politique extérieure russe n’est pas du goût de tout le monde. Néanmoins, il faudra bien s’y habituer. En ce qui nous concerne, nous ne dramatisons pas la situation et sommes prêts à une concurrence loyale et transparente, que ce soit en politique ou en économie. À l’avenir également, nous entendons formuler nous-mêmes nos propres intérêts nationaux et ne coopérer que sur la base de l’égalité, du respect mutuel des intérêts et de l’avantage réciproque, ce qui correspond totalement à l’état d’esprit de l’opinion publique dans notre pays.
En réalité, tout comme la Russie, l’Occident comprend que nous avons aujourd’hui beaucoup plus de choses qui nous unissent que de divergences. Or, il reste encore à trouver une définition moderne de la notion d’« Occident ». La mondialisation tant des possibilités que des défis à la sécurité et au développement durable ne laisse plus de place à l’égoïsme national et à l’exclusivité civilisatrice. L’interdépendance positive des États qui ne cesse de se renforcer dans le contexte de la mondialisation en cours sert de gage au développement ultérieur de notre partenariat.
Cela se rapporte d’ailleurs pleinement aux relations russo-allemandes. La Russie et l’Allemagne sont unanimes dans leur détermination à apporter leur contribution à l’œuvre commune de la formation d’un nouvel ordre mondial plus juste et plus sécurisé. Nous sommes alliés dans la lutte contre le terrorisme international. Les prises de position de nos deux pays sur un large spectre de problèmes internationaux sont identiques.
La Russie, en tant qu’État multinational et multiconfessionnel où vit une importante population musulmane autochtone, d’une part, et l’Allemagne où résident de nombreuses personnes originaires du monde musulman, de l’autre, appuient toutes les initiatives tendant à promouvoir le dialogue et le partenariat entre les civilisations, y compris l’idée de l’Alliance des civilisations approuvée par l’ONU. Nos deux pays se félicitent de leur coopération bilatérale variée et à long terme, tout en se proposant de contribuer le plus énergiquement à son essor ultérieur.
Nous espérons pouvoir coopérer intensément avec la future présidence allemande à l’Union européenne (UE) au cours du premier semestre de l’année prochaine. Des consultations appropriées sont déjà prévues. Nous apprécions les projets de l’Allemagne en vue d’une intégration encore plus étroite avec la Russie. Notre travail commun a pour tâche principale de préparer une nouvelle base juridique contractuelle des rapports avec l’UE qui doit se substituer à l’Accord de partenariat et de coopération qui expire le 1er décembre 2007. Notre objectif commun consiste justement à renforcer le partenariat, à faciliter les contacts entre les hommes et à créer des conditions favorisant l’interpénétration du business et l’activité économique conjointe, ainsi que la réalisation de projets communs dans les domaines du transport et dans d’autres secteurs d’infrastructure. La mise en œuvre complète des « feuilles de route » en matière de formation des quatre espaces communs est appelée à le garantir. Nous surveillerons, à l’avenir également, l’application de la Déclaration conjointe sur l’élargissement de l’UE et les relations entre la Russie et l’UE, adoptée à Luxembourg le 27 avril 2004, et en premier lieu en ce qui concerne la garantie des droits de l’homme et des minorités nationales en Lettonie et en Estonie, ainsi qu’en matière de règlement de toute une série de problèmes techniques du transit de marchandises dans la région de Kaliningrad.
Nous espérons également une coopération tout aussi fructueuse lors du transfert à l’Allemagne de la présidence tournante au G8. Notre tâche commune consiste à assurer la continuité de son fonctionnement, à promouvoir ultérieurement les initiatives avancées au Sommet de Saint-Pétersbourg, y compris dans des sphères prioritaires comme la sécurité énergétique, à développer l’éducation et la lutte contre les maladies infectieuses. Cela répondrait aux intérêts de nos deux pays, car les thèmes principaux de notre présidence ne perdent rien de leur actualité pas seulement pour le G8, mais aussi pour les relations russo-allemandes et l’ensemble du monde.
Traduit de l’original russe par Ria-Novosti pour le Réseau Voltaire. Une version allemande de cet article est publiée par le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
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