Dans la nuit du 8 au 9 août 2011, l’OTAN a bombardé à trois reprises le village de Majir, situé au sud de Zlitan. Le Colonel Roland Lavoie, porte parole de l’OTAN, a désigné les deux fermes frappées par les forces alliées comme étant des cibles militaires. Il ajoute que les frappes ont respectivement eu lieu à 23 h 30, 23 h 45 et 02 h 34. Première observation : l’argument de la « cible militaire » ne justifie en aucun cas la décision de bombarder ces sites. En effet, en vertu d’une jurisprudence du Tribunal Pénal International sur l’Ex-Yougoslavie : bombarder une cible militaire au milieu d’une présence civile nombreuse constitue un crime de guerre. Présents sur place le lendemain avec l’ensemble des journalistes, nous avons pu nous faire notre propre opinion.
L’OTAN face à l’unité nationale libyenne
Les raisons de ces frappes semblent être bien différentes de ce qui est avancé par le porte parole de l’OTAN. Il s’agit d’abord de semer la terreur au sein de la population civile puis, de favoriser l’avancée des forces d’occupation de Misrata vers la capitale, Tripoli. Pour cela, il faut prendre Zliten, ville qui résiste depuis plusieurs semaines aux bombardements et tentatives d’incursions des forces d’occupation. Les bombardements du 8 août, situés au sud de Zliten, permettent ainsi d’ouvrir la voie vers Tripoli. Ils sont couplés aux bombardements du port de Zliten (au nord), et dévoilent une stratégie d’encerclement de la ville. Au nom de cette tactique militaire, l’OTAN s’autorise à tuer femmes et enfants. Les frappes ont délibérément visé des populations civiles : 85 personnes sont mortes, dont de nombreuses femmes et 33 enfants. 12 familles différentes ont été touchées par ce massacre. Certaines avaient fuit Misrata, devenue invivable depuis que des groupes armés y sèment l’anarchie et la terreur. Il s’agit du plus important massacre de civils commis par l’OTAN depuis le début de la guerre contre la Libye.
Conduits dans l’après-midi sur les lieux des bombardements, nous avons pu constater le désastre. Tous les villageois furent unanimes quant à la nature des cibles des bombardements. Celles-ci étaient uniquement civiles. « Il n’y a aucune présence militaire dans les environs ! », clamaient-ils en cœur. D’après les villageois interrogés, de nombreux civils sont morts alors qu’ils étaient venus porter secours aux victimes des premiers bombardements. Comment expliquer que deux frappes aient eu lieu à 23 h 30 et 23 h 45, puis une dernière a 02 h 34 ? La réponse est simple : l’Alliance a volontairement ciblé les personnes venus secourir les premiers blessés. L’OTAN souhaite ainsi provoquer la déstabilisation psychologique de la population et la fracture de l’unité nationale.
Ces bombardements sont un message clair à destination de la population civile de Tripolitaine qui soutient Kadhafi dans son écrasante majorité. Le message consiste à faire entendre que tout civil, toute famille, toute tribu supportant Kadhafi est un ennemi de l’Alliance et peut être visé à tout moment. La tribu Amaim, habitant Majir, le village visé, a clairement affiché son engagement auprès de Kadhafi et refuse toute incursion de groupe armé, jurant ainsi de défendre son territoire contre l’invasion étrangère. Ces attaques de l’OTAN constituent donc des crimes de guerre. Si ce massacre révèle que l’OTAN a largement outrepassé le mandat confié par les Nations Unies, il dévoile également que le traitement de l’information par la presse dominante est tout aussi central dans la conduite de l’agression armée menée par la coalition.
La propagande des médias impériaux
Les médias liés à l’OTAN ont dès le jour même modifié la réalité des faits, sous entendant qu’il s’agissait d’un grotesque montage du gouvernement libyen. Tandis que toutes les affirmations de l’OTAN sont reprises sans le moindre doute, le massacre commis par l’organisation militaire a été largement occulté. Ainsi, la majorité des articles et reportages de la presse impériale utilisèrent le terme de « propagande » et les formules « le régime de Kadhafi prétend que » ; « selon les autorités libyennes » ; etc.
