Les pirates faits prisonniers dans le Golfe d’Aden sont de pauvres exécutants sans formation, parfois sous l’emprise de drogues. Mais, selon un rapport de l’UEO, dont nous publions un extrait, ils sont intégrés dans neuf organisations criminelles internationales disposant de renseignements et de matériels sophistiqués.
Ces données impliquent que la piraterie est un problème criminel qui devrait être traité au niveau policier, et non un problème de défense nécessitant des interventions militaires.
A moins que ces organisations criminelles, parfaitement identifiées, aient le champ libre pour justifier d’une relance de la « guerre globale au terrorisme » et du maintien de l’OTAN sur zone, déjà déployée au large de la Somalie depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux USA.
Qui sont-ils ?
Les pirates qui sévissent dans le Golfe d’Aden sont pour la plupart originaires de la région semi- autonome du Puntland en Somalie, plus précisément d’Harardheere, d’Hobyo et d’Eyl, mais encore, et pour une plus petite part, du Yémen. En proie au chaos politique du fait de l’inexistence d’un Etat souverain fort, le Puntland est l’une des régions de Somalie les plus touchées par la pauvreté. Les pirates somaliens sont pour la plupart de jeunes éleveurs qui ont quitté leur communauté et qui se louent comme mercenaires au plus offrant. Cependant, ils ont recours à des prétextes dérisoires : ils aiment se présenter comme des garde-côtes garants de l’intégrité des eaux territoriales subissant le rejet de déchets toxiques et surexploitées par la pratique d’une pêche illicite, non déclarée et non réglementée, d’origine étrangère, dans la zone économique exclusive de la Somalie3 (ZEE, définie par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982 comme espace maritime s’étendant jusqu’à 200 milles nautiques (370 km), sur lequel un État a « des droits souverains »). Quant à la Somalie, incapable de faire respecter sa souveraineté et ne disposant pas d’une flotte de garde-côtes, elle ne peut enrayer cette pêche illégale. Selon un chiffre des Nations unies repris par l’organisation Greenpeace, les revenus perdus chaque année par la Somalie au profit de cette pêche illégale ont été estimés à 300 millions de dollars. Dans une interview donnée à Reuters, un pirate nommé Yassim explique la situation : « Personne ne surveillait les mers, on ne pouvait pas pêcher dans de bonnes conditions parce que les navires qui pêchent illégalement le long des côtes somaliennes détruisaient nos petites embarcations et notre matériel. C’est ce qui nous a forcés à devenir pirates. »
Par ailleurs, l’industrie poissonnière du pays s’effondre. En effet, le tsunami de décembre 2004 a détruit les bateaux et les équipements qui permettaient à plus de 16 000 familles de vivre des ressources marines.
Comment procèdent-ils ?
Sur les 3 700 km de côtes de la Somalie, la piraterie est endémique, et de plus, elle a changé d’échelle et n’a plus grand-chose à voir avec celle des années 1980, lorsque de simples pêcheurs dévalisaient les équipages de bateaux étrangers accusés de pêcher illégalement dans les eaux somaliennes.
Les pirates utilisent des petites embarcations appelées « skiffs », qui combinent rapidité et maniabilité mais qui offrent un faible rayon d’action. Aussi, l’emploi de « bateaux-mères » permettant de mettre à l’eau les skiffs à de très grandes distances des côtes a fait son apparition. Ces bateaux sont généralement des chalutiers capturés près des côtes et utilisés comme base arrière pour d’autres attaques. Depuis peu, il a été prouvé que les pirates se cachent en partant à la remorque de bateaux de migrants clandestins, ce qui complique d’autant plus le travail d’interception des forces sur place.
Certaines de ces embarcations sont équipées d’appareils électroniques performants et modernes, comme des GPS et téléphones satellites, et peuvent s’appuyer sur un réseau de renseignement international fournissant des informations venant des ports d’Europe, d’Asie et du Golfe. Tous ces moyens permettent d’élargir leur rayon d’action jusqu’à 500 milles nautiques, rendant vaines les recommandations données aux navires de circuler non plus à 50 mais au minimum à 200 milles nautiques des côtes. Les pirates eux-mêmes sont équipés d’armes automatiques et de fusils d’assaut AK-47, de kalachnikovs et de lance-roquettes portables RPG-7, qui circulent facilement en Somalie.
