Comment sortir de la crise financière ? En luttant contre les « paradis fiscaux » qui en seraient responsables, affirment la chancelière Angela Merkel et le président Barack Obama. Mais ne s’agit-il pas plutôt de rabattre les capitaux disponibles vers l’Union européenne et les États-Unis pour éponger aux frais des particuliers la faillite de ces États dominés par la finance internationale ?
« Une fois les rouages de la stratégie du choc compris à fond par le plus grand nombre, les collectivités deviennent plus difficiles à prendre par surprise et à désorienter – bref, elles résistent aux chocs. »
Naomi Klein, in La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, p. 556.
Le 22 février à Berlin, lors de la conférence de presse tenue après la préparation au sommet de l’UE du G20, le Premier ministre britannique Gordon Brown a fait une remarque qui laisse songeur : « Nous avons besoin d’un ‹New Deal› mondial […] ». Et concrètement : « Nous sommes conscients que, dans les domaines où passent des flux financiers mondiaux, nous ne nous tirerons pas d’affaire avec des autorités purement nationales, mais que nous avons besoin d’autorités et d’instances de surveillance mondiales, veillant à ce que les institutions financières opérant sur le marché nous révèlent complètement ce qu’elles font. »
Gordon Brown n’a pas dit ce qu’il pensait exactement. Mais l’économiste Wilhelm Henkel, l’un des demandeurs du recours contre l’instauration de l’euro en Allemagne, a exprimé dès le 11 février, dans une interview accordée à la Frankfurter Rundschau, ce que l’on en pensait au niveau de l’UE : « Ce serait la fin de la démocratie des États européens. Un gouvernement économique doté de pouvoirs dictatoriaux remplacerait la constitution et les parlements. »
À la conférence de presse du 22 février, l’organisatrice de la réunion, la chancelière d’Allemagne Angela Merkel, s’est vue demander ce qu’elle considérait comme le résultat le plus tangible de la réunion. Sa réponse : « Comparant ce résultat au plan d’action de Washington, on constate une plus grande clarté dans la poursuite des paradis fiscaux, des ‹taches blanches›, en ce qui concerne les institutions, les produits, mais surtout les diverses places financières. » Après avoir déjà menacé auparavant : « Nous devons développer un mécanisme de sanctions contre ceux qui ne font pas preuve de coopération, qu’il s’agisse de paradis fiscaux ou de domaines à opérations opaques. L’action doit être très concrète. Nous estimons qu’il faut établir des listes d’ici au 2 avril, mais peut-être aussi d’ici la rencontre des ministres des Finances, montrant bien qui a refusé jusqu’alors de participer à cette coopération internationale. » Et l’homme des basses œuvres, le président Sarkozy, de faire écho : « Nous n’accepterons pas que quoi ou qui que ce soit empêche les ambitions du sommet du 2 avril (G20 de Londres consacré à la crise financière) de se réaliser, car elles sont d’une portée historique. Si nous parvenons à couronner ce sommet de succès, nous ouvrirons un nouveau chapitre. »
Steg, porte-parole du gouvernement allemand, a communiqué le même jour comme résultat du sommet de Berlin que « tous les marchés financiers devaient être soumis à une surveillance ou réglementation adéquates » et que « nous élaborerons des mécanismes de sanction pour mieux prévenir les dangers qui partent des pays non disposés à coopérer, paradis fiscaux compris. »
Sans que la Suisse fût mentionnée dans aucun des communiqués officiels, il était clair que le sommet se dirigeait contre elle. Ce n’était donc pas un hasard que la Frankfurter Rundschau ait titré le 23 février « Härtere Strafen für Steuersünder » (augmentation des peines appliquées aux contribuables en délicatesse avec le fisc) et qu’elle y ait ajouté l’image d’une ville et d’un drapeau suisses. Ce n’est pas non plus un hasard si Deutschlandfunk, émetteur radio proche du gouvernement allemand, a organisé une discussion, juste le 23 février, à propos d’un livre qui porte le titre abject de « Schurkenstaat Schweiz ? » (La Suisse, État voyou ?) et qui insinue que la Suisse – et non les messieurs et dames de la haute finance de New York et de Londres – aurait provoqué la crise financière mondiale.
En fait : la Suisse dérange ; les grands patrimoines qui y sont déposés suscitent l’envie. Envie surtout d’établissements de la haute finance hors de Suisse, qui ont décidé d’accroître encore leur propre patrimoine au moyen de prélèvements fiscaux et de nouvelles répartitions.
Il faut abandonner l’idée selon laquelle seul le néo-libéralisme sert les intérêts monétaires et les intérêts de puissance de la haute finance en imposant toujours davantage de déréglementations et de privatisations tout en restreignant l’action de l’État. Si cela s’avère opportun, on change d’instrument. Il semble que cet instant soit arrivé, qui marque le passage de la politique de Bush à celle d’Obama.
Les membres de la haute finance n’ont pas de préférence de principe à l’égard d’un régime économique ou social déterminé. Pour eux, il s’agit d’accroître leur profit. Ils l’ont fait dans le capitalisme des États-Unis, le communisme de l’Union soviétique, ainsi que dans le fascisme et le national-socialisme européens. La situation est la même aujourd’hui. On peut le lire notamment dans le livre de C. Edward Griffin : La créature de Jekyll Island. La Réserve fédérale, institut d’émission des États-Unis. Le monstre le plus effroyable que la haute finance internationale ait jamais créé [Titre traduit de la version allemande, cet ouvrage n’a pas été publié en français, ndt.]
Elle a aussi bénéficié de l’action de Franklin D. Roosevelt, président des États-Unis, qui « a opéré dans l’intérêt de la haute finance par son New Deal et par d’autres lois promulguées à partir de 1933 ». On peut le lire dans le livre d’Anthony S. Sutton : Wall Street et Roosevelt [Ouvrage épuisé, version numérique téléchargeable en bas de page].
Ce qui dérange la haute finance, ce sont des États et peuples souverains, dont les citoyens déterminent l’évolution politique ainsi que l’évolution économique et sociale.
Il ne faut donc pas s’étonner qu’un instrument de domination centraliste et dirigiste, violent, empiétant sur les droits individuels et autoritaire ait vu le jour, qui accapare les structures de l’État et en abuse pour faire croire aux peuples que l’on s’occupe de leurs intérêts, alors qu’il s’agit en fait des intérêts de quelques rares personnes. C’est le contraire d’un État de droit et d’un État social libéral et démocratique.
En Europe, ce rôle est attribué à l’UE, sous la férule d’Angela Merkel. Aux États-Unis, le nouveau président, Obama, assumera ce rôle. Ses propositions visant à résoudre la crise financière sont analogues à celles de l’UE.
Mais les citoyens ne sont pas livrés à ce moloch. Tout Allemand, par exemple, qui proteste maintenant sans hésitation contre les attaques arbitraires que subissent ses voisins suisses sous la conduite de l’Allemagne et contre le rôle de bouc émissaire que l’on veut faire jouer à ces voisins agit en faveur de la liberté de tous les hommes.
Tout Allemand peut aussi se demander qui est responsable du fait que son pays a une quote-part des dépenses publiques et une charge fiscale nettement plus élevées que celles de la Suisse, un taux de chômage trois fois plus haut, de moins bonnes prestations sociales et des citoyens moins satisfaits. Il se peut que cela découle en une certaine mesure d’une politique allemande qui continue de traiter les habitants du pays non comme les citoyens d’une république, mais comme des sujets tenus en laisse. Politique qui fait encore tout pour distraire des manquements considérables qu’elle a commis par le passé.
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