Lors de la visite de la morgue, un « journaliste » d’une grande chaîne de télévision britannique a prétendu que les victimes étaient décédées depuis plus de 12 heures. Il enjoignait ainsi un membre du bureau de presse libyen ainsi que le médecin responsable de la morgue, de répondre à son insultante affirmation. Il concoctait alors une stratégie de désinformation en essayant d’obtenir un aveu quant à la décomposition des corps, cherchant ainsi à prouver qu’il s’agissait d’une manipulation. Le « journaliste » en question n’a bien entendu aucune compétence médicale comme le lui a fait remarquer le membre du bureau de presse libyen. Il tentait simplement de trouver un moyen de dédouaner l’OTAN de ses crimes.
Les « journalistes » ont également pu assister aux funérailles. Ces dernières ont rassemblés plus de 1 000 personnes dont la détermination à tenir tête à l’Alliance et à se rassembler autour de Mohamar Kadhafi, ne fut que renforcée. Le chef de la tribu du village touché, Mohamad Idjmid al-Jash, raconte que le cimetière pour enterrer les victimes n’a pas été utilisé depuis 1911. « C’est la première fois en un siècle que nous rouvrons ce cimetière. Ce sont des martyrs comme leur grands-pères ! ». À l’époque, leurs ancêtres se sont battus contre l’occupation italienne. L’armée italienne utilisait exactement les mêmes pratiques de bombardements intensifs, ces derniers étant à l’origine de cette doctrine militaire.
Par ailleurs, les « journalistes » présents ont utilisé tout au long de la journée un téléphone satellitaire afin de communiquer avec leurs supérieurs liés aux forces armées. Ces communications ont deux utilités. Premièrement : signaler à l’OTAN les conséquences des frappes sur place et ce qui se déroule en temps réel. Deuxièmement : recevoir les instructions de leurs supérieurs pour établir la stratégie du traitement médiatique du massacre : nier ; minimiser ; affirmer que c’est une propagande. La stratégie sera alors la même pour l’ensemble des médias impériaux.
Les événements ici relatés démontrent que le journalisme de guerre, tel qu’il est pratiqué lors des missions de l’OTAN, ne constitue pas seulement un appui à la propagande de guerre. En particulier dans le cas de la guerre en Libye, les médias ne se suffisent pas d’éviter toute considération politique, juridique, morale ou sociale quant aux agressions illégales et inhumaines perpétrées par l’OTAN contre des populations civiles. Ils assistent également les forces armées en tant qu’office de liaison direct avec le commandement des opérations, voire directement avec des entités politiques ayant des intérêts dans le conflit. Dés lors, ces médias ne peuvent plus être considérés comme des organisations à but informatif mais comme faisant intégralement partie du système de domination impériale. La responsabilité de ces derniers dans la guerre de Libye est centrale et ne trouve aucune justification.
Néanmoins et malgré la propagande impériale et la violence des agressions de l’OTAN envers la population libyenne, le peuple libyen résiste toujours. Comme l’a déclaré le porte parole libyen, Moussa Ibrahim, face aux journalistes à Majir « Comment un régime isolé dont les gens ne veulent pas pourrait-il être assez résistant pour rester debout face à l’OTAN, face au pouvoir de l’OTAN, face aux rebelles armés, à l’embargo maritime, à la zone d’exclusion aérienne, au gel des avoirs, à la guerre diplomatique ? Quel type de régime surhumain et isolé peut faire ça ? Nous pouvons faire ça : rester résistant, parce que le peuple, ces gens, sont avec nous ! Arrêtez les mensonges ! Arrêtez la désinformation ! Transmettez la vérité ! »
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