La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Sarkozy.

Mme Nelly OLIN, Présidente.- Monsieur le Ministre, au nom des membres de la Commission d’enquête, je vous souhaite la bienvenue.

Je sais que vous avez un programme extrêmement chargé, je vous remercie donc d’avoir pu libérer du temps pour venir nous exposer la politique que vous voulez mettre en oeuvre sur les produits illicites et avoir la gentillesse bien sûr de répondre à nos questions.

Vous n’êtes pas sans savoir que c’est un fléau national, au-delà d’être international, et qu’aujourd’hui c’est une jeunesse et quelques générations qui sont en grave difficulté. Nous avons en tout cas le devoir de tout mettre en oeuvre les uns et les autres pour faire en sorte que cela n’aille pas plus loin et essayer surtout d’endiguer cette vague.

Je vous laisse le temps d’exposer et si vous le permettez Monsieur le Ministre, ensuite M. le rapporteur, Bernard Plasait, rebondira sur vos propos et votre présentation pour un certain nombre de questions et je ne doute pas que mes collègues sénateurs, MM. Lagauche, Chabroux et Muzeau pour le moment, mais d’autres vont arriver, en aient également à vous poser. Merci. Je vous donne volontiers la parole.

M. SARKOZY.- Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le premier constat est empreint d’une certaine inquiétude sur l’évolution de la consommation de produits stupéfiants en France.

Je crois que toute personne qui regarde la situation telle qu’elle est, avec le regard le plus objectif et le plus responsable, ne peut être qu’inquiète. Disons-le clairement, la situation n’a fait que se dégrader ces dernières années. Quand je parle de dégradation, c’est de forte dégradation dont il s’agit, à tel point que la France détient un record dont elle se serait bien passée : la France est le premier pays d’Europe où les jeunes de 16 ans consomment du cannabis. Nulle part ailleurs en Europe, la consommation de cannabis est à ce point répandue chez les plus jeunes.

Sur le front de l’offre, les saisies douanières et policières démontrent que la production des différentes drogues augmente et que notre demande intérieure ne baisse pas.

L’arrivée de quantités toujours plus importantes de drogues de synthèse dans notre pays risque à court terme d’entraîner, et j’emploie les mots à dessein, une nouvelle épidémie de consommation, mettant ainsi gravement en danger la santé des plus jeunes. Vous avez entendu plusieurs de mes collaborateurs sur ce point, je n’ai donc pas besoin d’y revenir.

Pour autant, je voudrais que votre commission m’autorise à rappeler quelques chiffres en matière de consommation. Ceux-ci sont proprement consternants.

50 % des jeunes ont consommé du cannabis et 25 % le font de manière habituelle.

Entre 2000 et 2002, le nombre de jeunes gens ayant expérimenté l’ecstasy a tout simplement doublé. Tel est également le cas pour la cocaïne. Il n’est guère que la consommation d’héroïne qui a été stabilisée. Encore faut-il s’interroger sur la pertinence de ce constat, compte tenu de la politique de substitution de ce produit à l’aide d’opiacés de synthèse, qui conduit, tenez-vous bien, 80 000 toxicomanes à consommer des produits de substitution. Voilà où nous en sommes, la moitié des jeunes, un quart habituellement, consommateurs d’ecstasy, cela double, ainsi que les consommateurs de cocaïne. Sur le front de l’héroïne on dit que l’on stabilise, mais dans le même temps 80 000 consommateurs toxicomanes prennent des produits de substitution.

Ces résultats d’enquêtes témoignent d’une réalité consternante et il faut regarder celle-ci en face, nous sommes devant un phénomène de banalisation de la consommation des produits stupéfiants, quels qu’ils soient, parmi les jeunes. La drogue est banalisée, la consommation de drogue est banalisée et il est faux de dire que certains produits le sont davantage que d’autres.

Ce constat est dérangeant pour notre pays et doit être posé si nous voulons être responsables au regard de l’avenir de la santé des plus jeunes.

Je n’emploierai pas la langue de bois, Madame la Présidente, la gravité de la situation ne l’autorise pour personne. Je ne prétends pas, bien sûr, avoir la vérité, mais je veux affronter une réalité.

Force est de constater que le discours officiel, institutionnel, a entraîné une grande confusion dans les esprits, notamment en détournant -j’emploie le mot à dessein- la notion de prévention des risques. Que l’on me comprenne bien, je ne renie pas la prévention des risques, naturellement ; c’est une politique utile et justifiée dès que la santé et bien sûr la vie des usagers est susceptible d’être mise en cause.

Je n’ignore en rien les aspects sanitaires de la problématique de la consommation de produits stupéfiants, ni l’absolue nécessité de développer dans ce cadre des actions de santé publique et des politiques de soins ; mais nous devons tous veiller, quels que soient nos engagements politiques, à ce que cette politique réaliste ne soit pas dévoyée à d’autres fins, comme elle l’est pour le "testing" pour l’ecstasy. Disons les choses là encore telles qu’elles se présentent.

Les Pouvoirs Publics sont-ils par exemple obligés de soutenir financièrement des associations qui testent la qualité des pilules d’ecstasy pour que les consommateurs puissent les consommer "proprement" ?

Y a-t-il une consommation propre de pilules d’ecstasy quand nous voyons l’épidémie de consommation de produits stupéfiants chez les jeunes Français ? Moi, je ne le pense pas. En tout cas, je souhaite que nous en débattions et sans faux-semblant ni parti pris. Ne nous leurrons pas, je ne suis pas sûr que la politique de réduction des risques ait été le seul fondement de ce discours. Cela serait faire peu de cas de la volonté déclarée de certains d’obtenir la dépénalisation de l’usage des drogues, au nom de la liberté de chacun de faire ce qu’il veut.

Il a suffi de placer sur le même plan les drogues illicites avec le tabac et l’alcool pour ensuite prétendre que la seule politique à mener était la lutte contre les abus et non plus celle contre l’usage. Lutter contre les abus était noble, mais contre les usages une tout autre affaire.

L’augmentation massive de l’usage de cannabis et d’ecstasy dans notre pays, notamment parmi les mineurs, a montré l’incohérence de cette analyse.

Les études les plus récentes évoquent les dangers réels de l’ecstasy et du cannabis. Ce dernier est d’ailleurs une drogue de moins en moins douce, si tant est que nous puissions employer l’expression "drogue douce", qui est un contresens parfait. Soit c’est une drogue, et dans ce cas-là elle n’est pas douce, soit elle est douce et dans ce cas-là ce n’est pas une drogue.

Et même s’il n’est pas démontré que l’usage de ces substances, l’ecstasy et le cannabis, conduit automatiquement à la consommation de drogues injectables, force est de constater qu’il y a, que cela plaise ou nous, une corrélation directe entre la masse des expérimentateurs et celui de toxicomanes dépendants. A force d’expérimenter, on finit par s’habituer.

J’ajoute que le discours complaisant à l’égard de la transgression, fortement relayé par certains milieux dits "branchés", soutient de fait l’économie souterraine. Nous le voyons quand la police ou la gendarmerie démantèle desréseaux. Qui trouve-t-on et en liaison avec qui ? Le pouvoir d’achat ne vient pas que des jeunes dits des banlieues, mais d’ailleurs. Le trafic dans les halls d’immeubles ou encore la loi des bandes pour que la police ne vienne plus perturber les trafics locaux, où va cette consommation et pour quel genre de soirée ?

Ce discours a une conséquence directe : l’exaspération d’un grand nombre de nos concitoyens face à un Etat qui ne défend plus la loi. Or, la réponse des Pouvoirs Publics a été, il faut bien le dire, aléatoire et bien peu compréhensible pour la population.

Vous l’avez compris, j’appelle donc de mes voeux une politique de rupture.

Je rappelle en effet que selon un sondage récent, 65 % des Français sont hostiles à l’autorisation de l’usage du cannabis et 88 % le sont en ce qui concerne l’usage de l’héroïne. Nous pouvons d’ailleurs nous poser une question pour les 12 %, quand nous connaissons les ravages de l’héroïne.

Je souhaite donc que notre engagement soit de nouveau clair et connu de chacun. Nous ne voulons pas organiser l’usage des drogues, mais bien le voir diminuer et cela quelle que soit la nature des drogues consommées et la fréquence de cet usage. Le combat est pour que de moins en moins de jeunes consomment de moins en moins de drogues, quelles que soient ces drogues, quels que soient ces jeunes.

Certaines substances sont illicites, mais il n’y a pas de drogues douces ou dures, pas de petite consommation personnelle, pas d’expérience individuelle, pas de jeunes "libres et branchés" ; il n’y a que des drogues interdites, des usagers qui mettent en péril leur santé et transgressent la loi, drogues interdites parce que quoi que l’on ait pu en dire parfois, toutes les drogues sont nocives. Ce n’est pas parce que des effets "positifs" de certaines drogues ont pu être enregistrés dans le traitement de la douleur qu’elles sont pour autant salutaires pour la santé.

Il faut ajouter, et c’est important, que ce ne sont pas les jeunes qui sont visés, mais bien ceux qui transgressent la loi, quel que soit leur âge.

La force de ce discours et sa clarté sera la première des préventions. Il est fondamental que le discours public soit clair, car il est un signal pour tous, comme nous le voyons en matière de délinquance routière. En matière de délinquance routière, nous obtenons des résultats par la force du discours, par l’appel à la responsabilité. En matière d’usage des drogues, nous obtiendrons également des résultats par la force du discours, par la prévention.

