Washington vient de publier sa nouvelle doctrine nucléaire et s’apprête à signer un nouveau traité de limitation des armes avec la Russie lors d’un grand show médiatique. Pourtant, à y regarder de plus près, la position de l’administration Obama ne marque aucune rupture avec ce qui a précédé. Elle se contente d’adapter à la situation du jour la politique de l’administration Bush. Pire, elle élude les deux vraies questions : le bouclier antimissiles va t-il relancer la course aux armements, et les armes nucléaires vont-elles être remplacées par des armes stratégiques encore plus déstabilisantes ?
A la veille de la publication du Nuclear Posture Review, le document sur la stratégie nucléaire US [téléchargeable au bas de cette page], et trois jours avant la signature du nouveau traité START avec la Russie qui aura lieu à Prague, le président Barack Obama a annoncé de façon anticipée, dans une interview au New York Times [1], les lignes maîtresses de la nouvelle stratégie. En quoi consiste la nouveauté ? « Si tu es un Etat sans armes nucléaires et que tu t’en tiens au Traité de non-prolifération, tu as notre assurance que nous n’utiliserons pas contre toi d’armes nucléaires ». Mais si l’Etat (à qui Obama s’adresse en le tutoyant) viole, selon le verdict sans appel de Washington, le Traité de non-prolifération (TNP), les Etats-Unis ne garantissent plus qu’ils n’utiliseront pas contre lui d’armes nucléaires. Et là Obama désigne l’Iran et la Corée du Nord, surtout le premier, accusé de défier la communauté internationale par un programme nucléaire qui « en suivant son cours actuel, lui fournira une capacité nucléaire militaire ». Le président Obama, rappelle l’intervieweur, a déjà déclaré qu’il « ne pourrait pas cohabiter avec un Etat iranien doté d’armes nucléaires ». En substance, donc, les Etats-Unis se réservent le droit de la première frappe (first strike), c’est-à-dire de l’attaque nucléaire « préventive » pour empêcher un pays comme l’Iran de pouvoir construire un jour des armes nucléaires.
Tandis que la stratégie du président Bush prévoyait l’usage des armes nucléaires contre une vaste gamme de dangers, la stratégie du président Obama —écrit le New York Times— en « limite » l’utilisation. Limitation toute relative puisque elle en admet l’emploi non seulement contre un Etat doté d’armes nucléaires, mais aussi contre « un [Etat] qui n’a pas signé ou a violé le Traité de non-prolifération ». Paradoxalement, dans l’interview, Obama affirme que « les Etats-Unis et Israël sont très préoccupés par les actions de l’Iran », ignorant en cela que tandis que l’Iran a adhéré au TNP et fait l’objet d’inspections de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (Aiea), Israël n’a jamais souscrit au TNP et possède un puissant arsenal nucléaire, qui ne fait l’objet d’aucune inspection internationale. Et, alors que l’Iran n’a pas d’armes nucléaires, Israël en tient une centaine pointée sur l’Iran et d’autres pays de la région. La même chose vaut pour l’autre allié des Etats-Unis, le Pakistan, qui possède des armes nucléaires mais n’a jamais adhéré au TNP. A la question sur l’arsenal nucléaire pakistanais, pour la « mise en sécurité » duquel les Etats-Unis ont jusqu’à présent dépensé au moins 100 millions de dollars, Obama répond : « Je n’entends pas parler en détail du nucléaire pakistanais ». Ceci confirme que la nouvelle stratégie nucléaire des Etats-Unis continue à être caractérisée par la vieille politique des deux poids et deux mesures.
Ce ne sont pas les seules ambiguïtés. Pendant que, d’une part, il annonce la réduction des armes nucléaires, le président Obama déclare d’autre part que « nous maintenons une robuste dissuasion » et « nous investissons dans une infrastructure améliorée pour conserver la sécurité et la fiabilité de nos armes nucléaires ». Et alors que le président annonce la « limitation » de l’usage des armes nucléaires, des porte-parole de la Maison Blanche précisent que la nouvelle stratégie prévoit « l’usage d’une représailles nucléaire contre une attaque biologique » : en d’autres termes contre un pays non nucléaire accusé, éventuellement sur la base de « preuves » apportées par la CIA, d’avoir accompli ou tenté d’accomplir une attaque biologique contre les Etats-Unis.
De plus, à la question sur la nouvelle génération d’armes « conventionnelles » que les Etats-Unis sont en train de développer, en effaçant la frontière entre armes conventionnelles et nucléaires, Obama répond qu’il n’entend pas entrer dans les détails. Il fait de même en ce qui concerne la question sur les armes nucléaires états-uniennes en Europe. Sur le « bouclier » antimissile que les USA veulent déployer en Europe, en risquant de faire échouer le nouveau traité START, Obama se tait. Celui qui parle, par contre —et c’est une douche froide— est le ministre des Affaires étrangères russe Sergei Lavrov qui, à 48 heures du sommet de Prague prévient que « Moscou se réserve le droit de se retirer du nouveau START si le bouclier antimissile que les USA veulent construire a un impact excessif sur l’efficience des forces nucléaires stratégiques russes » [2].
titre documents joints
Documents
– Treaty between USA and Russia on measures for the further reduction and limitation of strategic offensive arms (April 8, 2010)
– START : Op-Ed by Hillary Clinton : « Our Giant Step Towards a World Free from Nuclear Danger » (April 7, 2010)
– START : Op-Ed by Vice President Joe Biden : « A Comprehensive Nuclear Arms Strategy » (April 7, 2010)
– START : press point by Sergey Lavrov (April 6, 2010)
– Statement by Barack Obama on the Release of Nuclear Posture Review (April 6, 2010)
– Remarks of Joe Biden at National Defense University (February 18, 2010)
– Speech by Barack Obama dealing with nuclear issues (April 5, 2009)
[1] « Excerpts From Obama Interview », par David E. Sanger et Peter Baker, The New York Times, 5 avril 2010.
[2] « START : conférence de presse de Sergei Lavrov », Réseau Voltaire, 6 avril 2010.
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