Lors de son audition devant la Mission, le Général Maurice Schmitt, en sa qualité d’ancien Chef d’état-major des armées, a précisé les conditions dans lesquelles la décision d’envoyer des troupes françaises au Rwanda avait été prise le 4 octobre par le Président de la République, afin de protéger les ressortissants français.

Il a rapporté plus précisément que lui-même avait accompagné, le 3 octobre 1990, le Président François Mitterrand, MM. Jean-Pierre Chevènement, Roland Dumas et Hubert Védrine, ainsi que l’Amiral Jacques Lanxade dans un voyage au Moyen-Orient : " Le 4 octobre, après une nuit à Abu Dhabi, l’ensemble de la délégation est arrivé à Djeddah où elle était reçue à déjeuner par le Roi Fahd. C’est peu avant ce déjeuner que deux messages sont arrivés, en provenance respectivement de l’Elysée et de l’état-major des armées. Ces messages précisaient que des risques graves d’exactions existaient à Kigali et que le Président Juvénal Habyarimana demandait l’intervention de l’armée française. Un Conseil de défense restreint, très bref, s’est tenu sur l’heure à Riyad, sous la présidence du Président de la République, à la suite duquel l’ordre a été donné d’envoyer au plus vite deux compagnies à Kigali, avec la mission de protéger les Européens, les installations françaises et de contrôler l’aérodrome afin d’assurer l’évacuation des Français et étrangers qui le demandaient. Ces troupes ne devaient en aucun cas se mêler des questions de maintien de l’ordre qui étaient du ressort du Gouvernement rwandais. "

Missions et ordres d’opération du détachement Noroît

La mission attribuée au détachement Noroît et définie dès le 3 octobre par le message 3782 de l’état-major des armées, est triple :

 protéger l’ambassade de France ;

 assurer la protection des ressortissants français ;

 être en mesure de participer à leur éventuelle évacuation.

L’objectif est donc strictement limité à la protection de la communauté française et sera précisé par une série d’ordres d’opération élaborés afin de mieux coordonner l’action des forces françaises avec celle des forces belges présentes au Rwanda pour les mêmes raisons.

L’ordre d’opération n° 1 qui date du 24 octobre 1990 ne modifie pas les missions précitées. Afin d’être en mesure de conduire l’évacuation des ressortissants en liaison ou non avec les forces belges et rwandaises, il est notamment demandé de " participer au contrôle de l’aéroport de Kigali, aux côtés des forces belges et rwandaises en préservant notre liberté d’action " et de procéder à " la recherche systématique du renseignement d’ambiance afin de ne pas être surpris ".

L’ordre d’opération n° 2, du 26 octobre, établi après concertation avec les autorités diplomatiques françaises et le commandement des forces belges au Rwanda, répond à l’hypothèse d’une évacuation conjointe des ressortissants belges et français auxquels viendraient se joindre d’autres ressortissants désireux de bénéficier du dispositif d’évacuation.

Trois niveaux de menace sont définis auxquels correspondent trois stades d’alerte qui entraînent le regroupement de ces personnes, dans les points suivants : Centre culturel français, Club sportif, Ecole française, Hôtel Méridien. Ce dernier lieu constitue un centre d’évacuation des ressortissants dans l’attente de leur embarquement aérien. Les priorités d’évacuation concernent d’abord les ressortissants français et belges, puis les ressortissants occidentaux, enfin les autres ressortissants sur ordre et avec l’aval des autorités diplomatiques.

En dehors de Kigali, les ressortissants français se regroupent en trois points d’évacuation : Butare, Gisenyi, Ruhengeri.

L’ordre d’opération n° 3 rectifié du 7 novembre 1990 maintient les trois stades d’alerte pouvant déboucher sur une décision d’évacuation de ressortissants. Les missions sont inchangées. Il est demandé, sur ordre, de défendre l’aéroport pour y permettre l’acheminement des renforts et de maintenir une présence dissuasive sur le centre d’évacuation du Méridien, les points de regroupement français, les points d’implantations des cantonnements sur l’axe centre-ville/aéroport.

Organigramme des forces

Le déploiement des troupes de l’opération Noroît s’est effectué en deux temps.

Dès le 4 octobre, des éléments précurseurs sont envoyés sur place en provenance de Bouar. Quelques jours plus tard, le 3ème RPIMA et le 2ème REP présents au Rwanda sont relevés et remplacés par un dispositif opérationnel renforcé. Le Général Jean-Claude Thomann, à l’époque Colonel, (message 3852 de l’état-major des armées) prend le 19 octobre le commandement de l’opération Noroît, jusqu’alors exercé par le Colonel René Galinié, attaché de défense et chef de la Mission d’assistance militaire. Le Général Jean-Claude Thomann relève directement du chef d’état-major des armées.

Interrogé sur les raisons de la création d’un commandement ad hoc des opérations, le Général Jean-Claude Thomann a reconnu devant la Mission que cette question recoupait à la fois une difficulté de doctrine et un problème particulier lié à cette opération. Il a précisé que sa désignation comme commandant d’opération par le Chef d’état-major des armées avait entraîné un débat qu’il a qualifié d’assez acide entre le ministère de la Défense et le ministère des Affaires étrangères, l’Ambassadeur estimant que, compte tenu de la situation, c’était à l’attaché de défense d’assurer le commandement de l’opération.

Il a ajouté que ce débat avait d’ailleurs provoqué son maintien à Bangui pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que l’affaire soit réglée... et que ces opérations faisaient progressivement l’objet d’une théorisation et d’une doctrine. Jusqu’à un certain niveau d’engagement, c’est l’attaché de défense qui est désigné comme commandant d’opération. Ce n’est qu’au-delà d’un certain niveau que l’on envoie un élément de commandement avec un chef désigné depuis la France ou d’autres pays où l’on dispose de forces prépositionnées, une estimation étant toujours faite au ministère de la Défense, souvent en liaison avec les Affaires étrangères sur le niveau d’intervention.

Sans qu’il soit ici question d’ouvrir un débat sur le bien fondé de cette doctrine, on peut néanmoins constater qu’en l’espèce cette décision a été la source de difficultés et qu’elle a retardé l’arrivée sur place de l’ensemble du dispositif. Si l’envoi d’un commandement spécial est justifié par la gravité de la situation, alors la désignation le 19 octobre du Général Jean-Claude Thomann, alors Colonel, comme commandant des opérations s’est réalisée trop tardivement au regard des événements.

Le détachement Noroît sous le commandement du Général Jean-Claude Thomann était composé d’un état-major tactique de 40 personnes et de deux compagnies -1ère et 3ème compagnies du 8ème RPIMA- de chacune 137 personnes, soit un effectif total de 314. La 3ème compagnie était chargée d’intervenir en ville, la 1ère compagnie dite compagnie extérieure avait la responsabilité de la protection de l’aéroport. Le PC du détachement Noroît était installé à l’hôtel Méridien et le Général Jean-Claude Thomann soulignera tout l’intérêt pratique d’une implantation dans un tel établissement.

Zones d’intervention des forces Noroît

Il est demandé aux compagnies Noroît " d’adopter une attitude discrète " car il ne saurait être créé " le sentiment de notre engagement aux côtés des FAR ".

L’action des forces Noroît est limitée à la ville de Kigali et à l’aéroport, les sorties en dehors de ces lieux restant subordonnées à l’autorisation de l’état-major des armées.

En application de ce principe, deux missions de reconnaissance ont été effectuées à Butare les 27 et 28 octobre, à Ruhengeri et Gisenyi les 30 et 31 octobre. Elles étaient destinées à prendre contact, rassurer et organiser l’éventuelle évacuation des ressortissants français. A l’occasion de ces deux déplacements, le Général Jean-Claude Thomann, Commandant des opérations, note dans son rapport de mission l’existence aux abords des villes principales, de nombreux barrages tenus le plus souvent par la gendarmerie ou l’armée rwandaise, et de points de contrôle tenus par des " civils qui interdisent l’accès de certains villages de brousse et permettent ainsi de filtrer les gens des collines. Les barrages civils sont gardés par une dizaine d’hommes armés de machettes ".

Il constate par ailleurs l’accueil enthousiaste des populations et des forces armées rwandaises réservé aux soldats français.

Les ressortissants français se montrent rassurés : " tous sont certains qu’en cas de troubles graves en ville ni la population ni les rebelles ne s’attaqueraient à eux et à leur famille ".

