Il ne fait aucun doute que ce qui se passe dans l’espace historique de la Mésopotamie, ainsi que les Grecs ont appelé la zone délimitée par le cours du Tigre et de l’Euphrate, et en particulier en Irak, en Syrie et en Turquie, qui détiennent des parties de la Mésopotamie, sont les développements les plus importants depuis que les frontières ont été tracées dans la région après la Première Guerre mondiale, le traité de Lausanne (1923) et le traité franco-turc d’Ankara (1926). À cette époque, où étaient fixés les États et leurs frontières, deux nations furent laissées à l’écart, l’arménienne et la kurde.

Les Arméniens ont été « nettoyés » de l’Anatolie par le génocide du même nom, tandis que les Kurdes ont été condamnés à rester pratiquement esclaves dans quatre États : en Iran, Irak, Syrie et en Turquie.

Ces pays, bien que multiethniques, fonctionnèrent ces derniers cent ans comme États nationaux, poursuivant des politiques d’assimilation et de génocide culturel des Kurdes, alors qu’en Irak eût lieu un génocide physique (Anfal) tuant des dizaines de milliers de personnes après avoir été attaquées par des gaz chimiques dans la région de Halabja (massacre du 16 mars 1988) [1].

Le régime mis en place il y a un siècle, et les frontières de la région, seront pour la première fois remis en question après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990 et l’opération « Tempête sur le Désert » qui s’ensuivit, par laquelle fût placée la première pierre fondatrice d’un État kurde autonome dans l’Irak du Nord- Kurdistan du Sud, lequel a été officiellement reconnu par la Constitution irakienne de 2005. Après douze années de coexistence entre Kurdes et Arabes, chiites et sunnites, le président de l’administration autonome du Kurdistan, Massoud Barzani, décida de procéder à un référendum pour l’indépendance du Kurdistan, présentant un par un les problèmes et injustices subis par les Kurdes au cours de ces années de la part du gouvernement de Bagdad, qui a continué les erreurs du passé et ne les a pas reconnus en tant que copropriétaires de l’État, mais les voulait plutôt soumis à la majorité arabe chiite.

Chacun est libre d’exprimer son opinion et critiques envers Barzani pour cette décision, mais il faudra noter que les dirigeants de Bagdad ne lui ont pas laissé beaucoup d’espace pour d’autres choix.

La situation étant ce qu’elle était, ce fût l’instant pour Barzani où il lui fallut dire « C’est maintenant ou jamais ! ».

En fin de compte, le référendum eut lieu en ordre absolu et sans incidents, malgré les pressions incroyables et les menaces de guerre de l’Irak, l’Iran et la Turquie et les pressions pour le report de la part des grandes puissances, avec les États-Unis et le Royaume-Uni en tête.

Les citoyens, qui ont participé à raison de 72 % des inscrits à ce scrutin, ont décidé par les 93 % de leurs votes qu’ils voulaient l’indépendance, malgré qu’il leur était connu qu’il soit hautement probable qu’ils seront appelés à payer une haute redevance pour leur décision. Et on pourrait même affirmer, ainsi que nous en sommes informés par des responsables politiques et des citoyens ordinaires de la région, que les menaces ont provoqué le ralliement de la population, qui semble résolue à surmonter les dures mesures, voire même à résister à l’intervention armée de Bagdad, d’Ankara et de Téhéran.

En ce qui concerne les sanctions punitives examinées par le « triangle du diable » —comme appellent les Kurdes l’alliance soudaine de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak—, celles-ci concernent initialement un blocus économique et commercial progressif, visant à l’étranglement économique du Kurdistan et la création d’une vague de mécontentement populaire à l’encontre de Barzani, afin qu’il ne procède pas aux prochaines étapes que sont la déclaration de l’indépendance, la reconnaissance de celle-ci par différents États et le dépôt de la demande auprès de l’Onu pour devenir État-membre à part entière de cette dernière.

Si ces pays décident de mettre en place le blocus, il n’y a pas d’autre moyen de communiquer avec le monde extérieur que d’ouvrir la frontière avec le Rojava (à « l’Ouest » en kurde), la région de facto autonome du nord et nord-ouest de la Syrie.

Le Rojava est actuellement habité majoritairement par les Kurdes, mais lui non plus n’a guère plus de communication autonome avec le monde extérieur.

Nous pouvons donc dire que c’est maintenant que commencent les difficultés, mais il est certain que Barzani, issu d’une famille de tradition riche en combativité et en politique, lui-même « trempé » dans la politique depuis plus d’un demi-siècle, devrait avoir prévu les réactions et calculé les prochaines étapes. Il est également certain qu’il a assuré les reconnaissances de 20 à 30 États.

En tout cas, quelle que soit le plan conçu, il ne faudra pas oublier que Kirkouk, qui elle-aussi a voté pour l’indépendance du Kurdistan avec 80 % des suffrages exprimés, fut le litige de deux guerres mondiales.

Traduction
Christian Haccuria
Source
Info gnomon politics (Grèce)

[1A War Crime or an Act of War ?”, Stephen C. Pelletiere, New York Times, January 31, 2013. « Gazage des Kurdes : l’info qui ne gêne pas Libé », par Jean-Sébastien Farez ; « Quand l’Iran gazait les Kurdes d’Halabja », par Grégoire Seither, Réseau Voltaire, 17 février 2003 & 23 mars 2004.