Dès la préparation de l’invasion de l’Irak, de nombreux observateurs doutèrent du bien-fondé du danger irakien. A l’issue de l’invasion, le rôle joué par les services de renseignement états-uniens, britanniques et israélien dans la diffusion de fausses informations a été mis en évidence par l’absence d’arsenal irakien. Si les gouvernements en place à Washington, Londres et Tel-Aviv étaient favorables à l’attaque militaire, il apparait que leurs services de renseignement respectifs travaillaient depuis plusieurs années à les convaincre de la menace irakienne.
Progressivement depuis quelques mois, des informations transparaissent permettant de reconstituer partiellement le processus par lequel on a inventé et mis en scène la prétendue menace irakienne pour justifier l’offensive militaire de la Coalition. Il apparaît aujourd’hui que cette opération a été conduite par une structure militaire transnationale qui a directement intoxiqué non seulement les organes de presse mais aussi les responsables politiques.
On ne dispose à ce jour d’aucune information recoupée relative à la fabrication ou au stockage d’armes de destruction massive par le régime de Saddam Hussein après 1995. Tous les éléments nouveaux sont relatifs à des faits anciens, ou se sont avérés erronés lorsque les Nations Unies les ont vérifiés.
L’existence d’un Bureau des plans spéciaux, installé au Pentagone, a été évoquée pour la première fois par le Washington Times, en janvier 2002 [1]. Des détails de son fonctionnement ont été révélés par Seymour Hersh dans un article retentissant du New Yorker [2]. Ils ont été confirmés et complétés par un officier à la retraite, le lieutenant-colonel Karen Kwiatkowski [3]. Un des collègues de travail de Madame Kwiatkowsky, John J. Kokal, a été retrouvé mort dans des circonstances abracadabrantes le 14 novembre alors qu’il s’apprêtait à rencontrer des journalistes.
L’existence de la cellule Rockingham au ministère britannique de la Défense a été évoquée pour la première fois, le 21 janvier 1998, par le brigadier Richard Holmes, directeur central des forces de réserve, lors d’une audition à huis-clos de la Commission de la défense de la Chambre des communes.
Cet organe a également été décrit par l’ancien ministre britannique Michael Meacher comme homologue au Bureau des plans spéciaux du Pentagone et ayant manipulé les inspecteurs en désarmement de l’ONU et fabriqué des rapports biaisés [4].
L’existence de la cellule Rockingham a été confirmée publiquement par l’ancien inspecteur de l’UNSCOM, Scott Ritter à Neil MacKay du Sunday Herald d’Edimbourg [5]. Puis a été établie par la Commission d’enquête de Lord Hutton. Le docteur David Kelly, expert du ministère de la défense, est décédé le 17 juillet dans des conditions mystérieuses alors qu’il s’apprêtait à révéler l’activité de la cellule Rockingham à la BBC.
L’existence d’un service équivalent en Israël a été évoquée, sans aucun détail, par l’ancien conseiller national adjoint de sécurité Shlomo Brom dans un article paru la semaine dernière [6] et qui provoque un vif émoi à la Knesset. L’activité de cette cellule israélienne, ainsi que l’aide apportée ultérieurement pour les conseils en maintien de l’ordre en Irak, a été rémunérée par les États-Unis sous la forme d’une garantie bancaire de 9 milliards de dollars [7].
De ces matériaux, on peut conclure qu’une coopération a été organisée entre des groupes installés dans les ministères de la défense états-unien, britannique et israélien pour intoxiquer les inspecteurs de l’ONU en Irak. Ce réseau a par la suite étendu son activité à l’intoxication de dirigeants politiques civils puis, à travers la presse, de l’opinion publique internationale pour accréditer l’idée d’une menace irakienne imminente. Il a diffusé toutes sortes d’informations mensongères prétendant que l’Irak avait acheté de l’uranium au Niger et était sur le point d’assembler deux bombes nucléaires ; qu’il disposait de lanceurs à longue portée munis de têtes chimiques et biologique, de sorte qu’il mençait la population israélienne et celle de New York. Sans parler des prétendus liens entre le régime laïque de Saddam Hussein et des groupes terroristes islamiques.
Ces premières constatations soulèvent plus de questions qu’elle n’apportent de réponses. Tout d’abord, on ignore si le système a été construit progressivement ou s’il a été installé dans les trois États simultanément. Les activités de la cellule Rockingham ont commencé peu après la guerre du Golfe, probablement en 1992. Elles étaient déjà coordonnées avec un homologue états-unien alors même que le Bureau des plans spéciaux n’a été créé qu’en 2001. Il existait donc dans cette période un autre organisme aux États-Unis qui, selon toute vraisemblance, se trouvait au sein de l’Agence de renseignement de la Défense (DIA). Mais rien ne permet de savoir à partir de quel moment, les Israéliens ont été intégrés dans ce réseau.
Le débat public sur les prétendues armes de destruction massive irakiennes a débuté, le 26 janvier 1998, avec la lettre ouverte du Projet pour un nouveau siècle [qui soit] américain (Project for a New American Century - PNAC). Elle était signée par dix-huit personnalités dont Elliott Abrams, Richard L. Armitage, John Bolton, Francis Fukuyama, Robert Kagan, Zalmay Khalilzad, William Kristol, Richard Perle, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et James Woolsey. Elle s’est poursuivie par d’autres interventions du PNAC et l’organisation d’auditions au Congrès jusqu’au vote de la loi sur la libération de l’Irak. À cette époque l’activité de ce réseau militaire d’intoxication visait notamment à influencer le président Clinton. Le PNAC était l’association en charge de la rédaction du programme présidentiel de George W. Bush. Ses membres se sont trouvés au pouvoir en 2001.Plusieurs d’entre eux ont par la suite travaillé de concert avec le Bureau des plans spéciaux. D’où l’on peut émettre l’hypothèse que le PNAC est lui-même une émanation de la cellule d’intoxication de la DIA.
[1] Cf. U.S. seeks al Qaeda link to Iraq, par Rowan Scarborough, The Washington Times, 14 janvier 2002. Voir aussi Pentagon Sets Up Intelligence Unit par Eric Schmitt et Tom Schanker, New York Times, 24 octobre 2002.
[2] Cf. Selective Intelligence par Seymour M. Hersh, The New Yorker, 12 mai 2003.
[3] Cf. Career Officer Does Eye-Opening Stint Inside Pentagon par Karen Kwiatkowski, Beacon Journal, 31 juillet 2003. Et Pentagon Office Home to Neo-Con Network par Jim Lobe, Inter Press Service, 7 août 2003.
[4] « The very secret service », par Michael Meacher, The Guardian, 20 novembre 2003.
[5] Cf. Blair’s secret weapon, par Neil MacKay, The Sunday Herald (Edimbourg), 6 juin 2003.
[6] Cf. The War in Iraq : An Intelligence Failure ? par Shlomo Brom, Strategic Assement, novembre 2003. Cette revue est éditée par le Jaffee Center for Strategic Studies de l’université de Tel-Aviv.
[7] Cf. Les États-Unis devraient réduire les 9 milliards de dollars de garanties bancaires fournies à Israël pour la guerre d’Irak, Voltaire, 26 novembre 2003
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter