Nous vivons une période de mutation historique sans précédent. La planète est devenue un village global dans lequel la démocratie est manipulée par ceux qui contrôlent l’information. Le mensonge et la guerre nous emportent là où nous ne voulons pas aller. Le journaliste italien et homme politique européen, Giulietto Chiesa analyse ce mécanisme et nous invite à ne plus en être dupes.
Communication et démocratie
Rares sont les gens capables de tracer un tableau d’ensemble de la situation actuelle de l’humanité. Mais cela ne signifie pas que personne
ne voit cette situation. Ceux qui disposent de l’information ont beaucoup plus de chances de voir : le présent, mais aussi une partie souvent non négligeable de l’avenir.
Toutefois il est vrai que la majorité de la population, y compris beaucoup de ceux qui prennent des décisions et qui ont du
pouvoir, n’a pas ces informations. Pourquoi ? Parce que nous vivons dans un système de communication, et non seulement
d’information, qui ne rend absolument pas compte du monde dans lequel nous vivons, qui nous en offre même une image
complètement faussée et nous empêche de voir ce qui se passe.
Prenons un exemple. En Italie, nous avons connu tous les détails du crime de Cogne [1], de cette mère soupçonnée d’avoir tué son enfant de trois ans. Cela a été la matière principale de la
presse écrite, des journaux télévisés, et des débats télévisés. Bref, cela a été l’événement le plus commenté, analysé
et discuté par les médias dans les premiers mois de l’année 2002. Et donc par le public.
Quel est l’enjeu de ce fait divers ? A-t-il une influence sur la « conscience » collective ? Il a sans nul doute une forte influence, à de
nombreux égards. Mais il y a un enjeu qui saute immédiatement aux yeux : en occupant les premières pages des médias pendant un mois
entier, la mère de Cogne – en cela innocente – a éclipsé le reste de la planète. Le monde entier a disparu sous ce linceul, y compris les
bombardiers stratégiques états-uniens qui dévataient alors les vallées d’Afghanistan.
Des cas de ce genre, parfois plus éclatants encore, sont légion. Prenons-en un autre, pour illustrer le fait que le système tout entier de la
communication et de l’information est construit et fonctionne pour se moquer de nous tous, et nous conduire où « on » veut. À la mi-novembre, quand les Tadjiks sont arrivés à Kaboul et qu’ils l’ont « conquise », la presse écrite et les journaux télévisés italiens les plus importants (mais aussi les moins importants), la Repubblica, la Stampa, le Corriere della Sera, TG 1,TG 2,TG 3,TG 4,TG 5,TG 6 et TG 7 [TG, abréviation des journaux télévisés en italien, Ndt.], nous ont raconté que les femmes afghanes avaient « enfin » ôté leur burka et que les hommes s’étaient « enfin » rasé la barbe. Or, on le sait, ces nouvelles étaient fausses ; mais avec ça, on n’a pas encore tout dit. Il ne suffit pas non plus de dire que ceux qui les écrivaient, qui les prononçaient et qui les publiaient auraient dû savoir qu’il s’agissait de fausses nouvelles. Moi aussi, je suis journaliste et il m’est déjà arrivé de donner une information erronée, d’arriver trop tard sur un événement, de fournir une fausse interprétation, mais ça arrive une fois et ça arrive à une seule personne.
Est-il possible que l’ensemble des journaux et des moyens de communication de masse nous aient donné par hasard, par mégarde, par
incompréhension, pendant des semaines entières, deux nouvelles totalement fausses ? Cela ne peut pas avoir été une erreur. Les
directeurs de tous les journaux écris et télévisés ont mobilisé leurs meilleurs éditorialistes pour qu’ils nous racontent ces deux bobards pendant des semaines entières. Ce n’est pas un hasard. C’est seulement la démonstration la plus éclatante du fait que le système de communication dans son ensemble fonctionne non pas sur la base de la vérité et de la véracité de l’information mais dans le but
de répandre des nouvelles fournissant une certaine interprétation de la réalité, ou de dissimuler des parties de la réalité au profit
d’autres, qui servent mieux les rouages de la domination et sont plus commodes à raconter.