Bilan d’activités du détachement Noroît

C’est tout d’abord au titre de Chef de la Mission d’assistance militaire (MAM) que le Colonel René Galinié, comme il l’a indiqué au cours de son audition, " a ordonné à ses hommes (22 personnes) lors de l’offensive du FPR, le 1er octobre 1990, de sortir des camps d’instruction où ils se trouvaient en tant que conseillers militaires, de rejoindre immédiatement les collines centrales aux alentours de Kigali et de revêtir la tenue civile, conformément aux dispositions contenues dans nos accords de coopération ". Il s’est " félicité de cette décision qui a permis, lors de l’attaque de Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, de protéger plus facilement les ressortissants français qui avaient été regroupés. "

Activités du détachement Noroît sous le commandement de l’attaché de défense

Le détachement Noroît envoyé pour protéger les ressortissants français a procédé à une série d’évacuations qui se sont déroulées selon le processus minutieusement prévu : recensement puis regroupement et évacuation par avion à partir de l’aéroport de Kigali.

Un télégramme du 12 octobre 1990 adressé à Paris par l’Ambassadeur de France à Kigali dresse le bilan des évacuations de la communauté française entre le 5 octobre et le 12 octobre : 313 Français ont quitté le Rwanda pour Paris soit par des vols réguliers ou spéciaux d’Air France affrétés pour la circonstance par le ministère des Affaires étrangères, soit par un vol régulier de la compagnie belge Sabena. Certains d’entre eux sont allés à Bangui par avion Transall.

Il reste à cette date 290 Français au Rwanda, dont 178 se trouvent à Kigali parmi lesquels le personnel de l’ambassade, 16 coopérants militaires et 16 coopérants civils avec leurs familles, 102 personnes relevant du secteur privé, des organisations internationales et des ONG.

Activités du détachement Noroît sous le commandement du commandant des opérations

Au cours de la période où le Général Jean-Claude Thomann, alors Colonel, a assuré le commandement de l’opération Noroît, celui-ci, aux dires même du Colonel René Galinié, " a mené à cette période une opération indispensable de recensement et de localisation de chaque expatrié. Cette action a été très appréciée par nombre d’ambassades qui ne connaissaient pas le nombre de leurs ressortissants. Il a confirmé la mise en place d’un dispositif d’assistance et de sécurité dans Kigali au profit des expatriés de l’école française et de l’ambassade. "

Dans son rapport de mission, le Général Jean-Claude Thomann indique qu’en plus des activités liées à l’accomplissement de sa mission-protection et planification de l’évacuation des ressortissants français-, le détachement Noroît a également procédé à des activités très diverses comme le recensement des livraisons d’armes et de matériels aux forces rwandaises ou l’instruction des FAR, par l’officier Génie du détachement, pour leur apprendre à faire face aux dangers des mines et des pièges.

Dans ce même rapport, le Général Jean-Claude Thomann note de surcroît " le rôle stabilisateur que joue la présence, même non active, d’un contingent d’intervention étranger, pour conforter un pouvoir menacé par une agression extérieure et confronté à un risque non négligeable de troubles intérieurs, d’origine ethnique ou politique. "

Il fait cependant observer que son détachement n’a reçu aucune carte du Rwanda à son départ de France et que le 8ème RPIMA a pu remédier à cette " déficience " grâce à une carte du Rwanda récupérée à la Mairie de Castres, ville jumelée avec la ville rwandaise de Huye.

Une telle situation est proprement stupéfiante. Au regard du contexte et de l’objet même de l’opération Noroît, la Mission juge inconcevable qu’elle ait pu se produire.

Par ailleurs, le Général Jean-Claude Thomann souligne l’importance du rôle de la Mission d’assistance militaire (MAM) et des autorités locales qui peuvent fournir l’information, donner des renseignements d’ambiance, préparer les unités. Il rappelle que c’est à ces personnels qu’incombent notamment les réquisitions auprès des autorités locales et la " lourde charge d’avoir défini les consignes de sécurité et de regroupement des ressortissants ainsi que le suivi des listes de ressortissants. " Il conclut en disant qu’il " importe d’entretenir une étroite coordination avec l’attaché de défense et les personnels de l’ambassade afin d’éviter des distorsions préjudiciables à la gestion de la crise entre autorités de tutelle respectives : Coopération, Relations extérieures, Défense, etc. "

Sur le plan opérationnel, le Général Jean-Claude Thomann a reconnu devant la Mission qu’une fois installé, le dispositif de sécurisation autour des points relevant de la responsabilité française (ambassade, résidence, centre culturel...), il était apparu très vite que la mission de sécurisation n’impliquait pas le maintien d’un dispositif aussi important et qu’il avait proposé au Chef d’état-major des armées de ne laisser sur place qu’une compagnie, ce qui a été fait dès le mois de décembre.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr