Le vice-Premier ministre palestinien, Naser Shaer, a été enlevé par des soldats israéliens le 19 août 2006. Voici quelques semaines, le Réseau Voltaire publiait un entretien exclusif avec cette personnalité respectée en Palestine et devenue vice-Premier ministre et ministre de l’Éducation au sein du gouvernement constitué par le mouvement Hamas en mars 2006. Ancien recteur de la faculté de droit de l’université nationale d’Al Najah à Naplouse, Naser Shaer n’est pas membre du Hamas, comme cela a été répandu dans les médias. Tasneem Shaer, sa fille, nous donne aujourd’hui un récit simple et sobre de l’enlèvement de son père et des conditions mauvaises et humiliantes de sa détention.
– Silvia Cattori : Étiez vous présente quand trente véhicules militaires israéliens ont entouré le domicile de M. Shaer et l’ont enlevé ? Quel prétexte les soldats israéliens ont-ils utilisé pour justifier cet enlèvement, et qu’est-ce que M. Shaer leur a répondu ?
– Tasneem Shaer : Il était quatre heures du matin quand les soldats israéliens ont envahi l’immeuble, sont arrivés à notre logement situé au deuxième étage et ont commencé à cogner sur notre porte après avoir réveillé nos voisins. J’ai ouvert la porte et l’officier israélien a ordonné à tout le monde de sortir, obligeant même ma mère à réveiller ma sœur âgée de 9 ans et mon frère âgé de 7 ans, sans se soucier de l’heure qu’il était. L’officier a posé des questions à mon père sur son travail et sur ce qu’il faisait. Mon père a répondu : « Je suis ministre de l’Éducation et de l’enseignement supérieur et mon travail consiste à veiller à la bonne marche des écoles et des universités en Palestine. » Après avoir examiné sa carte d’identité pour s’assurer qu’il s’agissait de la bonne personne, l’officier et six ou sept soldats ont donné l’ordre à mes frères, à mes sœurs et à moi, de rester dans le salon avec trois autres soldats qui pointaient leurs fusils sur nous. Les soldats ont conduit mes parents vers les autres chambres de la maison pour voir s’ils pourraient trouver un objet quelconque pouvant être utilisé contre mon père dans leurs enquêtes. Comme mon père est un universitaire normal, intéressé par les connaissances et l’éducation, ils n’ont rien pu trouver contre lui. Après cela, l’officier a dit à ma mère qu’ils devaient emmener mon père, sans lui dire pourquoi et sans même lui dire où. Mais ce qui nous a paru le plus ignoble, quand nous avons regardé par la fenêtre, c’est de voir que les soldats israéliens lui ont bandé les yeux et lui ont attaché les mains derrière le dos avant de le pousser dans un de leurs véhicules.
– Inconnu jusqu’à ce jour à l’étranger, le visage de M. Shaer a soudain été montré sur les écrans de télévision et dans les journaux partout à travers le monde. Le porte-parole militaire israélien a présenté cette opération comme faisant partie de la « lutte contre l’organisation terroriste Hamas ». Est-ce que votre famille a soumis une plainte envers le gouvernement israélien qui laisse entendre que M. Shaer serait membre d’une « organisation terroriste » ?
– Mon père, Naser Shaer, est connu comme étant un homme au caractère très doux. Il est entré au gouvernement en tant qu’indépendant. Il a été choisi au poste de ministre au sein du nouveau gouvernement palestinien parce qu’il est connu comme une personne d’un niveau de formation élevé, titulaire d’un PhD, et en sa qualité d’ancien professeur universitaire. Ce qui l’a convaincu d’accepter une telle fonction est sa volonté de développer l’éducation en Palestine et de permettre à d’autres d’acquérir des connaissances. C’est pour cela qu’il est ministre de l’Éducation et de l’enseignement supérieur. Ma famille n’est pas le seul groupe qui affirme que mon père n’est ni un terroriste ni un membre du mouvement Hamas. En Palestine, toute la population est d’accord là-dessus. C’est pour elle un fait indiscutable.
– Des agences de presse, telles que l’AFP, ont écrit que : « Les soldats israéliens ont arrêté… Nasser Shaer, membre du Hamas ». Et, en se basant sur cette dépêche, tous les médias l’ont répété. Avez-vous demandé à l’AFP de rectifier cette erreur ?
– Nous aimerions rappeler à toute agence de presse qui couvre ce qui se passe en Palestine que la principale règle éthique en journalisme est de ne pas biaiser les faits et de ne pas prendre parti ; tout journaliste devrait être précis lorsqu’il couvre les événements de l’actualité mondiale et devrait écouter toutes les parties concernées par l’événement en question. Or ce que nous voyons ici, en Palestine, c’est que la plupart des agences de presse ne rapportent que les paroles du gouvernement israélien, sans se préoccuper de l’autre position, la position palestinienne. Si ces agences étaient de véritables agences, elles respecteraient les normes éthiques du journalisme. Je crois que, si ces agences s’étaient renseignées au sujet de Naser Shaer, elles auraient découvert que ce qu’Israël a dit à son sujet est absolument faux et que ce ne sont que des déclarations qui visent à justifier son enlèvement. Mon père est une personne connue parmi tous ceux qui ont pu l’apprécier comme un intellectuel aux tendances modérées et disposant d’un grand bagage de connaissances. Il n’est pas seulement connu par les Arabes, mais aussi parmi les intellectuels et les universitaires des pays occidentaux. Alors j’appelle tous ceux qui continuent à répéter les affirmations israéliennes, à se renseigner au sujet de mon père et à lire les livres qu’il a écrits sur la paix et sur l’étude comparative des religions.