Les attaques perpétrées étant très rapides, elles sont d’une très grande efficacité sur les bâtiments lents, dont la vitesse est inférieure à 15 noeuds et la hauteur de franc-bord ne dépasse pas les cinq mètres, qui ont peu de personnel et souffrent d’un manque de surveillance adéquate. Il ne s’est passé, en effet, que 16 minutes entre la localisation des pirates armés et leur assaut à bord pour s’emparer du Sirius Star naviguant dans l’océan Indien.
En fait, selon des informations fournies par l’OTAN, la piraterie est devenue une activité criminelle bien organisée : des groupes de pirates relevant d’un commandement centralisé opèrent dans le sud et le nord du pays. La société somalienne, organisée en clans, soutient la piraterie : bien qu’ils prétendent officiellement lutter contre ce fléau, de nombreux fonctionnaires passent en fait des accords avec les pirates.
Selon les interviews données par deux marins estoniens à la suite de leur libération après le détournement de leur navire par des pirates (l’un a été détenu pendant 40 jours, l’autre 71 jours), même si les pirates sont en possession d’équipements et armements très sophistiqués, ils peuvent aussi être sous l’emprise de drogues ou totalement dépourvus d’instruction et incapables de maîtriser leurs armes. Ils ont qualifié leur captivité de cauchemar et estiment que si chaque équipage comptait parmi ses membres trois ou quatre hommes armés chargés de le protéger, la situation dans les eaux le long des côtes somaliennes, du Golfe d’Aden et du Détroit de Malacca en serait considérablement améliorée. Ils sont convaincus de la nécessité d’éradiquer la piraterie. Ils ont expliqué aussi qu’ils devaient faire très attention à ce qu’ils disaient car les pirates somaliens disposent d’un centre de coordination leur permettant de suivre les médias, et par conséquent de prendre connaissance de leurs interviews.
Aujourd’hui, la piraterie semble avoir pris les aspects d’une véritable organisation mafieuse avec :
– neuf groupes distincts de pirates qui, désormais, se font concurrence ;
– des otages maintenus soit sur les navires, soit dans les petits ports d’Eyl, d’Hobyo ou d’Alula, où ils attendent le paiement de rançons qui sont de plus en plus élevées : « Il y a quelques années, les demandes de rançons étaient de l’ordre de 100 000 dollars environ. Jusqu’à il y a peu, elles se situaient entre un demi-million et deux millions de dollars, mais récemment, les montants se seraient à nouveau envolés »4. La totalité des rançons payées en 2008 a été de l’ordre de 18 à 30 millions de dollars5. Les gains tirés sont répartis de façon codifiée : 30 % sont reversés aux investisseurs, 50 % aux pirates et 5 % aux familles des pirates morts ou arrêtés6 ;
– des pirates enrichis sous-traitent à présent la pratique de la piraterie afin de ne plus s’exposer eux-mêmes aux dangers, tout en tirant des bénéfices de l’activité. Ils investissent ainsi dans l’achat d’armes, d’embarcations et de matériel de communication, alimentant un véritable cercle vertueux économique. Notre pirate Yassim se décrit comme un financier : « J’ai des hommes qui font le travail pour moi maintenant [...] Je récupère l’argent et je reste à Eyl. » Il existe donc une structure parfaitement organisée régie par un code d’honneur. Au départ de l’opération, les investisseurs avancent une somme entre 5 000 et 10 000 dollars et un contrat est signé avec des hommes de main. Les pirates sont originaires du clan Darod et sont aidés à terre par les Hawiye. De nombreuses professions se réunissent pour mettre en place une telle opération, comme des interprètes, des commerçants et des comptables qui tiennent un livre de comptes et rédigent les reconnaissances de dettes aux investisseurs pour chaque opération.
Les pirates du Golfe d’Aden mettent donc en place des opérations toujours plus professionnelles grâce à l’acquisition de matériel de plus en plus sophistiqué et à une organisation efficace. En outre, leur méthode semble devenir plus agressive avec l’acquisition de MANPADS (missiles surface-air tirés à l’épaule) qui menacent les avions et les hélicoptères volant à basse altitude.
Extrait du rapport de la Commission de la Défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale présenté par MM. Kurt Bodewig (Allemagne, Groupe socialiste), Aristotelis Pavlidis (Grèce, Groupe fédéré) et Tarmo Kõuts (Estonie, Groupe fédéré). [Réf. C/2037].
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