John Kerry a annoncé avec emphase la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Entrevoyez-vous, vous-même, quelque chose de concret à l‘horizon ?

Ilan Pappé : Rien. Je ne crois absolument pas que cette nouvelle tentative nous amène quelque part, tout comme les précédentes, depuis les accords d’Oslo (1983). Parce qu’elle part des mêmes bases selon lesquelles il vaut mieux avoir un processus de paix que ne pas en avoir. Même si ce processus ne produira rien. C’est pourquoi il n’y a aucune impulsion réelle de la part des Israéliens et des Étasuniens à faire davantage pour arriver à des résultats concrets.

Il n’y a rien de nouveau par rapport au passé ?

Ilan Pappé : Aucune nouveauté, du fait aussi qu’il n’y a aucune modification de la base du dit « consensus » qui unit les Israéliens quand ils parlent de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. C’est la même vision, la même stratégie de toujours et il faut reconnaître à l’actuelle direction politique israélienne d’avoir admis qu’elle n’ira pas aux négociations pour présenter de nouvelles solutions. Je suis par ailleurs convaincu que cette relance des négociations bilatérales, telle qu’elle est décrite par John Kerry, n’aurait pas été possible si n’était pas intervenue la position forte manifestée par l’Union européenne ces derniers jours. Position qui établit de nouvelles directions à l’égard des colonies israéliennes dans les Territoires arabes et palestiniens occupés et qui maintenant, du moins sur le papier, ne pourront jouir d’aucune coopération ni aide de la part de l’Europe. Ces pressions aussi ont convaincu Benjamin Netanyahu qu’il vaut mieux lancer quelque forme de dialogue avec les Palestiniens, pour empêcher que soient adoptées des sanctions contre Israël et ses colonies.

Des décisions fruit de nécessités tactiques et non pas d’une stratégie…

Ilan Pappé : Exact. Le paradigme est toujours le même, il n’a pas changé et ne changera pas. Et il n’y a aucune raison de penser que ces négociations, en admettant qu’elles se développent dans les semaines qui viennent, puissent amener à quelque solution.

On approche du rendez-vous de septembre de l’Assemblée générale de l’Onu, que les Palestiniens ont utilisé ces dernières années pour annoncer des pas en avant vers leur indépendance, du moins sur la carte ou de façon symbolique. L’insistance étasunienne à reprendre les tractations sans rien avoir en main sert-elle aussi à empêcher de nouveaux développements unilatéraux du côté palestinien ?

Ilan Pappé : Sans doute. Israéliens et Étasuniens veulent développer ce que j’appelle le « Plan A » et empêcher qu’on ne réalise un « Plan B ».
Le « Plan A » prévoit que les entretiens avec les Palestiniens avancent avec un Israël maître de la situation dans les Territoires occupés et libre d’étendre ses colonies, et l’Autorité palestinienne d’Abu Mazen engagée à empêcher le développement de toute forme de résistance, pas seulement armée, à l’occupation militaire.
Le « Plan B » par contre est celui où les Palestiniens s’adressent aux autorités internationales pour obtenir la réalisation de leurs droits et demandent que soient sanctionnés l’occupation et les crimes qu’elle commet. Le « Plan B » inclut une Europe plus consciente des droits des Palestiniens, et, peut-être, une nouvelle révolte populaire palestinienne contre l’oppression.
Pour empêcher que démarre le « Plan B », Washington et Tel Aviv relanceront toujours le « processus de paix », c’est-à-dire le « Plan A », qui est celui du dialogue pour le dialogue sans perspective de solution fondée sur la légalité internationale.

Nous sommes à quasiment 20 ans de la signature des accords d’Oslo et de la poignée de main entre Yasser Arafat le président palestinien décédé et le Premier ministre assassiné Yitzhak Rabin. Vingt ans après quelqu’un écrit que la direction israélienne de 1983 était pacifiste alors que l’actuelle direction israélienne serait ultranationaliste et intéressée seulement à étendre les colonies. Qu’en pensez-vous ?

Ilan Pappé : Je pense qu’il n’y a pas de différences significatives entre le leadership de 1983 et l’exécutif de Netanyahu. Tous les gouvernements israéliens de 1967 à aujourd’hui (depuis l’occupation des Territoires) ont développé la même stratégie :
 1. Jérusalem appartient entièrement à Israël et il n’y aura aucun compromis sur la ville ;
 2. les réfugiés palestiniens ne rentreront jamais dans leurs villes d’origine ;
 3. Israël ne peut pas exister sans la Cisjordanie. Le cœur de la politique israélienne était et reste l’idée sioniste que la Cisjordanie est une partie d’Israël, avec la nuance que quelques représentants politiques israéliens apparemment plus flexibles par rapport aux autres prévoient quelque « concession » de plus à faire aux Palestiniens.
Bien sûr il y a (entre les différents gouvernements) quelques différences sur la façon de contrôler la Cisjordanie. Par exemple, l’annexer entièrement ou la diviser en une zone israélienne et une palestinienne ? Concéder ou pas l’autonomie aux Palestiniens ? Concéder ou pas une semblant d’indépendance aux Palestiniens en continuant à avoir le contrôle de la souveraineté réelle ? Mais ce n’est qu’une tactique.

Donc, nous sommes toujours arrêtés au même point.

Ilan Pappé : Oui. S’il existe une différence entre la direction israélienne des accords d’Oslo et l’actuelle, elle se limite à quelques aspects tactiques. Le gouvernement actuel, par exemple, vise un plus grand contrôle sur la Cisjordanie, à cause de ses liens avec le mouvement des colonies.
Et il faut ajouter une donnée centrale. Aujourd’hui, par rapport à 1983, il n’existe plus pour l’opinion publique israélienne un problème palestinien, la question palestinienne est invisible, elle a disparu de tout horizon. Le peuple occupé, tout simplement, a disparu de l‘esprit de millions d’Israéliens.

Traduction
M.-A.
Source
Il Manifesto (Italie)