La cohérence de cette politique repose donc sur une organisation modernisée de notre dispositif de lutte contre la drogue.

Le maintien au plan national d’un outil véritablement interministériel, la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, me paraît souhaitable, à la condition que la MILDT inscrive strictement son action dans les orientations arrêtées par le Gouvernement. Je suis sûr que son Président, le Dr Jayle, saura mener à bien cette mission.

Il faut également clarifier la question essentielle du champ de compétence de la MILDT et sortir d’une ambiguïté aujourd’hui voulue.

Il faut distinguer la lutte contre les drogues licites et les drogues illicites. Nous pouvons nous demander s’il ne serait pas raisonnable de sortir la lutte contre le tabagisme du champ d’activité de la MILDT, dans la mesure où si le tabac est incontestablement nocif pour la santé, il ne génère pas de délinquance en lui-même. J’estime que retenir le seul critère de la dépendance est insuffisant et conduit à rendre nos messages inaudibles et confus. Les jeux de hasard, le café, ou le chocolat, et je confesse en savoir quelque chose, entraînent une dépendance, c’est incontestable, mais à l’évidence la consommation de chocolat n’entraîne pas les mêmes conséquences pour la société et les individus. Ils ne doivent pas relever du dispositif interministériel.

Au plan local, la cohérence de l’action s’impose également. Je souhaite à cet égard que les questions relatives à la prévention de l’usage des drogues et de la toxicomanie, dans le respect du plan gouvernemental en cours de rédaction, soient couvertes par le projet de loi sur la prévention de la délinquance que le Premier Ministre m’a chargé de préparer. Il convient là aussi de clarifier le discours.

Il faut également clarifier les rôles, en identifiant qui est responsable de quoi et en lui donnant des objectifs précis.

Il faudrait, selon moi, mobiliser l’ensemble du dispositif de prévention autour de cette question. La lutte contre la drogue doit s’intégrer pleinement dans le dispositif territorial de prévention rénové que nous allons mettre en place. Je pense notamment au Conseil Départemental de Prévention, aux Conseils Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance. Je crois également indispensable de généraliser les Comités d’Education à la Santé et à la Citoyenneté, qui sont dans les établissements scolaires les mieux à même de faire travailler ensemble les différents intervenants.

Dans ce dispositif, la commune doit avoir un rôle beaucoup plus important et ce en raison de la connaissance fine du terrain qu’ont les maires et les élus, ainsi que leurs collaborateurs.

Je souhaite également que dans ce domaine comme dans d’autres soient réaffirmés le rôle et la responsabilité des adultes, quel que soit leur domaine d’activité. Je pense aux enseignants, qui sont souvent les premiers confrontés aux effets de l’usage de ces substances et notamment de leurs conséquences en matière d’absentéisme ou d’échec scolaire.

Je pense également bien sûr aux parents, qui malgré l’importance de leur mission éducative ont été les grands oubliés des politiques passées. Or, il est nécessaire de répéter que le premier acteur de la prévention n’est pas un fonctionnaire, mais un père ou une mère de famille informé, responsable, concerné et qui doit être soutenu par la collectivité si besoin en est.

Je souhaite à cet égard que les associations familiales ou de parents soient mieux associées à l’élaboration de notre politique.

S’agissant de la prévention, j’ajoute que les 480 formateurs relais antidrogue de la gendarmerie nationale et les 266 policiers spécialement formés pour mener des actions de sensibilisation s’impliqueront tout particulièrement dans la mise en place de cette nouvelle politique.

Je rappelle également l’implication du ministère de l’Intérieur dans ce domaine. 545 000 personnes, parents, enseignants et autres fonctionnaires ou élèves, ont bénéficié d’actions de prévention l’année avant même mon arrivée, puisque c’était en 2001, ce qui est quand même une action de prévention extrêmement forte.

Je souhaite que d’autres ministères aient à coeur de s’impliquer à l’avenir autant que la police et la gendarmerie.

Un discours clair, une organisation efficiente ne permettront d’agir que si nous disposons d’un cadre législatif rénové.

L’évolution des substances et des pratiques a provoqué une situation peu acceptable en démocratie. Convenons là encore que ce devrait être un point d’accord.

L’existence d’une loi dure, très dure, parfaitement vidée de son sens par une application molle, très molle. La loi est dure, mais chacun sait qu’elle n’est pas appliquée. Voilà le constat qui pourrait nous rassembler tous.

Il ne faut pas nier l’évidence, la sanction de la consommation de produits stupéfiants s’est faite beaucoup plus légère. Deux chiffres illustrent cette affirmation. En 2001, avant que j’arrive, on ne peut donc pas dire que c’est moi qui ai demandé qu’on les interpelle, 71 667 usagers de drogues ont été interpellés par la police ou par la gendarmerie, moins de 8 % ont été sanctionnés par la justice. Je rappelle qu’en 1990, il y a 13 ans, le taux de sanctions prononcées sur les usagers était encore de 30 %. Ce sont des chiffres. Après, chacun les exploitera, leur fera dire ce qu’il veut, mais j’observe. En 1990, on sanctionnait 30 % des usagers ; en 2001 moins de 8 % et nous nous retrouvons tous pour constater que la situation ne fait qu’empirer. Peut-être y a-t-il là matière à réflexion ?

Cette forte baisse de la sanction, disons-le clairement, a été un choix politique. L’adaptation des réponses judiciaires prévues par la circulaire de la Chancellerie du 17 juin 1999 s’est surtout traduite par la préconisation de toutes les mesures d’évitement de la sanction, tout mieux que la sanction. Le résultat est que pour 9 consommateurs sur 10, à peu près avec les 8 %, l’usage des stupéfiants s’est trouvé de fait dépénalisé. Les alternatives aux poursuites n’ont pas été d’une grande vigueur et le nombre d’injonctions thérapeutiques extrêmement faibles.

Je veux souligner, parce que c’est mon devoir, que dans ce contexte les services de police et de gendarmerie n’ont malgré tout, et c’est très méritant, pas relâché leurs efforts. Il faut du mérite, parce que cela donnait vraiment l’impression de vider la mer méditerranée avec une cuillère à café.

De 1990 à 2001, le nombre d’interpellations a été multiplié par trois. Nous nous trouvons dans une situation invraisemblable. Sur les 10 dernières années, on multiplie par trois les interpellations et sur les mêmes 10 dernières années on passe d’un taux de sanctions pour les consommateurs de 30 % à moins de 8 %. Pouvons-nous voir plus incohérent ? Là encore je ne me fais pas l’avocat de telle stratégie ou de telle autre à ce point de mon exposé, de mon petit propos, je dis que cela n’a aucun sens. Nous gâchons des millions d’heures de policiers et de gendarmes.

Comment maintenir cette mobilisation des policiers et des gendarmes si l’on peut en toute impunité fumer du cannabis à la sortie même du tribunal où l’on a été convoqué ? Quelle logique y aurait-il à vouloir éradiquer les trafiquants sans lutter contre la consommation ?

Tolérer la consommation est favoriser le travail des trafiquants, évidemment. Si le nombre de consommateurs augmente et si l’on peut tranquillement consommer, pourquoi voudriez-vous que les grands réseaux de trafiquants internationaux ne considèrent pas que notre pays est un lieu d’atterrissage, d’expansion et de commercialisation particulièrement sympathique, puisque vendre de la drogue est très mal, mais on ne dit rien si l’on en consomme ? Si ce n’était pas si grave, nous pourrions parler d’incohérence.

Depuis quelques années, le discours dénonce donc les trafiquants, mais reste complaisant avec les usagers qui détiennent quelques grammes de cannabis ou quelques cachets, toujours pour leur consommation personnelle. C’est un illogisme absolu puisque, je l’affirme, il ne peut y avoir de trafic sans consommation.

Il faut donc reconsidérer la loi de 1970, qui a vieilli et qui n’est manifestement plus adaptée aux réalités.

En 1970, l’objectif a d’abord été de traiter l’augmentation considérable de l’usage de l’héroïne. Chacun s’en souvient, le problème du législateur de 1970 était bien l’augmentation de la consommation d’héroïne.

La loi a ainsi créé des sanctions très dissuasives pour que les usagers dépendants acceptent de se désintoxiquer. C’est là qu’est apparu pour la première fois, à ma connaissance, le dispositif de l’injonction thérapeutique.

De fait, la procédure et les sanctions prévues apparaissent aujourd’hui peu adaptées et trop lourdes face à la consommation très importante de nouvelles substances de type cannabis et ecstasy, alors que la plupart des usagers de drogues injectables ont rejoint des programmes dits de substitution.

La disproportion entre ce qui est prévu et ce qui est pratiqué est manifeste, entre l’interpellation d’une personne en train de fumer du cannabis et la nécessité de mettre en oeuvre une procédure judiciaire très lourde, trop lourde.

Pour que la lutte contre l’usage de drogues devienne une réalité, car c’est bien de cela qu’il s’agit, une réalité, il faut que chaque interpellation donne lieu rapidement à une véritable réponse, qu’elle soit de sanction ou d’orientation vers les autorités sanitaires, que l’on ne banalise pas cela.

Il est nécessaire de mettre en place un dispositif réellement applicable par les policiers, les gendarmes et les magistrats bien sûr, qui selon moi doit gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement à l’encontre des simples usagers.

En revanche, il est indispensable de prévoir la création d’une échelle de sanctions adaptées permettant de punir réellement et rapidement tant les mineurs qui consomment occasionnellement du cannabis ou de l’ecstasy que les usagers d’héroïne qui refusent les soins ou la substitution.

Oui, Madame la Présidente, je demande que soient prévues des sanctions pour consommation, mais pour que celles-ci soient efficientes, il faut qu’elles soient réelles, donc que nous arrêtions d’avoir des sanctions très lourdes, d’emprisonnement, qui ne sont jamais utilisées -je parle de cannabis, ecstasy pour le consommateur, pas pour le trafiquant, nous sommes bien d’accord-, mais que nous en prévoyions toute une palette.

Puis-je oser donner quelques pistes ? Il y a bien sûr l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, un stage, peut-être le recul de l’âge pour passer le permis de conduire, peut-être la confiscation du scooter lorsqu’il y en a un. Le législateur peut en la matière imaginer une panoplie de sanctions adaptées à l’âge de ceux que nous voulons dissuader de consommer de la drogue, parce que la drogue est la mort pour eux.

Prévoir tant d’années de prison n’a pas beaucoup de sens dans la mesure où ce n’est jamais appliqué, mais à l’inverse, parce que des sanctions sont trop lourdes et ne sont pas appliquées, n’en prévoir aucune n’en a non plus aucun. Je crois profondément que la sanction a une utilité préventive et éducative, mais encore faut-il qu’elle puisse s’appliquer.

Nous devons par ailleurs inventer un dispositif qui évitera les écueils des procédures trop lourdes qui encombrent aujourd’hui la justice, qui a bien d’autres choses à faire.

L’objectif est donc des sanctions adaptées à l’âge des consommateurs et une procédure simple, rapide, respectueuse des droits et systématiquement appliquée, notamment en ce qui concerne les mineurs.

Quand un mineur de 16 ans consomme régulièrement de la drogue, si vous le laissez sans en tirer aucune conséquence, cela s’appelle de la non-assistance à personne en danger. Ayons le courage de voir les choses en face, même si dans certains milieux "branchés" on dit que c’est sa part de liberté, ce qui est à la fois choquant et incohérent.

Cette politique serait incomplète si nous n’amplifions pas nos efforts contre l’offre de drogues. Il est évident que pour réduire l’usage des drogues parmi nos concitoyens, nous allons faire la guerre aux trafiquants. Police et gendarmerie sont maintenant dotées de structures particulièrement efficaces dans la lutte contre l’économie souterraine.

Qu’il me soit permis de dire un mot des GIR. Les GIR existent depuis une dizaine de mois, très exactement depuis l’été 2002. Les GIR, rien que sur la lutte contre la drogue et l’économie souterraine, ont engagé 335 opérations, qui ont conduit à 2 500 arrestations, à la saisie d’une tonne de résine de cannabis, de 25 000 comprimés d’ecstasy et de 24 kilos d’héroïne et de cocaïne. Manifestement, les GIR sont la voie la plus adaptée pour lutter contre l’économie souterraine.

Nous avons d’ailleurs constaté, ce qui est très préoccupant, que cela demande aux services beaucoup de travail, parce que maintenant les trafiquants travaillent en flux tendu, il n’y a pas de stocks. La drogue arrive souvent du Maroc, via l’Espagne, est répartie dans un certain nombre de quartiers. Elle arrive de nuit et est repartie au petit matin. C’est la raison pour laquelle, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, il n’y a plus maintenant de saisies extrêmement spectaculaires. Les trafiquants pratiquent aussi le flux tendu, la gestion de stocks.

En 2003, les GIR seront renforcés par de nouveaux moyens humains, matériels et juridiques. Je pense par exemple à la possibilité d’identifier les réseaux maffieux installés dans certains quartiers, qui sera ouverte par la levée du secret fiscal, qui est un élément essentiel pour lutter contre l’économie souterraine. Je veux d’ailleurs rendre hommage à l’action de l’administration fiscale en la matière, courageuse et intelligente.

Cette action pourra encore être améliorée en décidant d’affecter une partie du produit du fonds de répartition des saisies, actuellement géré par la MILDT, pour que ces fonds puissent bénéficier aux actions répressives telles que les infiltrations de policiers et de gendarmes dans des réseaux de trafiquants.

Plus généralement, tous les services se sont fortement mobilisés en 2002 dans la lutte contre la toxicomanie. Par rapport à 2001 c’est simple, les arrestations de trafiquants ont augmenté de 20 % ; nous avons arrêté en 2002 20 % de trafiquants en plus. Les interpellations d’usagers ont augmenté de 13 % et le nombre de saisies de drogue s’est accru de 23 %. Ces chiffres se passent de commentaires.

Aujourd’hui, la lutte contre le trafic exige un net renforcement de la coopération internationale, tout d’abord au sein de l’Union européenne. C’est un domaine, hélas, dans lequel chacun de nos pays a choisi une voie spécifique. Certains ont fait le choix de la tolérance à l’égard du cannabis. D’autres se sont engagés dans des expérimentations sur sa dépénalisation. Pour notre part, il nous faut faire le choix d’exiger que les politiques menées dans ces pays ne débordent pas dans le nôtre. L’uniformisation des politiques de lutte contre la toxicomanie est hélas prématurée, mais elle serait pourtant bien souhaitable, les réseaux étant internationaux.

Cela passe également par un soutien sans faille de l’ONU, qui s’efforce avec une légitime détermination de faire ratifier les trois conventions internationales interdisant la légalisation du commerce des drogues et la dépénalisation du cannabis.

Enfin, cela passe par la coopération avec les pays d’origine de ces drogues pour soutenir leur lutte principalement, en participant à la formation de leurs équipes, mais aussi en les aidant à se doter de moyens adaptés sur le plan répressif.

Je recevais le ministre de l’Intérieur du Pakistan il y a quelques semaines. Je serai avant l’été au Pakistan, qui a je crois 2 400 kilomètres de frontière commune avec l’Afghanistan. L’Afghanistan est, hélas, redevenu un des grands producteurs mondiaux. Nous allons envoyer des équipes de formateurs de la police française pour aider le Pakistan à engager une lutte sans merci contre les grands trafiquants.

Je serai avant le mois de juillet en Colombie pour signer des accords de lutte contre les réseaux avec le "nouveau Président" colombien, enfin il est déjà là depuis quelques mois, et son gouvernement, en prépositionnant des fonctionnaires spécialisés français dans ces pays pour faire du renseignement et essayer de démanteler des réseaux, qui sont naturellement internationaux.

L’enjeu qui est le nôtre n’est pas d’adopter une nouvelle posture plus ou moins répressive, ce n’est pas mon but, mais bien de moderniser nos structures pour les rendre efficaces.

La liberté d’un homme exclut d’être l’esclave de la drogue. On ne peut pas, de mon point de vue, faire le constat que cela va très mal et en tirer la conclusion qu’il convient une nouvelle fois de ne rien faire.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre. Vous avez affiché clairement votre volonté et celle du Gouvernement de mettre un terme autant que faire se peut à ce fléau qui a envahi notre pays et qui est en train de détruire de jeunes générations, qui feront ou pas la richesse de notre pays.

Vous avez parlé, Monsieur le Ministre, des GIR. Pour ma part, je dois constater qu’effectivement ils sont d’une grande efficacité. Ils font cela sans bruit, sans tapage, mais leurs effets sont bénéfiques pour nos villes en difficulté et nos quartiers sensibles. J’en ai fait l’expérience dans ma ville récemment, ils ont agi. Comme vous l’avez dit, il n’y a plus de stocks, il faut faire très vite. Ils ont redémantelé un réseau et, il faut le dire, une fois de plus qui alimentait ce que l’on appelle un phénomène de mode, en tout cas qui alimentait le show-biz. Je crois qu’il faudra aussi que nous parlions de cela d’une manière claire.

Merci de cette volonté en tout cas, parce que tout parent ou tout éducateur est inquiet. Je crois qu’aujourd’hui des mesures sont à prendre. Vous avez donné plusieurs pistes de réflexion et de la volonté que vous avez affichée et des moyens que vous voulez mettre en oeuvre. Je crois que c’est encourageant, parce qu’au travers de nos auditions, de nos visites sur le territoire français mais aussi à l’étranger, effectivement il y a tout lieu de s’inquiéter si,comme vous le dites, on se contente de constater et de ne rien faire.

Si vous le permettez Monsieur le Ministre, M. le rapporteur a un certain nombre de questions à vous poser et je pense que nos collègues également. Nous allons d’abord laisser la parole au rapporteur, Monsieur le Ministre vous répondrez et mes chers collègues, je vais prendre très tranquillement vos interventions.

M. PLASAIT, Rapporteur.- Merci Madame la Présidente. J’essaierai de ne pas abuser des questions pour laisser, pour une fois, mes collègues poser au ministre toutes celles qu’ils souhaitent.

Je ne reviendrai pas, Monsieur le Ministre, sur la philosophie de votre propos, sauf à dire que j’ai compris que vous vouliez remplacer par un discours fort et compréhensible les mortelles complaisances qui mènent au désastre que nous avons pu constater ces derniers temps.

Nous avons effectué un certain nombre de visites sur le terrain et nous avons pu constater que dans un climat extrêmement difficile, les forces de police, de gendarmerie et comme vous l’avez d’ailleurs souligné, les douanes aussi, font un travail considérable et ont bien du mérite pour ce travail efficace. Je tiens à le souligner parce que finalement quand vous évoquiez tout à l’heure les nombreuses interpellations chaque année auxquelles il n’y a pas de suite judiciaire, nous pouvons évidemment nous interroger sur leur pertinence.

