Alors que le président français, Nicolas Sarkozy, est attendu à Alger du 3 au 5 décembre, le ministre algérien des Moudjahiddines (Anciens combattants) a livré un entretien au principal quotidien national, El-Khabar. Il y démarque son gouvernement du projet français d’Union méditéranéenne, projet dont se sont également démarqués de nombreux États membres de l’Union européenne attachés au « Processus de Barcelone ». En outre, contrairement à ce qui a été indiqué dans la presse française, M. Cherif Abbès a souligné qu’il n’attendait rien de MM. Sarkozy et Kouchner, non parce que ceux-ci étaient d’origine ou de confession juive, mais parce que, à ses yeux, ils doivent leur carrière au groupe de pression de l’État d’Israël. Dès lors, il y aurait une continuité logique entre l’incapacité à reconnaître les crimes de la colonisation et les liens avec un État colonial. Nous reproduisons cet entretien indispensable à la compréhension des relations régionales.
El-Khabar : Dans quel contexte placez-vous la visite de Nicolas Sarkozy, le mois prochain ?
Mohamed Cherif Abbés : C’est une visite de courtoisie, sans plus, qui vise à garder les relations bilatérales actuelles en attendant de voir ce que nous réserve l’avenir.
El-Khabar : Cela signifie-t-il que des relations de parité entre Alger et Paris ne sont pas envisageables ?
Mohamed Cherif Abbés : Au jour d’aujourd’hui cela n’est pas envisageable, les Français ne sont pas prêts et en particulier durant le mandat de M. Sarkozy. Vous connaissez les origines du président français et les parties qui l’ont amené au pouvoir. Saviez-vous que les autorités israéliennes avaient mis en circulation un timbre à l’effigie de Nicolas Sarkozy, en pleine campagne électorale ? [1] Le gouvernement d’ouverture que dirige M. Sarkozy, qui a vu plusieurs personnalités de gauche rejoindre un gouvernement de droite soulève plusieurs interrogations comme pourquoi Bernard Kouchner a décidé de sauter le pas, cela ne s’est pas fait pour des croyances personnelles. Ceci était le résultat d’un mouvement qui reflète l’avis des véritables architectes de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, le lobby juif qui décide tout en France [2].
El-Khabar : Certains estiment que la remise des plans des mines de l’ère coloniale est un geste qui reflète les bonnes intentions de la France, alors que d’autres voient que cela ne vise qu’à racheter des erreurs. Etes-vous d’accord ?
Mohamed Cherif Abbés : Je crois que la remise des plans des mines n’est rien d’autre qu’un coup de pub et je ne vois en aucun cas de bonnes intentions en cela. Cependant cela peut être perçu comme un aveu de la France, elle reconnaît ainsi que la guerre menée en Algérie n’a rien d’honorable, car elle a utilisé des procédés barbares comme les mines.
El-Khabar : Sarkozy a appelé les pays du bassin méditerranéen, anciennes colonies de son pays, à tourner la page et à se concentrer sur le projet de l’Union méditerranéenne qu’il considère comme l’avenir de la région. N’est ce pas une approche pragmatique qui sert l’Algérie dans un monde d’intérêts ?
Mohamed Cherif Abbés : Il cherche une politique qu’il peut « sarkoziser » et je crois qu’il s’est un peu précipité. En tout cas il a le droit de lancer tout les projets qu’il veut, mais ce qui nous importe c’est sa politique vis-à-vis de l’Algérie. À mon avis, si la France ne reconnaît pas les crimes qu’elle a commis en Algérie, une normalisation ou une réconciliation n’est pas envisageable. Les relations ne dépasseront pas le cadre des échanges commerciaux. Parler d’un traité d’amitié ou de réconciliation sans excuses ?...impossible.
El-Khabar : Que pensez-vous de la position algérienne concernant ce projet ?
Mohamed Cherif Abbés : Certains responsables se sont précipités en approuvant ce projet. La position de l’État n’a pas changée, il ne reconnaît pas ces projets car il ne connaît pas leur contenus. Pour faire court nous n’approuvons pas et nous ne refusons pas…telle est la position officielle.
El-Khabar : L’arrivée d’Enrico Macias en Algérie a déclenché une polémique, que pensez-vous de cette visite ?
Mohamed Cherif Abbés : l’arrivée de Hamlaoui Mekachera, ex-ministre des Anciens combattants avec Jaques Chirac était une provocation [3]. La venue d’Enrico Macias est une provocation mais à un degré moindre car il n’est pas d’origine algérienne, contrairement au premier qui a été considéré comme un traitre. Je crois qu’Enrico Macias ne fera pas partie de la délégation qui va accompagner M. Sarkozy.
El-Khabar : Que diriez-vous à Nicolas Sarkozy, si vous venez à parler de l’histoire commune et des relations entre les deux pays ?
Mohamed Cherif Abbés : Je ne lui dirai que « faute avouée est à moitié pardonnée ».
Version originale arabe publiée par El-Khabar, le 26 novembre 2007.
[1] La Poste israélienne édite sur commande des timbres personnalisés, cependant son règlement stipule que ce service commercial ne peut être utilisé pour éditer des timbres politiques. Or, à la demande de la section UMP des Français résidant en Israël, elle a édité un timbre à l’effigie du candidat Nicolas Sarkozy, ce qui suppose soit une improbable négligence, soit une autorisation administrative. Ndlr.
[2] L’expression « lobby juif » doit être comprise ici dans son contexte culturel. Elle désigne le groupe de pression en faveur de l’État d’Israël qui se définit comme « État juif », et non pas un groupe de pression en faveur des personnes d’ascendance ou de confession juive, comme dans la littérature antisémite européenne. Ndlr.
[3] M. Merkachera était officier d’infanterie dans l’armée française et a participé à ce titre à la représsion des mouvements indépendantistes algériens. Resté Français après l’indépendance, il est considéré comme héros en France et comme traître en Algérie. Ndlr.
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