« Que Dieu bénisse nos soldats, que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique » : par ces mots (que nous invitons le pape François à commenter) se conclut la solennelle « Déclaration sur l’ÉIIS » [1] par laquelle le président Barack Obama, en habit de « commandant-en-chef », s’est adressé mercredi 10 septembre non seulement à ses concitoyens mais au monde entier [2].

L’« Amérique », explique le président, est « bénie » parce qu‘elle assume les devoirs les plus lourds, à commencer par la « responsabilité d’exercer le leadership ». Dans « un monde incertain » comme notre monde actuel, « le leadership américain est l’unique constante ». C’est en effet l’« Amérique » qui a « la capacité et la volonté de mobiliser le monde contre les terroristes », c’est l’« Amérique » qui a « battu le rappel du monde contre l’agression russe », c’est l’« Amérique » qui peut « contenir et anéantir l’épidémie d’Ebola ». Par ces accents, qui rappellent ceux d’un prédicateur médiéval à l’époque de la peste noire (« l’agression russe » mise sur le même plan que l’épidémie d’Ebola), le président lance la nouvelle croisade contre l’ « État islamique de l’Irak et de la Syrie » (ÉIIS), en prévenant qu’ « il faudra du temps pour éradiquer un cancer comme celui-là ». Malgré tout ce qu’a fait jusqu’ici l’« Amérique » pour combattre le terrorisme, souligne-t-il, « nous avons encore face à nous une menace terroriste ». Ceci parce que « nous ne pouvons pas effacer du monde toute trace du Mal ».

Avec cet avertissement, qui rappelle les croisades du républicain Reagan contre l’ « empire du Mal » (l’URSS) et du républicain Bush contre l’ « ennemi obscur qui se cache dans les recoins sombres de la Terre » (al-Qaïda), le démocrate Obama énonce « la stratégie des États-Unis pour vaincre l’ÉIIS », articulée en quatre points.
 1. « Une campagne systématique d’attaques aériennes contre l’ÉIIS », en Syrie comme en Irak.
 2. « Appui accru aux forces qui combattent l’Isis sur le terrain » : avec la différence par rapport à l’Irak et à l’Afghanistan que les États-Unis n’enverront pas officiellement de forces terrestres, mais des conseillers et des instructeurs (475 autres arriveront en Irak), en finançant et en armant, avec une loi ad hoc du Congrès, des forces irakiennes et kurdes et, en Syrie, celles qui combattent contre « le régime d’Assad qui terrorise son peuple », et contre « les extrémistes comme l’ÉIIS ».
 3. « Tirer nos capacités considérables de contre-terrorisme pour prévenir les attaques de l’Isis » : ceci adviendra en travaillant en contact étroit avec les partenaires (y compris Israël qui s’est déjà déclaré disponible à partager les informations de ses propres services de renseignement).
 4. « Fournir une assistance humanitaire aux civils innocents chassés de chez eux par l’ÉIIS ».

Les États-Unis ont déjà constitué « une ample coalition de partenaires », qui fournissent des « milliards de dollars d’aide humanitaire, armes et soutien aux forces de sécurité irakiennes et à l’opposition syrienne ». Dans les prochains jours le secrétaire d’État John Kerry se rendra en visite au Moyen-Orient et en Europe pour « recruter d’autres partenaires dans la bataille ».

Ce que lance l’administration Obama n’est pas une stratégie que le président est obligé d’autoriser après avoir sous-évalué la menace de l’ÉIIS (selon une vulgate répandue), mais une stratégie construite pendant des années. Comme il a déjà été amplement documenté, les premiers noyaux du futur ÉIIS se forment quand, pour renverser el-Kadhafi en Libye en 2011, l’Otan sous commandement US finance et arme des groupes islamiques qualifiés de terroristes peu de temps auparavant. Après avoir contribué à renverser el-Kadhafi, ils passent en Syrie pour renverser el-Assad. C’est là, en 2013, que naît l’ÉIIS qui reçoit des armes, des financements et des voies de transit d’Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Turquie et Jordanie, dans le cadre d’un plan coordonné par la CIA.

John McCain et l’état-major de l’Armée syrienne libre. Au premier plan à gauche, Ibrahim al-Badri, avec lequel le sénateur est en train de discuter. Juste après, le brigadier général Salim Idriss (avec des lunettes).

En mai 2013, un mois après avoir fondé l’ÉIIS, Ibrahim al-Badri —le « calife » aujourd’hui connu sous le nom de bataille de Abu Bakr al-Baghdadi— rencontre en Syrie le sénateur états-unien John McCain, chargé par Obama de mener des opérations secrètes pour le compte du gouvernement. L’ÉIIS lance ensuite l’offensive en Irak, au moment où le gouvernement al-Maliki est en train de prendre ses distances de Washington, et de se rapprocher de la Chine et de la Russie.

L’objectif réel de la stratégie lancée par Obama est la démolition de la Syrie et la réoccupation de l’Irak. En outre, en engageant les alliés européens (dont l’Italie) sur le nouveau front moyen-oriental et en même temps sur celui oriental contre la Russie , les États-Unis renforcent leur influence sur l’Union européenne, qu’ils ne veulent unie que si elle reste sous leur leadership.

Traduction
M.-A.
Source
Il Manifesto (Italie)

[1Le président Obama a choisi d’appeler l’organisation créée par son administration pour mener un nettoyage ethnique (juridiquement qualifiable de « crime contre l’humanité ») le nom d’« Émirat islamique en Irak et en Syrie ». Or, cette organisation ne s’est jamais faite appeler ainsi, mais successivement « Émirat islamique en Irak et au Levant » (c’est-à-dire en Grande Syrie, comprenant à la fois la Syrie actuelle, mais aussi la Palestine, Israël, la Jordanie, le Liban, l’Irak, ainsi que quelques enclaves turques), puis « Émirat islamique » tout court.