On pourrait opposer qu’il en est toujours allé ainsi. Eh bien moi, j’affirme que c’est faux. Ce qui se passe aujourd’hui
dans ce domaine est très, très différent de ce qui avait lieu dans le passé. Nous vivons actuellement une nouvelle époque historique, nous nous trouvons devant un tournant de l’histoire. Cela n’arrive pas souvent. Il arrive souvent que, pendant de longues périodes, il n’y ait pas de grands changements structurels. Nous, par contre, nous sommes au beau milieu
d’un immense changement structurel. En premier lieu, il est fondamental de comprendre cela. Et de comprendre, en deuxième lieu, que la communication et l’information sont les instruments décisifs de cette mutation structurelle historique, qu’elles en sont le pivot, le socle.
En l’absence de cette base, ce changement non plus n’aurait pas été, et ne serait pas, d’une telle importance historique. Il est essentiel de
comprendre tout cela parce que ou bien nous sommes capables de le faire — et nous pourrons alors nous défendre — ou bien nous n’en
sommes pas capables — et nous serons vaincus —. Par ailleurs, étant donné que ces processus se développent très rapidement, il faut, pour ainsi
dire, comprendre vite. Les questions de la communication, et de la démocratie dans la communication, sont devenues essentielles pour n’importe quelle lutte visant à défendre la démocratie. Ou nous serons capables de les aborder, ou nous perdrons la démocratie. Parce que moins d’information signifie moins de démocratie.
Une communication indécente (c’est-à-dire dépourvue de valeur intellectuelle, de décence, de culture) et manipulée (c’est-à-dire trompeuse, sous les multiples formes par lesquelles on peut induire en erreur ceux qui la subissent) prive la population de moyens intellectuels de
défense. Un pays ne peut être considéré comme démocratique si une grande partie de sa population est soumise à une communication
manipulée et à une information fondamentalement fausse. Le panorama que nous avons sous les yeux indique qu’on est en train de nous voler la démocratie, même si l’on ne nous empêche pas d’aller voter. Mieux : nous
continuerons d’aller voter, sans nous rendre compte (ou en oubliant) que l’exercice de la démocratie est tout autre chose que l’exercice
du vote. Celui-ci n’est qu’un élément nécessaire mais non suffisant pour que l’on puisse qualifier une société de « démocratique ». Mais il est évident que l’exercice du vote perd tout son sens et devient une procédure de pure forme si les votants ne sont plus en mesure de choisir, de faire la distinction entre les variantes, entre les programmes, entre les options. Et c’est l’information qui permet de connaître ce qu’il
convient de choisir.
Le 11 septembre et la fin de la souveraineté nationale
En ce qui concerne le 11 septembre, je résumerais la situation ainsi : la vérité sur le 11 septembre, nous ne la connaîtrons jamais. Nous ne la connaîtrons pas au cours des cent prochaines années, comme le dit Noam
Chomsky. Mais ce que nous pouvons dès maintenant assurer, sans risque d’erreur, c’est que la version que l’on nous a fournie est fausse. On peut même le démontrer. J’ai rassemblé toutes les informations que je pouvais
rassembler, et cela n’a pas été facile. Non parce qu’elles faisaient défaut : au contraire, il y en avait beaucoup. Mais elles étaient mêlées à un
amas de bêtises et d’incohérences aussi nombreuses que manifestes. Il fallait débrouiller l’écheveau des contradictions avant de pouvoir
établir des circonstances plutôt simples.