– Peut-on considérer cette violation des droits de la personne commise par Israël comme étant une « détention » ? Peut-elle être présentée comme étant une détention normale et légale ? Selon le droit international, l’enlèvement et l’arrestation arbitraires ne sont-ils pas des crimes ? M. Shaer et tous les autres ministres et parlementaires enlevés par Israël ne doivent-ils pas être considérés comme des personnes séquestrées ?
– « Détenu » est un mot utilisé pour se référer à un criminel qui a violé la loi ou qui a commis un acte qui a mis en danger la sécurité et la paix d’autres personnes. Mais une telle description ne correspond pas aux actes de mon père ou à sa personnalité. On sait aussi que mon père est ministre au sein d’un gouvernement constitué à la suite d’élections qui ont été décrites par les observateurs internationaux, y compris américains, comme ayant été totalement justes, équitables et propres. Ce témoignage fait de mon père et de tous ses collègues au sein du gouvernement et du Conseil législatif, des personnes qui sont des ministres légitimes et des membres du gouvernement qui devraient jouir d’une protection internationale en vertu du droit international, que les États-Unis et que ses alliés déclarent défendre. En conséquence, l’acte de se saisir de mon père, à quatre heures du matin, alors qu’il dormait avec les membres de sa famille, constitue un enlèvement et non une arrestation comme Israël essaie de le faire croire. Je peux donc dire qu’Israël est un pays qui a mis les lois internationales au rebut et qui tue et enlève n’importe quelle personne ayant la nationalité palestinienne, et que je crois que de telles actions ne peuvent pas être niées parce que les caméras montrent tout et ne mentent pas.
– M. Shaer prenait-il, dernièrement, moins de précaution qu’auparavant ? Est-ce la première fois que sa famille se trouve confrontée à une situation aussi difficile ? Depuis la nuit de son enlèvement, avez-vous eu des nouvelles de lui ? Où se trouve-t-il ? Est-il bien traité ?
– Mon père a commencé à prendre des précautions quand les soldats israéliens sont venus la première fois et ont enlevé les autres ministres de Ramallah, mais il n’était pas à la maison cette fois-là. Pour moins d’une semaine, il a dormi ailleurs qu’à la maison et il changeait de lieu quand il savait que des véhicules israéliens entraient dans la ville, mais il a continué à se rendre au ministère et à le diriger chaque jour. Mais cette situation n’a pas duré. Comme je vous dis, après moins d’une semaine, il a repris son style de vie normale. Il est revenu dormir à la maison, avec sa famille et, quant à ses fonctions, il a continué à les exercer. Mon père nous a toujours dit qu’Israël ne s’intéresse qu’à empêcher les Palestiniens de vivre librement et que cette idée le pousse à faire n’importe quoi, même des enlèvements. Mon père croyait qu’il était entièrement libre, qu’il ne faisait absolument rien pouvant se retourner contre lui s’il devait être emprisonné par Israël. Ainsi, il pensait qu’il n’avait pas à fuir ou à se cacher. Pourquoi devrait-il le faire ? Tout ce qu’il fait est acceptable dans tous les autres pays, et il est toujours prêt à se confronter à toute personne qui affirme le contraire.
Mon père avait déjà été enlevé antérieurement, le 7 octobre 2005, et Israël avait justifié cet acte en affirmant que les gens, en Palestine, disaient que mon père allait probablement se présenter aux élections législatives comme candidat du Hamas. Mais ces déclarations s’étaient avérées fausses et basées sur des rumeurs et ils avaient donc dû le libérer sans être capable de le condamner.
Quant aux nouvelles sur sa situation, mon père a été emmené dans une prison qui porte le nom de Kfar Yona, autrefois destinée aux criminels israéliens. Les Israéliens l’ont enfermé dans une cellule isolée de un mètre sur deux, sans fenêtre, très mal éclairée, là où personne ne parle Arabe. La nourriture est infecte, il n’a pas de télévision, de radio ou de livres. Il ne peut même pas savoir quelle est l’heure ou la date. Pour ce qui est du traitement, aucun Palestinien n’est bien traité dans une prison israélienne. Quel traitement une personne peut-elle avoir dans des conditions si désastreuses ? Jeudi 24 août, mon père a été conduit à un tribunal militaire, et ils ont décide de remettre son cas à la fin du mois, parce que l’Agence de renseignements israélienne n’était pas capable de prouver qu’il était coupable de quoi que ce soit, malgré le fait qu’il avait été maintenu en prison pendant six jours sans qu’il n’y ait d’enquête sur lui.
– Voir un bataillon de soldats israéliens entrer à Ramallah pour tuer et enlever des gens est quelque chose qui est habituel en Palestine. Mais enlever un ministre d’un gouvernement élu est quelque chose de très controversé. Comment la diplomatie a-t-elle réagi ? Quel État a condamné Israël pour l’enlèvement de M. Shaer ?
– L’enlèvement de mon père a été dénoncé par un certain nombre de pays arabes, européens et musulmans. L’Égypte, la Jordanie, le Qatar et d’autres pays arabes ont dénoncé cet acte, et la France a été le premier pays européen à affirmer qu’elle considérait cet acte comme étant totalement inacceptable.
Tasneem Shaer, 20 ans, étudie la littérature anglaise à l’université d’An-Najah de Naplouse. Cet entretien a été recueilli en anglais et traduit par Antonio Artuso.
Le Réseau Voltaire a publié le 4 août 2006 un entretien exclusif avec le vice-Premier ministre palestinien Nasser Shaer, réalisé en Palestine par Silvia Cattori.
– Nasser Shaer : « Les Palestiniens sont unis face aux sanctions »
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