En fait, je crois qu’elles ont de toute façon un intérêt, un avantage, une efficacité. En effet, nous nous sommes aperçus que ces interpellations étaient finalement pour la majorité des jeunes interpellés le premier contact qu’ils avaient avec une autorité susceptible de leur faire un rappel à la loi, à la santé, bref de leur donner les premières informations, qu’ils n’avaient jamais eues tant les carences de la famille, de l’école, de l’éducation, de la société en général sont fortes. C’est donc l’occasion de rendre hommage au travail réalisé par tous ces serviteurs de l’Etat.

Monsieur le Ministre, j’avais deux séries de questions à vous poser, les unes concernant la demande, c’est-à-dire les actions qu’il convient de mener contre la demande, et les autres concernant les actions sur l’offre.

La première de ces questions sur les actions contre l’offre concerne la coordination des services de police, de gendarmerie, des douanes, de justice. C’est donc un petit peu le bilan des GIR. Cette coordination, très technique, des forces d’action directe est-elle satisfaisante ?

Deuxième question, la coordination nationale de tous les acteurs impliqués ou qui devraient l’être dans la lutte contre la drogue et la toxicomanie est-elle vraiment assurée dans une dynamique de combat pour assurer avec efficacité cette lutte ?

Troisième question, la coordination internationale est-elle satisfaisante ? Ne manque-t-il pas, d’une part, une coordination technique entre les différentes instances communautaires et autres et, d’autre part, une véritable coordination politique des 15 Etats de l’Union européenne, qui permettrait une véritable stratégie de lutte contre la drogue, contre le trafic et la consommation, et assurerait une convergence des politiques et peut-être sinon une harmonisation, au moins un rapprochement des législations ?

Puisque vous avez fait un certain nombre de suggestions, ne pensez-vous pas qu’il serait bon de réinventer une sorte de CELAD, ce Comité européen de lutte contre la drogue qui a existé il y a une dizaine d’années et qui a été supprimé ?

Voilà les premières questions que je voulais vous poser concernant l’offre.

M. SARKOZY.- Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, rapidement, la coordination des services sur le plan français, notamment dans le cadre des GIR, fonctionne bien, mieux que nous pouvions le craindre.

Pour dire la vérité, nous avons un petit problème avec les douanes. Il se trouve qu’il y a dix ans, j’ai dirigé les douanes pendant deux ans, en tant que ministre du Budget, je connais donc leur efficacité et leur professionnalisme. Nous avons eu un petit problème un peu administratif. Pour que les meilleurs soient volontaires pour intégrer les GIR, il faut que ceux, douaniers, policiers ou gendarmes, qui les intègrent ne soient pas sortis de leur administration et soient reconnus dans une possibilité d’avancement. Je m’en suis ouvert avec M. Mongin, Directeur Général des douanes, pour mettre ce petit point en place. Cela va se faire.

Il y avait également la spécificité du code des douanes. Nous sommes en train d’harmoniser les choses. Vous savez que policiers et gendarmes ne vivaient pas toujours bien le fait d’être obligés d’avoir un douanier à côté d’eux pour ouvrir le coffre d’une voiture de façon inopinée.

Sur le plan de la coordination des services au plan national, Monsieur le rapporteur, je crois que nous pouvons dire que cela fonctionne bien. Ce n’était pas si évident. On nous avait expliqué que rapprocher policiers et gendarmes allait créer des problèmes considérables. Il y a eu des problèmes, mais ils n’ont pas été considérables et n’ont pas empêché d’agir.

Y a-t-il une dynamique de combat ? Soyons clairs là-dessus, il n’y aura pas une dynamique de combat de chaque instant tant qu’il n’y aura pas une volonté politique clairement exprimée d’une nouvelle étape de la lutte contre le trafic de drogue et l’usage des stupéfiants. Là aussi il y a toujours eu des contrôles sur la route. Il y en a plus aujourd’hui et ils sont plus efficients parce qu’il y a l’expression indéniable d’une volonté politique.

Dans une démocratie, les mots ont un sens, la sémantique a une signification. Disons-nous tous que nous voulons mettre un terme à l’épidémie de l’usage des drogues chez les jeunes ? Si nous le disons, nous donnons un signal politique fort.

Acceptons-nous qu’un jeune sur deux consomme du cannabis ou pas ? Voilà la question qui est posée. Tant que nous ne nous serons pas mis d’accord sur une orientation politique de cette nature, je ne peux pas jurer qu’il y ait la dynamique de combat.

Monsieur le rapporteur, vous voyez bien que je ne mets pas en cause les policiers et les gendarmes, pas même les douaniers. C’est plutôt nous, les responsables politiques, qui le sommes. Eux obéissent.

Troisième remarque, la coopération internationale est-elle satisfaisante ? Oui, elle l’est sur un plan bilatéral, non sur un plan multilatéral.

Puis-je prendre des exemples ? Sur un plan bilatéral, par exemple avec l’Espagne, le ministre de l’Intérieur du gouvernement de M. Aznar, Angel Acebes, homme absolument déterminé et très remarquable, nous travaillons absolument en commun, pas seulement sur la lutte contre les drogues, mais sur le terrorisme, l’ETA et cela fonctionne bien.

Avec M. David Blunkett, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Blair, nous travaillons main dans la main. Avec M. Otto Schily, le ministre de l’Intérieur allemand, sur l’ensemble nous travaillons bien.

Vous avez peut-être vu que nous avons ouvert des CPD, Commissariats Policiers et Douaniers, à toutes nos frontières. Je voudrais qu’à chacune de nos frontières il y ait des patrouilles mixtes, avec le droit de suite. Il est extraordinaire que nos frontières ne soient efficientes que pour nos policiers et gendarmes. C’est quand même extraordinaire. Quand un policier monte dans le train de Vintimille, à Modane, il doit laisser son arme. Cela n’a pas de sens.

La coopération fonctionne bien de ce point de vue, c’est incontestable, notamment avec l’Espagne, qui est très importante. Nous avons engagé un certain nombre d’opérations, dont j’espère nous verrons les résultats dans quelques semaines.

En revanche, cela ne va pas sur le plan multilatéral. Pourquoi ? C’est pour une raison simple, il faut revoir la liste des eurocrimes. Le trafic de drogue n’est pas un eurocrime. Le trafic d’euros en est un.

La question difficile est : à partir du moment où nous faisons du multilatéral, sous quelle autorité cela doit-il être ? Je vous rappelle que nous ne sommes pas dans un travail de police administratif, mais aussi de police judiciaire, dépendant d’un parquet ou d’un juge, ce qui est tout à fait normal.

Sur le plan multilatéral, nous nous heurtons au fait qu’il n’existe pas une autorité judiciaire européenne, qu’Europol est un organisme de coopération plus qu’un organe opérationnel.

Je ne suis pas sûr que réinventer un Comité européen soit à la hauteur du défi. En revanche, que les principaux ministres de la Justice et de l’Intérieur des pays les plus concernés se voient régulièrement pour mettre à l’ordre du jour cela, pour échanger leurs renseignements et agir opérationnellement de concert est tout à fait nécessaire.

Peut-être que la solution à trouver est entre le bilatéral d’aujourd’hui et le multilatéral complet, parce que nos législations n’étant pas les mêmes, je crains qu’en expliquant aux Suédois ou aux Danois que nous allons engager un grand travail de lutte contre la consommation de cannabis chez les plus jeunes, la coopération de la police danoise ou suédoise ne soit pas automatique, puisqu’elles ont une autre vision du problème.

Voilà ce que je pouvais vous dire à grands traits. J’espère avoir répondu à vos questions.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

Monsieur le rapporteur, avez-vous d’autres questions ?

M. PLASAIT.- A la charnière de l’offre et de la demande, à la rencontre des deux...

M. SARKOZY.- Pardon, je précise que je vais en Colombie avec des collaborateurs du ministre britannique et du ministre espagnol, puisque nous avons convenu que nous mutualiserons nos moyens.

Par exemple pour lutter contre l’immigration clandestine, quand David Blunkett ira dans un certain nombre de pays, il signera en notre nom. Nous aurons le même accord.

J’ai proposé que pour la Colombie, à partir du moment où les Espagnols, les Anglais sont sur la même ligne que nous et ont les mêmes problèmes, ce ne soit peut-être pas la peine, Monsieur le rapporteur, d’aller trois fois en Colombie ; nous pouvons le faire en une fois.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

M. PLASAIT.- A la rencontre de l’offre et de la demande, c’est-à-dire sur le marché s’organisant sur les trottoirs, dans les cités, quelquefois à la sortie des écoles, il y a donc le problème des revendeurs, des petits dealers. Là, cette remarque nous est faite très souvent, notamment de la part des parents d’élèves : "C’est un spectacle insupportable".

Les éducateurs demandent comment ils peuvent lutter sérieusement contre l’idée que la drogue, le cannabis sont des délits, alors que devant les yeux de tout le monde, de toute la population, un véritable marché est organisé. Lorsque l’on dit cela aux forces de police, elles répondent souvent : "Oui, mais interpeller un petit dealer présente un inconvénient : cela ne nous permet pas de remonter les filières."

La question que je voudrais vous poser est la suivante : ne considérez-vous pas que même s’il est très important de remonter les filières à partir de ces dealers, il l’est encore plus de chasser systématiquement ces revendeurs de terrain pour supprimer ce désordre d’ordre public proprement insupportable aux citoyens et en même temps pour réduire l’offre de proximité, c’est-à-dire rendre l’acte d’achat plus difficile ?

M. SARKOZY.- La notion de "petit dealer" me fait penser à celle de "drogues douces". Soit on est dealer, soit on ne l’est pas. Qui vous dit qu’il est petit ? Est-ce de petites quantités tous les jours ou une grosse une fois par semaine ? Là encore, nous ne devons pas le tolérer.

La défense des dealers arrêtés par les services de police est toujours la même : "Oui, j’ai quelques cachets. C’est pour ma consommation personnelle et pour mes amis ce soir".

Le seul moyen de remonter à la source est le moyen fiscal. Des opérations ont été engagées. Je pense notamment à l’une des dernières à Colombes, dans un département que vous connaissez bien Monsieur le Sénateur. Un jeune homme de 19 ans n’avait jamais travaillé de sa vie, était au RMI et avait 150 000 ¤ de numéraire sur son compte et 10 MF de propriétés immobilières, sans jamais avoir travaillé de sa vie. Vous le prenez à la sortie en train de consommer ou de dealer, il vous dira qu’il est un petit.

Deuxième remarque, nous nous apercevons que les notions familiales jouent beaucoup maintenant. Nous imaginons le trafic international, mais cela ne se passe pas ainsi, il y a le grossiste international qui amène et de véritables entreprises familiales où toute la famille est concernée, dans des immeubles passés en coupe réglée. Là encore Monsieur le rapporteur, nous tolérons soit tout, soit rien. Vous l’avez compris, je propose que nous ne tolérions rien.

Enfin dernier point, vous êtes un élu de Paris. Je crois que nous pouvons rendre hommage aux services de la Préfecture de police, qui se sont donnés beaucoup de mal dans un certain nombre de quartiers de la capitale pour tout simplement faire revenir l’Etat de droit ; mais c’est fascinant, quand les services lèvent le pied pendant une semaine, cela repart comme avant. C’est pour cela que j’en viens à demander de la sévérité à l’égard des consommateurs, car dans une économie de marché si le client est là affamé de produits, comment voulez-vous éradiquer le commerçant qui les offre ?

Il n’y a pas d’un côté l’ignoble trafiquant qui tente de faibles victimes et de l’autre l’innocent consommateur pour lui et ses amis consommateurs habituels. Il y a un véritable marché de la drogue.

Tolérer qu’un jeune sur deux fume du cannabis, c’est dire à toutes les familles qui mettent leurs enfants dans nos collèges et lycées que nous acceptons une situation où par pression sociale, la pression du milieu ambiant, certains jeunes qui arrivent, qui n’avaient pas du tout l’envie de fumer de la drogue, se trouvent entraînés.

Je ne peux pas penser que les familles donnent leurs enfants à l’Etat pour qu’ils apprennent quelque chose et que nous leur rendions dans un pays où un sur deux fume du cannabis. Il y a quand même une contradiction, une incohérence. Que faisons-nous ? Que leur disons-nous ? En quoi notre responsabilité est-elle ou non engagée ?

Là encore, je crois que la solution la plus efficiente est de dire très clairement que nous n’accepterons pas de voir un jeune fumer de la drogue.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

M. PLASAIT.- Merci Monsieur le Ministre.

M. MAHEAS.- Monsieur le Ministre, une phrase m’a choqué dans ce que vous avez dit. Vous ne souhaitez pas organiser l’usage des drogues. Je vous comprends bien, sauf que nous organisons l’usage de l’alcool et du tabac (60 000 et 40 000 morts). Donc là, il y a quand même philosophiquement une anomalie, qu’on le veuille ou pas. Je crois même savoir qu’il y a des taxes importantes.

L’avantage d’organiser est qu’il y a moins de trafics souterrains, moins d’économies parallèles, encore que avec les taxes sur le tabac, il commence à y en avoir. Avec la dernière fermeture de tabac dans ma ville, il y a eu effectivement la vente illicite de cigarettes.

Là-dessus ne trouvez-vous pas, quels que soient les gouvernements -bien évidemment, je ne vais surtout pas dire que c’est mal maintenant et que c’était bien avant, pas du tout- que quelque chose est à expliquer là sur l’usage et la distinction de drogues illicites et licites ? C’est ma première question.

Deuxième question, j’ai bien apprécié ce que vous avez dit connaissant l’implication des communes. Seulement depuis deux années en ce qui me concerne, et certains d’entre nous ici ont dit au cours d’autres interrogations de responsables que cela faisait plus longtemps, nous n’avons plus aucune information nous parvenant concernant les statistiques départementales sur les prises de stupéfiants, les usages de drogues etc. Nous l’avions avant. D’une façon assez régulière, nous avions ces statistiques (les quartiers sensibles, les difficultés, les jeunes que l’on essayait de remettre dans un circuit éducatif). Cela existait. Cela a été abandonné depuis quelques années. Seriez-vous prêts, en tant que ministre, à remettre cela au goût du jour ?

Vous avez parlé des TIG. En tant que maire de Neuilly-sur-Marne, j’ai formé 40 employés municipaux pour accueillir des TIG. Depuis plus d’un an, je n’en ai plus un seul. Pourtant, je pense que ce serait une action répressive bien adaptée pour éduquer ces jeunes, faire en sorte d’ailleurs qu’il y ait une collaboration entre la commune, la police et la gendarmerie de façon qu’il y ait des stages, une forme éducative remise au goût du jour.

Vous avez raison, il existe des sanctions, rarement appliquées parce qu’inadaptées. Vouloir durcir des sanctions ne me paraît effectivement pas être la bonne solution.

En ce qui concerne les priorités que vous avez à dégager en tant que ministre de l’Intérieur, ne pensez-vous pas qu’il existe des produits de drogue abominables ? Il y a bien évidemment des différences entre l’héroïne, le crack, la cocaïne, l’ecstasy, les drogues de synthèse et le cannabis. Nous l’avons vu, car nous sortons d’un voyage à Saint-Martin...

Mme la Présidente.- Attention à ce que vous allez dire, Monsieur Mahéas.

M. MAHEAS.- ... au cours duquel nous avons vu de nos yeux le ravage du crack véritablement, avec des dégâts physiques extrêmement importants.

Dernier point, en tant que ministre de l’Intérieur n’avez-vous pas une action plus particulière ? Nous avons parlé de la coopération internationale, je suis très partisan de cela, mais il est vrai qu’il existe des lieux de marché parallèle. Il y a deux solutions : ou l’Etat fait en sorte de l’organiser, ou il réprime.

Dans le journal d’aujourd’hui -je ne l’ai pas fait par hasard, c’est assez souvent- nous lisons que les trafiquants d’ecstasy s’approvisionnaient au 287 à Aubervilliers. C’est une discothèque dite "branchée" de la région parisienne. Une jeune fille de 19 ans a été interpellée à Arpajon. Comme elle s’est fait voler son sac à main et qu’à l’intérieur on a trouvé ses comptes, on a remonté la filière pour constater qu’elle allait acheter par paquets de 500 des cachets d’ecstasy, qu’elle revendait et qui lui ont rapporté quelque chose comme 17 000 ¤.

Nous sommes quand même conscients qu’il existe des lieux particuliers, qui sont effectivement à surveiller plus spécialement. Monsieur le Ministre, avez-vous envisagé ce type d’action en profondeur sur certains lieux ?

Je suis interrogatif. Bien souvent, on dit que l’on voit à la sortie des écoles, etc., cela se passe dans le grand jour. Je n’ai quand même pas vu beaucoup de choses comme cela. J’entends plutôt parler de dealers assez roués, plutôt pas bêtes, parce qu’il ne faut pas être complètement sot pour mettre 10 millions de côté -vous n’êtes d’ailleurs pas le premier à raconter cette anecdote- et ne pas réussir à se faire prendre. Ce trafic a quand même duré depuis extrêmement longtemps.

Ne peut-on donc pas intervenir sur ces lieux qui me paraissent particulièrement sensibles ?

Mme la Présidente.- Si vous voulez bien répondre.

M. SARKOZY.- Bien sûr, avec plaisir, d’autant plus que voici une très bonne nouvelle, M. Mahéas me permettra de dire malicieusement qu’une seule phrase de moi l’a choqué en 45 minutes de propos ! Nous avons fait pire tous les deux, Monsieur Mahéas. Cela prouve donc que nous ne sommes au fond pas si loin.

Je dirai un mot sur le 287, même s’il est difficile, vous le comprendrez bien sûr, de faire des cas particuliers, mais il est fermé.

M. MAHEAS.- Il doit rouvrir. Cette discothèque venait de rouvrir ce même jour. Elle a peut-être été refermée depuis.

M. SARKOZY.- Vous avez vu tout ce qui se passe dans les discothèques aujourd’hui. Je ne peux pas rentrer dans le détail mais...

M. MAHEAS.- Nous sommes aptes à tout entendre.

M. SARKOZY.- Bien sûr. "Vous" n’est pas vous, mais je rappelle qu’ici c’est public. Vous avez certainement vu un certain nombre de contrôles, qui ont abouti à des fermetures, qui me valent les protestations d’un certain nombre de personnes d’un certain milieu.

Là encore, quand vous pensez que nous trouvons dans certains établissements, je ne parle même pas de celui-là, les pilules pour violer les jeunes filles. Des individus sans scrupules les glissent dans un verre d’eau et elles se retrouvent violées dans un appartement sans se rendre compte de rien. Je n’ai pas l’intention que nous tolérions cela, ni de près ni de loin.

Monsieur Mahéas, vous pourriez me demander quel est le rapport avec le cannabis. Tout cela est un marché et il n’est pas vrai que celui qui peut se fournir en cannabis ou qui en fournit n’est pas capable de fournir autre chose. En tout cas nous ne sommes pas capables, si nous voulons avoir un discours efficient vis-à-vis de l’opinion publique, de faire la différence.

Nous nous apercevons que les revendeurs sont comme les représentants, avec des cartes multiples, ils ont toutes les formes de produits.

Les jeunes ont bien le droit de s’amuser et tant mieux. Ce n’est pas un hasard si depuis quelques semaines nous avons demandé aux services de police d’aller dans les lieux où les jeunes vont s’amuser et de contrôler. Pardon, mais les contrôles auxquels nous nous sommes livrés ont produit des résultats consternants.

Il est vrai qu’il n’y a pas que la drogue, mais aussi des habitudes sur les services de sécurité en interne et beaucoup d’autres choses, mais sur ce plan, Monsieur Mahéas, je vous rejoins.

Cependant je ne pense pas, y compris sur le 287, que qui que ce soit nous accuse d’être trop faibles, même si je vois dans des journaux des anecdotes racontées qui ne sont pas vérifiées parfois et qui jettent le discrédit sur un quartier ou un établissement. Soyons prudents les uns et les autres.

Monsieur Mahéas, je suis tout à fait d’accord, je suis contre durcir les sanctions et pour les rendre efficientes, y compris les adoucir s’il le faut. Je préfère une sanction plus douce mais efficiente plutôt qu’une théoriquement dure et pas appliquée. Sur ce plan, nous pourrions donc nous retrouver sans aucun problème. Il me semble d’ailleurs assez normal que des gens de bonne volonté, quels que soient leurs engagements politiques et partisans par ailleurs, sur un fléau de cette nature puissent trouver des points communs.

Je me renseignerai sur les TIG. Je ne suis pas capable de vous dire pourquoi vous n’en avez plus. J’ai cité les TIG comme un exemple. Je trouve que c’est une très bonne chose pour un jeune pris en train de fumer du cannabis. Retarder la date du permis de conduire, confisquer le scooter, obliger à faire un travail d’intérêt général, bref il y a toute une palette. Je suis comme vous, je trouve cela très intéressant. Je me permettrai de vous écrire pour vous donner la réponse que je ne peux pas vous fournir sur ce fait.

Là où je suis moins d’accord, c’est quand vous dites que lorsque l’on organise, il y a moins de trafic. Ce que nous venons de vivre ces dix dernières années montre le contraire. Nous avons organisé des produits de substitution, personne ne se risquerait à dire que nous avons moins de trafic.

Parce que la société a été mauvaise depuis tant d’années sur l’alcool et le tabac, faudrait-il commettre les mêmes erreurs sur la drogue ? Ce n’est pas ce que vous voulez dire et pas ce que je souhaite. Il y a la comparaison avec ceux qui se saoulent à la bière. C’est aussi une dépendance. Pourquoi ne les sanctionnons-nous pas ? Peut-être, mais ce n’est pas parce que l’alcoolisme est un fléau qui existe dans notre pays, inégalement réparti selon les régions, et que nous n’avons pas su maîtriser qu’il faut qu’en plus nous fassions la même catastrophe sur les drogues avec les plus jeunes.

Il est vrai que pendant des années, l’Etat a fabriqué des cigarettes. Je le reconnais, puisque c’est moi qui ai privatisé la SEITA. J’appartenais à un gouvernement qui m’avait demandé de la privatiser. La privatisation de la SEITA ne remonte pas à Mathusalem, mais à 1994. En 1994, l’Etat produisait des cigarettes et en même temps finançait les programmes d’information pour détourner les jeunes du tabac ; cela n’avait pas de sens.

Est-ce parce que nous sommes en situation de contradiction ou que nous avons été en situation massive et dans des moindres formules mais encore sur l’alcool et le tabac qu’il faudrait nous y mettre aussi sur les drogues ? Ne pourrions-nous pas retourner votre raisonnement, Monsieur Mahéas, dire certes que nous avons été mauvais sur les deux autres, que nous allons essayer d’être bons sur la drogue et donc faire différemment, c’est-à-dire ne pas fermer les yeux et réprimer là encore à sa juste proportion le phénomène de consommation ?

J’imagine que nous aurons encore bien d’autres choses à nous dire.

Je voudrais également vous indiquer que nous allons beaucoup renforcer les effectifs de lutte contre les trafiquants. La Préfecture de police a prévu 30 enquêteurs de plus sur un effectif de 95, ce qui n’est pas rien.

Sur les trois départements de la petite couronne, nous en mettons 20 de plus sur un effectif de 110.

Sur l’OCRTIS, nous allons mettre 10 fonctionnaires de plus, c’est-à-dire 30 au total, à l’issue du programme -il y en a 80 aujourd’hui-, notamment des officiers de liaison en poste à l’étranger, puisque l’OCRTIS fait la collaboration. On pourrait dire : "Il y en a 80, vous allez en mettre 30 de plus...", mais pour un pays comme le nôtre, 110 personnes consacrées uniquement aux renseignements et à la lutte contre les trafics internationaux sur la drogue n’est pas rien.

Je voulais vous donner ces chiffres. Je vous avais donné l’augmentation des arrestations, + 20 %. Je crois que ces éléments permettront de nourrir le rapport de la Commission, pour bien montrer que la volonté ne peut pas être que politique et théorique, mais doit se traduire aussi dans des choix d’effectifs.

Merci Monsieur Mahéas.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, merci.

M. CHABROUX.- Monsieur le Ministre, au sujet du trafic, pour compléter mon information, vous avez dit que tolérer la consommation était favoriser le trafic. C’est vrai, mais on nous dit que c’est parce que le trafic se développe que la consommation s’accroît et que la drogue arrive très facilement dans certains quartiers.

Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur l’évolution des trafics, des méthodes des trafiquants ?

On nous dit que cette évolution est rapide, que nous avons affaire maintenant à des trafiquants faisant partie du grand banditisme. On nous a cité le cas, et je demande ce que vous en pensez, des "go fast".

Le chef de la brigade des stupéfiants nous a dit que, comme vous l’avez d’ailleurs évoqué vous-même, la drogue part du Maroc, est acheminée à travers l’Espagne, de nuit, et livrée et écoulée en flux tendu. Le lendemain matin, avez-vous dit, c’est terminé.

On nous explique que des voitures rapides, très rapides, parcourent les autoroutes de l’Espagne, de la France, en convoi parfois, avec des quantités importantes de drogue et que cela ne peut pas passer inaperçu. On nous dit que l’on ne peut pas intercepter ces véhicules parce que l’on n’a pas les moyens suffisants. Je demande exactement ce qu’il en est.

Nous avons eu un certain nombre d’auditions ici, qui vraiment nous posent problème. Si c’est ainsi, si le trafic est aussi facile et s’il n’y a pas prise sur ces méthodes, sur ce grand banditisme, sur ces "go fast", nous nous sentons un peu démunis et tout ce que nous disons peut paraître un peu vain.

Savez-vous ce qu’il en est ? Le ministre de la Justice dit qu’il ne sait pas grand-chose. Vous le savez certainement mieux. Nous souhaiterions être informés.

M. SARKOZY.- La technique est la suivante : ils volent des véhicules de grosses cylindrées (Audi, BMW, Mercedes). Ils sont lourdement armés. Ils traversent l’Espagne et la France à toute allure, avec des véhicules de reconnaissance qui se prépositionnent aux péages pour repérer si la voie est libre, pied au plancher, malheur à celui qui se trouve sur leur route. Voilà la réalité devant laquelle nous nous trouvons. Ce sont des jeunes pour qui la violence est sans limite et pour qui la vie des autres n’a aucun sens.

Lors d’une des dernières prises, je crois qu’ils ont trouvé 180 kilos de drogue dans la voiture. Une partie des trafiquants a été arrêtée, les autres se sont enfuis. Les interpellations sont extrêmement à haut risque bien sûr pour les fonctionnaires ou les militaires, mais aussi pour ceux se trouvant autour.

C’est un phénomène que nous connaissons, hélas. Je ne suis pas venu le nier, bien au contraire, je vous le confirme. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi nous devrions nier une réalité quand nous sommes face à cela.

La drogue arrive au petit matin, ils déchargent avant l’heure des perquisitions. C’est extraordinaire, une équipe de trafiquants de la région parisienne quittait systématiquement le domicile à 5 heures 15 tous les matins, c’est-à-dire avant l’heure de la perquisition, pour que de toute manière les appartements soient vides.

S’agissant d’une autre équipe, nous avons constaté qu’il y avait dans une HLM de la région parisienne un homme lourdement armé à la porte toute la nuit. C’est pour vous dire à quel point tout ceci est grave.

Que pouvons-nous faire ? Nous avons d’abord à mettre en place une nouvelle doctrine pour piéger les autoroutes. Les autoroutes sont devenues des axes de circulation rapide pour la grande délinquance, mais Monsieur Chabroux, pas simplement pour les trafiquants de drogue. Nous voyons un certain nombre d’équipes partir de Lyon et aller pendant une nuit entière écumer un département voisin. La Champagne ou la Champagne-Ardenne se trouve être dans cette situation, pas tellement loin de Paris. On part donc pour une équipée dite sauvage, on prend l’autoroute comme un boulevard, avec des voitures rapides qui ont été volées dans un endroit et l’on fait de la voiture bélier ou une autre agression dans un autre.

Il faut que la gendarmerie comme la police changent leurs méthodes sur les autoroutes. Nous sommes en train de travailler là-dessus. C’est plus facile à dire qu’à faire. Je ne suis pas, comme je l’entends dire, le premier "flic" ou le premier gendarme de France. J’ai demandé que l’on travaille ces questions pour mettre en place une nouvelle doctrine afin de rendre dangereux pour les délinquants nos axes autoroutiers. C’est un premier élément. Quand il y a parfois des pièges, je vois que cela consomme des milliers d’heures et que naturellement le jour où nous le faisons, il n’y a jamais personne.

Je voudrais aussi que nous fassions du contrôle de la délinquance routière et de la délinquance tout court. Or parfois, je m’étonne que ce soit l’un ou l’autre. Cela peut être les deux.

Nous sommes vraiment en train de travailler là-dessus et de mettre en place une nouvelle doctrine.

Deuxième élément, je souhaite que nous utilisions mieux les péages. C’est un débat que nous avions eu avec M. Mahéas. Il s’en souviendra certainement, lui qui est un sénateur si attentif au projet de loi sur la sécurité. J’ai été autorisé, sans son vote hélas...

M. MAHEAS.- Mais cela peut arriver !

M. SARKOZY.- Même maintenant, il ne va pas le regretter. J’ai été autorisé à créer un système de fichier des voitures volées, avec lecture automatique aux péages. Je souhaite que nous puissions savoir si chaque voiture qui passe aux péages a été volée ou pas. Vous voyez très bien ce qu’il en est et vous faites le lien avec la première remarque, Monsieur Chabroux, parce que sur les milliers de kilomètres d’autoroutes, nous ne pouvons pas mettre des gens partout, mais vous avez compris. Je n’ai pas non plus à expliquer en direct ce que nous allons faire, mais vous voyez à peu près ainsi les conséquences que nous pouvons en tirer.

Le troisième point est l’acquisition de nouveaux véhicules. Je pense notamment aux Ford 145 CV, que nous avons acquises, c’est-à-dire des véhicules plus modernes. Je voudrais vous donner des chiffres pour que vous les ayez, parce qu’ils sont intéressants. Nous avons acheté pour la police nationale 5 000 véhicules. Ils seront livrés cette année, en 2003. Il n’y a pas à se tromper, c’est le double de 2002. Pour la gendarmerie, nous en avons acheté 4 400. Près de 9 500 véhicules seront donc livrés en 2003 et notamment pour les BAC en ville, Monsieur Mahéas, mais aussi pour les gendarmes sur autoroutes.

Je ne vous dis pas que nous allons résoudre le problème, je ne suis pas sot à ce point, mais des véhicules rapides, des fichiers de lecture automatique des plaques des voitures volées aux péages, de nouvelles stratégies d’intervention sur les autoroutes je pense pourront produire des résultats.

Quatrième élément, je souhaite développer le renseignement sur le grand banditisme, sur les trafiquants de drogue et l’infiltration. Ce qui fonctionne avec le terrorisme doit être utilisé avec les mafias.

D’ailleurs que font les GIR, si ce n’est du renseignement en amont, soit par le fisc, soit par de la filature, soit par des caméras filmant. M. Mahéas se souvient que j’ai demandé aussi l’autorisation de filmer. Tout ceci n’est pas totalement anecdotique, parce que ce sont les mêmes. Celui qui fait un trafic de ce genre ne va pas une semaine aubureau et fait cela la semaine suivante. Ce sont des professionnels.

Monsieur Chabroux, je ne sais pas si je réponds à vos questions, mais voilà ce que nous essayons de faire avec les professionnels de la police et de la gendarmerie.

Je voudrais en terminer par là parce que c’est passionnant, nous nous apercevons que la force des mafias, car ce sont des mafias, est qu’elles sont réactives et s’adaptent plus rapidement que l’Etat. J’aimerais que l’Etat, en tout cas dans l’administration dont j’ai la responsabilité, ait cette culture de la réactivité et de l’adaptabilité. Il faut que nous puissions nous adapter tout de suite, beaucoup plus rapidement. Eux s’adaptent avec une vitesse stupéfiante. C’est leur force. Il faut que nous le fassions aussi. Sur les autoroutes, il faut changer complètement nos méthodes. C’est ce que nous sommes en train de faire.

Mme la Présidente.- Merci beaucoup Monsieur le Ministre.

M. LAGAUCHE.- J’interviendrai très brièvement Monsieur le Ministre. Je ne demande pas forcément des réponses immédiatement, mais vous nous les communiquerez, puisque je pense que votre temps est compté.

Premier point, sur les statistiques que vous allez nous remettre, nous n’avons pas le temps de vous répondre, vous donnez tantôt des statistiques, tantôt des chiffres ; vous savez bien que cela mérite toujours comparaison. Malheureusement, il est vrai que depuis des années, les services de police n’en ont pas toujours bénéficié.

Lorsque nous allons sur le terrain et que vous nous parlez par exemple des véhicules etc., je sais que vous allez être rapide, vous l’avez fait savoir, prononcé, néanmoins sur le terrain nous n’avons pas toujours le même écho sur ce que ressentent les fonctionnaires. Ils trouvent toujours que l’on met beaucoup de temps et à juste titre.

Nous pouvons vous aider en tant que parlementaires, mais il faut que nous ayons quand même des bases et que vous nous aidiez, comme vous le faites d’ailleurs, vous essayez de donner la réalité. Je comprends très bien aussi que parfois cela mérite discussion. Sur ce point sur les statistiques, je pense qu’il est important que nous ayons descomparaisons.

Deuxième point, vous avez fait part tout à l’heure de "descentes" qui ont été effectuées avec les résultats, les protestations. Dans les milieux scolaires, les parents du simple consommateur diront que c’est exceptionnel, pas possible etc. Les enseignants, nous le savons quand même, dans un certain nombre d’établissements ferment les yeux, disent : "Que puis-je faire ? Rien. A partir du moment où le jeune dort au fond de la classe et ne me casse pas la tête, cela va, c’est aussi bien."

Ce que vous proposez va nécessiter obligatoirement la collaboration et non les protestations des uns et des autres. J’aimerais dans l’avenir, mais pas forcément immédiatement, que vous nous disiez quelle méthode vous allez proposer à vos collègues, y compris ministres, parce que ce n’est pas si simple, pour modifier ce comportement desjeunes, de notre société effectivement laxiste.

Il n’y a pas de petits et de gros consommateurs, mais je parle pour ceux qui ne consomment pas trop régulièrement. Quelle méthode allez-vous employer pour convaincre les autres administrations, y compris les parents ? Nous le voyons bien dans les conseils de discipline, les parents en premier protestent sur le fait que jamais leur enfant n’aurait pu faire cela. Il n’est pas si simple d’avoir l’appui des parents d’élèves, y compris des associations de parents d’élèves, dans les mesures que vous proposez.

M. SARKOZY.- Monsieur Lagauche merci de votre question, parce qu’elle me permet de m’apercevoir que j’avais omis de répondre à M. Mahéas sur la question des statistiques.

Depuis la LSI, c’est un droit pour le maire d’avoir toutes les statistiques et donc un devoir pour le commissaire de police ou le commandant de groupement de vous les donner. Je veillerai personnellement à ce qu’il en soit ainsi.

Monsieur Lagauche, sur les mêmes statistiques, vous le savez, je ne souhaite pas avoir raison contre tout le monde. Le ministère est ouvert. Je suis à la disposition de qui veut. Les services sont à votre disposition.

Comme toujours, et vous avez parfaitement raison, les statistiques se discutent. Il y a une seule chose que personne ne discute : le fait que cela va en s’aggravant. Je n’ai vu personne dire le contraire. Pas une personne ne m’a dit que la situation s’améliorait.

Sur la statistique en elle-même, je fais une proposition : où voulez-vous ? Quand ? Comment ? Nous ouvrons tout.

Il n’y a pas d’autre chemin, et c’est ma deuxième réponse, pour convaincre que d’être le plus transparent possible, il faut tout donner. Il faut maintenant que la loi du silence soit vaincue et que la chape de plomb du silence soit levée. Monsieur Lagauche c’est la méthode, faire un diagnostic le plus honnête et le plus objectif possible.

Il n’est pas question d’ordre moral naturellement, ni chez vous ni chez moi, personne ne veut cela, mais de sauver une génération entière d’une véritable épidémie. Voilà ce qui est en cause entre nous.

Pour convaincre, il faut deux choses. Premièrement, il faut le constat le plus objectif possible, donc la transparence. Il est vrai que la police et la gendarmerie ont des progrès à faire en la matière. Que les parlementaires nous aident. Deuxièmement, il faut une volonté politique pour commencer à soulever la montagne, parce que chacun attend que l’autre commence.

Mettez-vous à la place de cette enseignante certifiée arrivant pour son premier poste et constatant qu’un certain nombre de jeunes manifestement sont sous l’emprise de drogue, elle ne peut pas elle-même porter toute seule ce problème. Ce n’est même pas le chef d’établissement qui le peut tout seul.

Pourtant je suis convaincu, Monsieur Lagauche, que les mentalités sont en train de changer, que le "il est interdit d’interdire", tout cela n’existe plus.

