Le président français Jacques Chirac fait face à une dissidence conduite par Pierre Lellouche et Alain Madelin au sein de son propre mouvement politique. Les deux députés mènent campagne pour que la France s’aligne sur les États-Unis. Tous deux sont membres de think thanks états-uniens, dans lesquels ils côtoient des faucons de l’administration Bush.
Le président Chirac, dont la politique irakienne avait reçu le soutien solennel de 122 députés de son parti (l’UMP), est aujourd’hui contesté dans ses propres rangs. La dissidence est conduite par Pierre Lellouche et Alain Madelin qui, tous deux, tentent de rallier la France aux États-Unis. Ils ont choisi de mettre directement en cause la capacité du président de la République à conduire la politique étrangère du pays au moment où une campagne internationale de dénigrement contre Jacques Chirac est organisée par le département de la Défense.
Dans les années soixante, déjà, le président Charles De Gaulle avait dû identiquement affronter le lobby atlantiste dans son propre parti. Lâché par les États-Unis qui lui reprochaient de laisser le champ libre aux Soviétiques en Algérie, De Gaulle dû faire face au « putsch des généraux », puis à une série de tentatives d’assassinat (voir à ce sujet notre investigation : « Quand le stay-behind voulait remplacer De Gaulle »). Lorsqu’il eut repris la situation en main, il expulsa l’OTAN et dénonça l’influence d’hommes politiques financés par Washington. S’en prenant à Jean Lecanuet et Alain Poher, il stigmatisa « le Parti de l’étranger ».
Cette expression fut reprise, en 1978, par Jacques Chirac dans son « Appel de Cochin ». Le jeune Premier ministre s’en prenait directement au président Giscard d’Estaing. Il dénonçait avec violence l’instrumentalisation des institutions européennes par les États-Unis pour faire rentrer la France dans le rang atlantiste : « Il est des heures graves dans l’histoire d’un peuple où sa sauvegarde tient toute dans sa capacité de discerner les menaces qu’on lui cache […]. Tout nous conduit à penser que derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l’inféodation de la France, on consent à l’idée de son abaissement. En ce qui nous concerne, nous devons dire non […]. Comme toujours lorsqu’il s’agit du rabaissement de la France, le Parti de l’étranger est à l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante. Français ne l’écoutez pas. C’est l’engourdissement qui précède la paix et la mort ».
Dans le bras de fer actuel, Alain Madelin ne s’est pas contenté pas de saper l’autorité du président Chirac dans son parti, il est allé chercher des appuis outre-atlantique pour renforcer son offensive. Ainsi, s’est-il exprimé, le 11 avril 2003, devant un parterre de dirigeants conservateurs à l’Heritage Foundation, le think thank des reaganiens. Il y a présenté Jacques Chirac comme un mégalomane, qu’il a qualifié de « Napoléon Junior », et les dirigeants français comme d’incorrigibles orphelins du marxisme devenus les propagandistes dans le monde de l’anti-globalisation et de l’anti-américanisme. La prestation a été si appréciée que le service d’information du département d’État lui a consacré une dépêche : « Un politicien français regrette que les États-Unis aient essuyé des critiques ».
Nous reproduisons ci-dessous une notice biographique d’Alain Madelin que nous avions publiée il y a cinq ans, ainsi qu’une notice relative à Pierre Lellouche.
Alain Madelin, de l’extrême droite française aux think thanks états-uniens
Après une jeunesse mouvementée à l’extrême droite, Alain Madelin est recruté par l’Institut d’histoire sociale, une officine anticommuniste mise en place par les services états-uniens autour d’anciens dirigeants collaborationnistes. Il y participe à la diffusion en France des idées libérales de l’École de Chicago, puis essaie d’appliquer dans la vie politique française les méthode états-unienne, en s’entourant notamment d’un « think tank » de grands patrons. En 1996, il participe à la création de la New Atlantic Initiative, qui rassemble le gratin du Pentagone et du Département d’État. Il préside l’International Center for Research on Environnemental Issue.
Alain Madelin est né le 26 mars 1946 à Paris. Il est cousin du père Henri Madelin, ancien provincial des jésuites et actuel aumônier national du Mouvement des cadres et dirigeants chrétiens.
À dix-huit ans, en 1964, Alain Madelin fonde le mouvement Occident avec ses camarades Alain Robert, Gérard Longuet, François Duprat, Xavier Raufer et Nicolas Tandler.
Après l’échec de la candidature Tixier-Vignancourt et le départ de Pierre Sidos, fin 1966, Alain Madelin, qui a été remarqué par Georges Albertini, est engagé à l’Institut d’histoire sociale (IHS), une officine anticommuniste mise en place par les services américains autour d’anciens dirigeants collaborationnistes. Tout en y travaillant, il finit ses études de droit et devient avocat au barreau de Paris. À l’IHS, Georges Albertini s’efforce de « blanchir » le jeune militant d’extrême droite, de lui donner une solide formation anticommuniste, et de lui ouvrir les portes des organisations politiques respectables. Bientôt, ce brillant élève devient l’un des six professeurs permanents de l’IST, l’appendice de l’IHS agréé organisme de formation continue par le ministère de l’Éducation nationale. Dans le cadre du 1 % patronal, Alain Madelin y forme les cadres de grandes entreprises à mener bataille contre les syndicats. Il dirige aussi l’un des nombreux bulletins édités en marge de l’IHS, Informations politiques et sociales. Simultanément, il rejoint les Républicains indépendants (FNRI) et se présente aux élections législatives de 1973 dans les Hauts-de-Seine. En 1974, avec Hubert Bassot, il met en place le service d’ordre de la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing, en recrutant leurs anciens camarades d’Occident, passés entre-temps à Ordre nouveau. Toujours pendant cette campagne, Alain Madelin et les permanents de l’IHS produisent un bulletin anti-Mitterrand, Spécial Banlieue, au titre d’une société, SA Média-Production, dont les principaux actionnaires sont Catherine Barnay et Patricia Sallustri, épouse d’Alain Madelin. En 1977, il devient membre du secrétariat national des Républicains indépendants et chargé de mission au cabinet de Claude Coulais, secrétaire d’État à l’Industrie. En 1978, il est élu député (UDF-PR) d’Ille-et-Vilaine et devient délégué national du Parti républicain (ex-FNRI) chargé de la formation, fonction qu’il remplit dans le cadre de ses activités à l’IHS. Pendant la législature, il préside à l’Assemblée les groupes d’études sur l’informatique et sur les problèmes de la faim dans le monde. En 1981, il participe à l’équipe de campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing. Réélu député, il devient délégué national du PR, chargé de la communication.
Il semble qu’il cesse ses fonctions à l’IHS, mais pas ses contacts, lorsque celui-ci est réorganisé, en 1983, à la mort de Georges Albertini. Il se consacre alors essentiellement au PR, dont il devient délégué général, en 1985. En 1986, il est élu conseiller régional de Bretagne et nommé ministre de l’Industrie des P&T et du Tourisme dans le gouvernement Chirac. Il s’entoure alors d’un « think tank » de grands patrons, le Grenelle Consulting Group. Ce noyau donne naissance à l’Institut Euro 92 d’Henri Lepage, dont il est président. C’est à cette époque que, fidèle à ses contacts américains, il devient membre de la très fermée Société du Mont Pèlerin, le club international des économistes libertariens.
En 1988, il est réélu député d’Ille-et-Vilaine et devient secrétaire général du PR. En 1989, il dirige la campagne de la liste UDF aux élections au Parlement européen, dont la tête de liste est Valéry Giscard d’Estaing. Élu lui-même au Parlement européen, il abandonne ce mandat, préférant siéger à l’Assemblée nationale. Simultanément, il devient, en 1992 membre du bureau politique de l’UDF et vice-président du Conseil régional de Bretagne.
En 1993, il est nommé ministre des Entreprises et du Développement économique dans le gouvernement Balladur. C’est à cette époque qu’il crée le mouvement Idées-Action, s’assurant ainsi une autonomie au sein du PR dont il devient le premier vice-président.
En 1995, il s’engage dans la campagne présidentielle de Jacques Chirac pour qui il rédige un programme stigmatisant la fracture sociale et assurant qu’elle peut être résolue par une politique ultra-libérale. Après la victoire de Jacques Chirac, il est nommé ministre de l’Économie et des Finances du 1er gouvernement Juppé. Il en est débarqué, trois mois plus tard, après qu’Alain Juppé eut pris connaissance de la littérature interne de son cabinet. Celui-ci, composé de quarante-neuf membres (quatorze officiels et trente-cinq officieux), préparait en secret une série de décrets en vue de la « révolution libérale » qui devait intervenir dans une situation de crise majeure qu’Alain Madelin appelait de ses vœux.
En 1996, il se rapproche des lobbies religieux et introduit des références aux valeurs chrétiennes dans ses discours publics. À la même époque, il participe à la création de la New Atlantic Initiative, une émanation de l’American Enterprise Institute chargée de promouvoir l’extension de l’OTAN et l’établissement d’une zone de libre-échange américano-européenne. En 1997, il participe à diverses tentatives de constitution d’un pôle « national, libéral et moral » avec le CNI d’Olivier d’Ormesson, le MPF de Philippe de Villiers, Demain la France de Charles Pasqua, et même le MDC de Jean-Pierre Chevènement. En définitive, aux élections législatives seuls le CNI et le MPF firent accord. Au lendemain de la consultation, Alain Madelin aida François Léotard à arracher la présidence de l’UDF à Valéry Giscard d’Estaing à la condition de lui laisser la présidence du PR qu’il rebaptisa en Démocratie libérale. Ce jeu de chaises musicales rencontra la vaine opposition de Gilles de Robien.
Par ailleurs, Alain Madelin est toujours avocat à la Cour de Paris, associé au cabinet Peisse-Dupichot-Zirah. Il s’y est spécialisé dans le droit de la concurrence, le droit de l’environnement et les arbitrages internationaux, notamment concernant les pays de l’Est. C’est dans ce cadre professionnel qu’il préside l’International Center for Research on Environnemental Issue.
Pierre Lellouche, l’OTAN à l’UMP
Spécialiste des questions de défense, Pierre Lellouche enseigne dans diverses écoles de guerre. En 1992, il devient membre de l’International Institute of Strategic Studies de Londres. En 1993, il est élu vice-président de l’OSCE. En 1994, il est coopté à la Commission trilatérale. Il est, depuis 2002, vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Administrateur de l’Atlantic Partnership, il y siège aux côtés d’Henry Kissinger, de Micheal Howard (qui a publié le célèbre rapport accusant l’Irak de détenir des armes de destruction massive) et d’Henry Hyde (le président de la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants qui vient de faire augmenter les budgets officiels de propagande du département d’État).
Né le 3 mai 1951 à Tunis, Pierre Lellouche est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris et docteur en droit de l’université d’Harvard. De 1974 à 1978, il travaille aux côtés de Raymond Aron au Groupe d’études et de recherches des problèmes internationaux (GERPI). Ce dernier était un intellectuel anti-communiste dont les travaux étaient subventionnés par la CIA (Cf. The CIA and the World of Arts and Letters, The Cultural Cold War par Frances Stonor Saunders, The New Press, 1996). Aron travaillait en étroite collaboration avec Irving Kristol, père de Bill Kristol (actuel directeur de l’hebdomadaire néo-conservateur, The Weekly Standard, qui fit campagne pour la guerre contre l’Irak). Dans cette période, il milite en faveur du développement d’Israël et effectue divers stages en kibboutz.
En 1979, Pierre Lellouche est chercheur, puis directeur adjoint, de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue de l’Institut, Politique étrangère. Il enseigne à l’ENA, à l’IHEDN et dans diverses écoles de guerre. Il collabore à de nombreuses publications, Newsweek, The International Herald Tribune, Le Figaro etc. En 1989, il devient conseiller diplomatique du maire de Paris, Jacques Chirac. En 1992, il entre au comité éditorial de Survival, la revue de l’International Institute of Strategic Studies de Londres. Élu député, en 1993, il devient le spécialiste des questions de défense au RPR. Représentant de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, il est élu vice-président de cette organisation. En 1994, il est coopté à la Commission trilatérale. Lorsque Jacques Chirac est élu président de la République, il devient l’un de ses conseillers diplomatiques.
Pierre Lellouche est aujourd’hui vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. À ce titre, il siège au Comité exécutif de l’European Strategy Group on Common Defence and Common Defence Policy. Il a créé avec Olivier Dassault le Cercle international, une association de chefs d’entreprises et d’hommes politiques atlantistes. Il est éditorialiste de Valeurs actuelles, l’hebdomadaire d’Olivier Dassault dirigé par Michel Gurkinkel, un expert du cabinet états-unien Benador Associates et ami de Richard Perle. Administrateur de l’Atlantic Partnership, il y siège aux côtés de Micheal Howard, président émérite de l’International Institute of Strategic Affairs de Londres - dont Lellouche est par ailleurs membre - et qui a publié, en 2002, le célèbre rapport accusant l’Irak de détenir des armes de destruction massive sur lequel le département d’État s’est appuyé pour justifier de la guerre. À l’Atlantic Partnership, il siège aussi aux côtés d’Henry Kissinger et d’Henry Hyde, le président de la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants qui vient de faire augmenter les budgets officiels de propagande du département d’État.
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