C’est ainsi que je suis parvenu à la conclusion que le 11 septembre a des causes et des origines très, très différentes de celles que
nous connaissons, de celles que vous connaissez, et que l’Ennemi, le Satan dont nous devons nous protéger n’est pas Oussama Ben Laden. Plus précisément : ce n’est pas qu’Oussama Ben Laden. Celui-ci a probablement participé à l’opération, ou alors il en était informé de quelque manière, directement ou indirectement. En tous cas pas tout seul, pas depuis la grotte afghane où il était confiné, pas comme
acteur principal mais, éventuellement, comme second rôle. Tout ce que l’on a pu rassembler pour trouver une explication indique que
l’ennemi n’est pas l’islam mais quelque chose de bien plus complexe, si complexe que c’est difficilement explicable aux milliards d’individus qui sont contraints d’en subir les conséquences et qui ne pourront jamais comprendre.
Un phénomène typique des grandes opérations de terrorisme d’État est leur caractère complexe et la multiplicité des acteurs qui agissent les uns à l’insu des autres mais comme de concert, rattachés par mille fils et, dans le même temps, conditionnés par des stratégies que seules les quelques personnes au sommet connaissent dans leur intégralité ;
tandis que, sous elles, les subalternes employés aux différents niveaux ont une connaissance partielle, et qu’au niveau le plus bas, les
exécutants ignorent tout des desseins de ceux qui les dominent et les dirigent, mais ont été convaincus au préalable d’agir dans l’intérêt exclusif de la cause à laquelle ils croient. Expliquer, dévoiler tous les passages, toute la pyramide, est impossible en quelques mots. Mais c’est l’émotion qui rend encore plus difficile une analyse impartiale. Émotion qu’on
alimente en exploitant et en amplifiant la douleur et la peur réelles. Émotion nourrie de l’agressivité qui se déchaîne contre tous ceux qui cherchent à distinguer le vrai du faux et que l’on accuse immédiatement de blasphème parce qu’ils ne se plient pas à la version officielle : la plus « évidente », la plus « logique », la plus « simple », mais pas pour autant la plus vraie.
On nous a annoncé le début d’une guerre qui se poursuivrait pendant plusieurs générations. Dick Cheney l’a dit, Donald Rumsfeld l’a dit, George Bush l’a déclaré. Et lorsque je les ai écoutés prononcer ces phrases, j’ai ressenti un frisson d’inquiétude : mais que diable ! Ont-ils perdu la tête ? Ils nous disent que nous mourrons tous en temps de guerre ou que nous mourrons en état de guerre. Mais où ces messieurs lisent-ils l’avenir, dans quelle boule de cristal ? Est-il possible de croire que, pour vaincre Oussama Ben Laden, on ait besoin d’une guerre qui dure une génération tout entière ? Avez-vous jamais entendu un chef militaire appeler son peuple à la guerre en annonçant par avance qu’il ne pourrait pas la remporter au cours des trente années suivantes ? Initialement, cette guerre avait été dénommée « Justice infinie ». Notez bien que les attributs infinis n’appartiennent qu’à Dieu. Nous sommes donc devant des discours
religieux, non politiques. À ce qu’il semble, ces gens pensent (ou veulent nous faire croire qu’ils pensent) qu’ils sont investis d’une mission
morale, d’un magistère religieux. Cela n’a pas été une erreur, ça a été un lapsus. Je ne sais pas quel est le pire des deux : ce lapsus ou l’annonce
en parallèle, répétée jusqu’à l’obsession, que la guerre « durera toute une génération ». Et pourquoi donc ? Contre qui ? À quoi se préparent-ils ? Pourquoi veulent-ils nous terroriser ? Comme je crois qu’ils ne sont ni fous, ni ivres, il ne me reste plus qu’à penser qu’ils parlent sérieusement.
