Le commissaire au Marché intérieur, M. Frits BOLKESTEIN, accompagné par les commissaires Loyola de PALACIO, Antonio VITORINO et Chris PATTEN, a rencontré mardi soir les commissions des Libertés publiques et des Affaires juridiques du PE. Il s’agissait pour eux d’expliquer la teneur de l’accord conclu avec les États-Unis, et entériné par la Commission mardi, au sujet de la communication aux autorités américaines de données personnelles sur les passagers des vols transtalantiques. Cet accord est considéré par les Américains comme une pierre angulaire de la lutte contre le terrorisme, mais beaucoup d’Européens et de députés doutent de sa compatibilité avec les dispositions de droit européen relatives à la confidentialité.
Bien des inquiétudes ont été exprimées ces derniers mois à ce propos, mais au final, c’est un choix politique qui devait être fait, a expliqué M. Bolkestein, et "c’est ce choix politique qu’a fait la Commission pour décider de la suite à donner à ce dossier". Soulignant que ces négociations n’avaient pas du tout été faciles, il a mis en relief le fait que les États-Unis avaient fait plusieurs concessions de taille. "Je suis en mesure de dire que les fortes pressions exercées par le Parlement ont joué un rôle très important", a-t-il ajouté.
Selon M. Bolkestein, la plupart des questions délicates exposés en juin dernier par la Commission aux Américains ont été résolues, mis à part la nécessité de prévoir un mécanisme de réparation indépendant comme le réclamait la Commission. Sur ce point, l’accord prévoit que c’est le Privacy Office américain qui établira les règles applicables aux plaintes déposées et que ces règles seront contraignantes pour le Département américain de la Sécurité intérieure.
Passant en revue les points acquis par la Commission dans la négociation de cet accord avec les Etats-Unis, M. Bolkestein a tout d’abord expliqué que des limites claires avaient été définies quant au nombre de données à communiquer, la liste finale comportant 34 champs d’information. Selon lui, "en pratique, la plupart des listes nominatives de passagers (PNR - Passenger Name Records) ne comportent pas plus de 10 à 15 champs". Deuxièmement, les Américains ont accepté de ne stocker les données que pendant trois ans et demi et non pendant cinquante ans comme ils le souhaitaient initialement. "Cela tient au fait que l’accord viendra, dans son ensemble, à expiration après trois ans et demi. Nous sommes donc parvenus à faire le lien entre la durée de vie de l’accord et la durée de conservation des données", a-t-il expliqué. Troisièmement, l’accord ne couvrira pas le système américain dit "CAPPS II" aux termes duquel les données relatives aux passagers sont communiquées aux Américains avant même que les passagers n’embarquent à bord d’un vol. Quatrièmement, après plusieurs refus, les Américains ont fini par accepter, en matière de garanties, qu’il soit procédé avec les autorités européennes à un réexamen commun au moins une fois par an. Enfin, les Américains seraient maintenant prêts à reconnaître aux autorités communautaires compétentes en matière de protection des données le droit de représenter tout citoyen européen dont la plainte déposée auprès du Département de la Sécurité intérieure n’aurait pas eu de suite satisfaisante.
Faisant allusion à sa dernière visite à la commission, le 1er décembre, lorsqu’il s’était engagé à aborder avec les autorités américaines l’épineux problème de la "limitation des objectifs poursuivis", le commissaire Bolkestein a confirmé que ces dernières ont accepté de n’utiliser les données qu’aux fins de lutter contre "le terrorisme et les activités criminelles reliées" et contre "d’autres crimes graves, y compris la criminalité organisée, à caractère transnational". La criminalité intérieure en est donc exclue, a-t-il expliqué.
Selon Mme Loyola de PALACIO, commissaire aux Transports, les notions-clefs à la base de cet accord sont "la proportionnalité" et "l’équilibre". Elle a insisté sur le fait qu’un système automatique, où les données seraient directement accessibles dans le cadre d’un système centralisé, serait plus rentable en termes de coût que l’actuel système par lequel les compagnies aériennes sont tenues de fournir elles-mêmes ces données. Le commissaire à la Justice et aux Affaires intérieures, M. Antonio VITORINO, a souligné qu’il fallait que l’UE développe l’utilisation des PNR et des données relatives aux passagers, indépendamment de cet accord. Et de préciser : "Au niveau communautaire, nous n’en sommes qu’au tout début d’une politique dans ce domaine". Pour le commissaire aux Relations extérieures, M. Chris PATTEN, les négociations ont été "exceptionnellement dures". Il est d’avis que le fait de consulter l’UE au stade de la définition d’une politique constitue un pas positif de la part des Américains.
Tout ceci n’a pas empêché plusieurs députés de formuler des critiques acerbes concernant surtout la compatibilité de cet accord avec le droit communautaire en vigueur. "Pour le moment, nous nous trouvons toujours dans l’illégalité", a expliqué le rapporteur sur cette question, Mme Johanna BOOGERD-QUAAK (ELDR, NL). "Nous avons demandé à plusieurs reprises que ces négociations soient basées sur nos politiques, mais comment conciliez-vous notre politique et le résultat de cette négociation ?", a-t-elle lancé, dubitative. Pour Mme Kathalijne BUITENWEG (Verts/ALE, NL), la durée de stockage de trois ans et demi est "d’une longueur disproportionnée". "La Commission est bien consciente que cela va à l’encontre du droit, mais je présume que les États membres défendront cet accord au regard de la réciprocité qui nous est offerte", a-t-elle ajouté. "Nous ne pouvons violer le droit communautaire simplement parce que c’est la volonté de tous ! " s’est-elle exclamée. M. Marco CAPPATO (NI, I) partageait cette opinion, estimant que la communication des données serait illégale : "Les lois doivent être respectées et non pas interprétées politiquement".
Tout en reconnaissant que "certains progrès ont été accomplis", M. Hubert PIRKER (PPE-DE, A) a fait part de ses inquiétudes concernant le nombre de champs d’information pour lesquels des données seraient communiquées. "Ces 34 champs répondent-ils à la nécessité de lutter contre le terrorisme ?", s’est-il interrogé, "et qui aura accès à ces données ?" Aux yeux d’Elmar BROK (PPE-DE, D), il convient d’identifier les changements pratiques qu’entraîne cet accord pour le citoyen européen, pour ne pas parler de la réflexion à mener sur ses effets sur les relations transatlantiques. Evoquant le principe de réciprocité, M. Timothy KIRKHOPE (PPE-DE, UK) s’est demandé si l’UE retirerait un quelconque avantage des données qu’elle serait en droit de recevoir. "Quel est le meilleur usage que nous puissions faire de ces informations, pour autant que nous voulions nous en servir ?", s’est-il enquis.
En revanche, plusieurs députés ont félicité la Commission pour les résultats qu’elle avait obtenus. Pour M. Georg JARZEMBOWSKI (PPE-DE, D), aucune loi ne serait enfreinte à partir du moment où les passagers consentent préalablement à communiquer leurs données. "C’est là une avancée", a-t-il déclaré. Mme Jacqueline FOSTER (PPE-DE, UK) s’est demandé quel débat tiendrait la commission parlementaire "si l’un de nos pays avait été attaqué au lieu des États-Unis le 11 septembre". Enfin, M. James NICHOLSON (PPE-DE, UK) a rappelé à ses collègues que "lorsqu’on entre en négociation, on ne gagne pas tous les points".
Source : Parlement européen
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