Les faits le confirment. Je vois le président des États-Unis (que j’appellerai dorénavant « Empereur substitut ») qui, à la mi-novembre 2001, émet un décret disant : que le président des États-Unis d’Amérique, sur la base
d’informations transmises par ses services secrets, institue des commissions militaires secrètes ; qu’elles se substitueront aux tribunaux civils et militaires, qu’elles pourront juger — sans obligation d’apporter les preuves à l’accusé, encore moins au public — des ressortissants étrangers capturés n’importe où, même hors des États-Unis, qu’elles statueront sur leur sort n’importe où, même hors des États-Unis, sans qu’ils aient le droit de choisir un défenseur ; enfin, que les prisonniers pourront être condamnés sans appel à la peine de mort par le vote de deux commissaires militaires US sur les
trois qui composent cette commission spéciale.
Moi, je lis les journaux états-uniens et je réfléchis. Qu’est-ce que l’Empereur a dans la tête lorsqu’il promulgue un décret de ce genre qui signifie, purement et simplement, la fin de toute légalité internationale hormis celle de l’Empereur ? Cela signifie qu’il en est fini de notre souveraineté, de la souveraineté de l’Italie, de la France, de l’Allemagne, du Pakistan, de l’Irak, de quiconque. En d’autres termes : nous avons perdu notre souveraineté.
L’ennemi chinois
Si quelqu’un doute encore que là-bas, à Washington, on plaisante, qu’il ne se fasse plus d’illusions. J’essaierai maintenant de vous exposer la situation qui s’est présenté à moi dans toute son évidence, alors que je travaillais à la rédaction du livre La Guerra Infinita [2] Jusqu’alors, je n’ai trouvé personne qui ait pu fournir une reconstitution, une interprétation en mesure de démentir ma thèse ou d’en contester des aspects de fond. Commençons par
une interrogation essentielle — qui prête immédiatement au scandale puisqu’elle ose mettre en question ce que les bien-pensants
considèrent comme acquis — : qui est l’ennemi ? À la fin de l’année 2002, le Pentagone a diffusé un document portant une signature très importante, celle de Donald Rumsfeld [3]. En 2002, Donald Rumsfeld n’était pas encore secrétaire à la Défense, mais il est important de ne pas négliger le fait que, dès la fin de l’année 2002, le Pentagone estimait qu’en 2017, l’ennemi principal des États-Unis serait la Chine.
On est en droit de se demander : pourquoi en 2017 précisément ?
Réponse : parce que c’est ce qui ressort des calculs et des extrapolations effectués par les centres de recherche militaire. Il suffit d’introduire dans l’ordinateur, comme l’ont sûrement fait les analystes du Pentagone, les
données des tendances démographiques, économiques, technologiques et militaires de la Chine pour constater que si la croissance de
la Chine se poursuit au rythme actuel de 7-8 % de son produit intérieur brut en moyenne annuelle — comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années — vers 2017, 1 300 millions d’individus commenceront à
consommer « trop ». C’est-à-dire qu’ils commenceront à manger autant de pain que nous, à boire autant d’eau que nous, à posséder
autant de voitures que nous et à consommer autant d’essence que nous.
Et nous, les riches (même si nous ne sommes pas tous riches et que nous avons simplement profité des miettes tombées de la table des
riches), qui ne sommes qu’un milliard d’individus, nous avons déjà gravement endommagé la Nature qui nous entoure par le type de consommation que nous avons enclenché.
Imaginons un peu ce qui arrivera lorsque un milliard trois cents millions de
personnes supplémentaires feront leur apparition sur le marché de la consommation avec les mêmes prétentions au gaspillage que
nous ! Il est évident qu’il n’y aura pas de place pour nous et pour eux, à moins de détruire le
fondement même de la vie sur la planète.
En outre, aujourd’hui déjà, un seul pays sur la terre peut prendre des décisions sans en
demander la permission aux USA et à leur président : ce pays s’appelle République
Populaire de Chine. Je précise, afin d’éviter tout malentendu, que je n’exprime aucun jugement
sur le régime politique et social qui dirige la Chine en ce moment. Je me borne à constater les effets actuels et potentiels de son
développement. Et si les choses vont ainsi, on ne peut éluder une autre question : qui décidera de ce que la Chine aura le droit de
consommer, et l’autorisera-t-on à consommer autant que nous ?
La guerre des riches
Il y a une énorme tension sociale dans le monde, qui s’est accrue au-delà de toute limite
précédente, entre riches et pauvres. Le nombre de riches se restreint, alors qu’ils deviennent de
plus en plus riches, et le nombre de pauvres
augmente, alors qu’ils deviennent de plus en plus pauvres. Cela représente le premier élastique ;
un élastique terrible qui, ces vingt dernières années, s’est tendu au-delà du supportable. La
différence entre le quintile le plus riche et le
plus pauvre du monde s’est multipliée par quatre et demi au cours des vingt dernières
années. Le quintile, c’est les 20 % les plus riches
et l’autre quintile, les 20 % les plus pauvres. Quatre fois et demie en vingt ans. C’est-à-dire
que la mondialisation états-unienne (je l’appelle ainsi parce que ce sont les USA qui ont
déterminé cette phase de manière absolument
prédominante) a produit une accumulation de richesse monstrueuse aux mains d’un nombre
infime de gens. Néanmoins, cela ne représente qu’une partie
du problème. Il y en a une seconde, beaucoup
plus importante. C’est le fait que nous sommes arrivés aujourd’hui aux limites du
développement. Cela non plus n’avait jamais eu
lieu. Nous avons connu un siècle et demi de
développement (capitaliste et non capitaliste),
qui a vu une forte croissance du nord de la
planète et une croissance faible ou inexistante
au sud. Nous connaissons la façon dont
l’humanité s’est développée et nous l’observons
d’un oeil distrait. Mais c’est notre vie
quotidienne qui devrait nous faire réagir.
En effet, dans l’histoire de l’humanité, il n’était
encore jamais arrivé que les hommes modifient
l’environnement à une si grande échelle. Nous, nous sommes parvenus
exactement à ce stade. Ce n’est pas ici que nous
pourrons en analyser toutes les causes. Là
encore, je me borne à constater des faits. La
limite, le plafond de ce développement qui est
le nôtre, est désormais à peine au-dessus de nos
têtes ; si nous nous mettons sur la pointe des
pieds, nous effleurons ce plafond.
Dans tout l’Occident, nous sommes déjà
obligés de fermer nos villes car nous ne
respirons plus ; et déjà, pendant que nous
discutons, un milliard d’hommes n’a pas assez
d’eau à boire. Dans dix ans, les projections
indiquent que le nombre d’hommes qui n’auront pas suffisamment d’eau à boire s’élèvera à deux milliards et demi.
L’alimentation de trois des six milliards
d’habitants de la planète pose déjà des
problèmes. Déjà ! Et que se passera-t-il alors, si
ce milliard deux cents millions de gens que
nous évoquions plus haut entrent en scène en
tant que consommateurs ? Ces gens qui
voudront consommer comme nous, comment
pourrons-nous le leur refuser ? Selon quel
critère et avec quelle force leur dirons-nous
qu’ils n’y ont pas droit ? Et aux trois autres
milliards de personnes qui vivent avec un dollar
par jour ? Et aux millions d’enfants qui
meurent de faim ? Comment le leur
expliquerons-nous, qu’ils n’y ont pas droit ?
Et quel président des États-Unis se lèvera un
beau matin et dira aux 300 millions
d’Etats-uniens : « Mes chers concitoyens, nous
ne pouvons plus continuer ainsi. Nous devons
changer ce système de vie, nous devons établir
avec le reste du monde les moyens de survivre,
nous devons déterminer avec eux nos niveaux
de consommation, la qualité de notre vie » ?
Cela suppose de prendre place autour d’une
table, de s’asseoir tous ensemble – les
représentants de l’Occident, de l’Europe, de
l’Amérique, de la Chine, de l’Inde, du monde
arabe, tous ensemble, de sortir les pistolets des
poches et de les mettre de côté. Cela suppose
que l’on commence à discuter d’égal à égal,
honnêtement, sur la manière dont on doit
vivre, sauver notre planète, éviter de
compromettre nos glaciers, nos sources ; que
l’on se mette à réfléchir à l’avenir de nos enfants
et des générations futures.
C’est l’une des possibilités. Malheureusement,
ce n’est pas la plus probable. Quelle est
l’alternative ? La guerre. Voilà pourquoi nous
allons à la guerre. Nous allons à la guerre parce
que le groupe dirigeant des États-Unis et tous les
groupes dirigeants occidentaux sont incapables
de dire la vérité sur la situation du monde. Ces
hommes n’ont ni les instruments culturels, ni
l’intention de le faire. Peut-être est-ce une tâche
trop grande et trop difficile, voire dangereuse, car
si un président des États-Unis se levait pour dire
quelque chose de ce genre, il est probable qu’on
le tuerait le jour suivant. Il existe des pouvoirs
aussi forts qu’obtus, dont l’unique intérêt est de
continuer ainsi, comme ils l’ont toujours fait,
tête basse, à la recherche du profit.
Mais il faut reconnaître qu’en la matière, il
n’existe pas non plus d’alternative culturelle
forte. Le point essentiel est qu’il ne s’agit pas
seulement d’un affrontement entre les riches et
les pauvres du monde. Nous sommes confrontés
à une lutte totalement inédite, qui ne doit plus
être mesurée d’après les vieilles théories sur
l’impérialisme, mais plutôt en termes de survie
pure et simple de l’être humain.
Vous aurez compris que nous sommes au
beau milieu d’un tournant difficile et nouveau.
Et c’est la terrible complexité de ce tournant
qui, elle seule, peut expliquer pourquoi le
président des États-Unis nous annonce que
nous entrons dans une guerre très longue,
tellement longue qu’elle durera toute une
génération, voire plusieurs. C’est la guerre des
riches contre tous les autres. Ils veulent nous
entraîner dans cette guerre parce qu’ils pensent
qu’ils en sortiront victorieux ; ils n’ont pas
compris que même les riches n’en reviendront
pas vainqueurs. Une guerre où il n’y aura pas
de vainqueurs. Et moi, je vous demande, et
je me demande : que pouvons-nous faire
pour ne pas y aller, dans cette guerre ?
Personnellement, je ne vois aucun sens à aller
se brûler, et encore moins de sens à se brûler
sans raison. Parce que, justement, je ne suis pas
du tout convaincu que cette guerre — une
guerre qui implique le massacre de plusieurs
centaines de millions d’hommes — soit d’une
quelconque utilité pour le destin du genre
humain. Et elle ne nous aidera sûrement pas à
sauvegarder les valeurs de l’Occident dont, sur
le papier, nous sommes si fiers.
Voir deuxième partie : « Le 11-Septembre et la crise économique aux Etats-Unis ».
© Copyright Timéli éditions (Suisse).
Ce texte est issu d’une conférence qui s’est tenue au cercle Agorà de Pise le 21 mars 2002 ; il a été revu et mis à jour en août 2003.
Traduit et adapté de l’italien par Delphine Chevallier, Florence.
[1] Village du Val-d’Aoste. Ndt.
[2] « La Guerra Infinita » (Feltrinelli, Milan) a été publié au
début du mois de mars 2002.
[3] En réalité, comme il est apparu par la suite, ce document faisait partie d’une étude bien plus vaste qui portait la signature,
avec celle de Rumsfeld, de presque tous les membres les plus
importants de l’actuelle administration américaine. Il s’agissait du
« Project for a New American Century » (PNAC), une sorte de
manifeste stratégique des néco-conservateurs..
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