Je vois sans arrêt à la télévision des reportages d’enseignants demandant pourquoi il n’y a pas plus de policiers, pourquoi ils ne sont pas plus en sécurité. Monsieur Lagauche, nous n’aurions jamais pu entendre ces propos il y a quelques années. Je le vois bien, je peux faire passer des idées aujourd’hui qui n’auraient jamais pu être entendues auparavant. Quand je dis quelques années, mettons-nous d’accord, je parle de 10, 15, 20 ans, que sais-je. Les choses ont évolué. On attend simplement qu’un certain nombre de responsables prennent leurs responsabilités et disent : "Cela suffit, nous sommes décidés à agir et non à subir."

Je suis persuadé que c’est le premier geste qui compte, le premier déclic qui fera que toute la société bougera. Les enseignants ne peuvent pas être seuls, les médecins, les maires non plus. Ils attendent que l’exemple vienne d’en haut. C’est à nous, me semble-t-il, de le donner et beaucoup plus fortement que nous ne l’avons fait jusqu’à présent.

Nous aurons l’occasion de poursuivre ce débat, parce que je n’ai pas l’ambition que nous résolvions ce problème en quelques semaines, mais que nous changions maintenant de stratégie, car celle retenue jusqu’à présent est synonyme d’un seul mot, celui d’un échec consternant.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

M. GIROD.- Monsieur le Ministre, ce n’est pas moi qui vous freinerai sur la volonté. Je crois que vous le savez.

Je voudrais d’abord faire une réflexion et vous posez deux séries de questions.

Vous avez eu tout à l’heure une réflexion sur les usagers, en disant qu’en 1990 on punissait 10 % des usagers.

M. SARKOZY.- 30 %.

M. GIROD.- Pardon, 30 % des usagers. On en condamne plus que 8 %, mais on va tripler. Le nombre total de condamnations varie peu en définitive. Ce qui varie, c’est le fait que nous n’avons pas la volonté de suivre l’évolution d’un phénomène au niveau de la répression. Nous ne sommes pas très loin l’un de l’autre. Je crois que c’est en réalité un problème de mentalité globale.

Je suis de ceux qui pensent que l’exemple est aussi le côté exemplaire de certaines opérations.

Je voudrais vous poser deux questions sur cet aspect des choses. Dans notre société, un certain nombre de personnes qui ont une réputation, une image devant le public, affichent froidement qu’elles ont fumé, qu’elles fument, qu’elles se piquent. Il n’y a aucune poursuite. L’entraînement vient derrière. Ne pensez-vous pas qu’il y a lieu de réformer un peu nos moeurs et que chaque fois que sur un écran de télévision quelqu’un a affiché un certain nombre d’habitudes personnelles, il soit poursuivi au moins autant que le petit fumeur que nous récupérons ici ou là, même si c’est insuffisamment ?

Le deuxième problème concerne les rave party. S’il y a un endroit où le flux tendu me semble exister moins qu’ailleurs, c’est bien là. Vous avez dit précédemment, non sans raison, qu’il vous semblait invraisemblable que les Pouvoirs Publics financent des associations ne se contentant dans ce genre de chose que de contrôler la qualité du produit, sans aller plus loin. Je n’arrive pas à m’expliquer que l’on n’ait pas fait une fois un exemple en matière de répression sur une rave party, en faisant descendre l’escadron de gendarmerie nécessaire pour saisir le stock de drogue s’y trouvant. J’imagine que ces espèces de supermarchés vitrine marketing -on les a décrits ainsi un jour dans une audition ici-, destinés en définitive pour une bonne part à ramener de nouveaux clients dans le système, ne soient pas l’occasion de quelques saisies et répressions spectaculaires.

Vous avez parlé du côté international. C’est un tout autre domaine. Nous étions récemment à Vienne. Nous sommes au sein des organismes internationaux représentés entre autres par un policier de très grande qualité. Nous avons bien compris, si j’ai bien entendu, qu’un jour ou l’autre sa mission prendra fin, ne serait-ce que parce que sa carrière personnelle ne pourra pas se poursuivre au sein de l’administration sur le territoire avec la même qualité que s’il était resté au sein des forces de police française. Ce n’est pas un phénomène uniquement de police, ce n’est pas uniquement viennois, puisque nous savons bien que si nous avons peu de hauts fonctionnaires d’influence au sein des administrations bruxelloises, c’est aussi pour des phénomènes du même genre.

Envisagez-vous, Monsieur le Ministre, de faire en sorte que vos préoccupations, vos relais restent de la même qualité en essayant d’obtenir de votre collègue de la Fonction publique un certain nombre d’amodiations de ces stupidités de statut, de telle manière que vos antennes soient de haut niveau et que nous ne voyions pas de très hauts fonctionnaires remplacés par des débutants au motif que nous ne pouvons pas continuer ainsi ?

Dernière question, vous approfondissez beaucoup vos enquêtes et vous n’avez pas, vous l’avez dit précédemment, que la drogue à gérer, mais aussi le terrorisme. Avez-vous eu l’occasion ces derniers temps d’avoir des sentiments de liaison précis ou imprécis entre les réseaux de drogue auxquels vous vous attaquez et les réseaux terroristes contre lesquels vous nous défendez ?

M. SARKOZY.- Je commence par la dernière question, oui, il y a des liaisons. C’est clair. Le fondamentalisme extrémiste religieux se nourrit et se finance sur le banditisme et notamment sur le trafic de substances illicites. Il ne faut bien sûr pas généraliser, mais il y a des éléments de porosité. C’est le moins que nous puissions dire.

Ensuite, non seulement nous favoriserons la carrière de nos agents acceptant d’aller à l’étranger, mais nous augmentons le nombre de postes à l’étranger. Ainsi, sur ces dernières semaines, nous avons installé 7 personnes de la police française en Roumanie, pour six mois. Là, je crois qu’il n’en reste que 3. Dans celles revenues, notamment un de nos fonctionnaires qui parle neuf langues a été récompensé. Nous les récupérons pour les utiliser. C’est une typologie de carrière où ils sont demandeurs de partir.

J’en ai prépositionné 4 en Bulgarie sur l’affaire des réseaux de trafiquants de prostitution. M. Lagauche s’en souvient, nous en avons beaucoup parlé. Je suis allé en Bulgarie. Nous avons prépositionné ces fonctionnaires, créé une plate-forme ONG. Environ 350 prostituées bulgares "travaillent" en France. Nous avons commencé le travail pour les renvoyer là-bas. Nous exploitons des renseignements.

On me disait que 32 réseaux ont fait l’objet d’échange de renseignements à la minute où je vous parle, en quelques semaines. D’ailleurs c’est très intéressant, parce que ces pays, je pense à la Bulgarie et à la Roumanie, qui veulent absolument rejoindre le "club" des Nations européennes, sont absolument impeccables en matière de coopération policière. Il faut vraiment tenir compte de cela. Il faut voir l’attente de respectabilité de ces pays.

En Colombie, nous allons aussi installer un certain nombre de fonctionnaires.

Notre idée est que plus nous les installons en amont, plus nous sommes efficients et moins nous avons besoin de fonctionnaires. C’est normal, en amont l’angle est plus faible, nous mettons moins de monde ; en aval l’embouchure est plus grande, nous avons besoin de plus de monde. L’idée serait même de systématiser, quelle que soit la lutte contre les réseaux.

Par exemple, j’ai une discussion avec les autorités maliennes pour l’aéroport de Bamako. Nous avons deux fonctionnaires là-bas qui les aident à débusquer les faux papiers. Il est plus facile pour nous de travailler à Bamako. Pardon, je sors peut-être du sujet, mais nous sommes dans la lutte contre les mafias. Deux personnes à l’aéroport de Bamako pour empêcher ceux ayant de faux papiers d’entrer dans l’avion est beaucoup, alors qu’il en faudrait 50 à l’arrivée à Roissy, compte tenu des millions de personnes que nous recevons.

Monsieur le Sénateur, c’est vraiment une politique systématique. Non seulement je ne veux pas ramener les fonctionnaires en poste à l’étranger, mais je souhaite les développer. Je ne peux pas dire mieux. Je crois beaucoup à cela. En plus, cela crée des liens avec les services étrangers. Nous allons installer du monde au Pakistan, en Russie aussi, compte tenu de ce qui se passe dans le Caucase. Ce sont trois ou quatre autres missions d’enquête auxquelles il faudrait répondre.

Les rave party et free party sont un sujet très important. J’ai rencontré les organisateurs de rave et de free. Ils ne sont pas du tout les mêmes. D’abord, je crois que nous ne devons pas empêcher l’organisation de ces événements musicaux, qui ont existé à toutes les époques. Il y a eu la génération Woodstock, la génération hippie, la générationyéyé, la mode du rock’n’roll. A toutes les époques, la jeunesse ou une partie de celle-ci s’est emparée d’un style musical, la techno à un moment.

Je ne porte pas de jugement, je n’ai d’ailleurs naturellement pas à en avoir. Je constate qu’à un certain moment, une partie de la jeunesse s’exprime dans un courant musical, qui est lui-même porteur d’habitudes. Quelle est cette habitude ? C’est assez curieux, mais c’est ainsi, de la musique assourdissante -j’ai dit que je ne portais pas de jugement, je décris- lors de rassemblements de trois ou quatre jours, extrêmement nombreux, très curieusement d’ailleurs assez peu mêlés au sens de l’origine des gens. Nous avons le rap d’un côté, qui correspond à une origine, et la techno de l’autre. Si vous regardez les défilés, vous serez assez étonnés de voir cela. Ce sont des rassemblements festifs où l’on consomme beaucoup de bière, achetée en général au supermarché du coin. Ils arrivent à 10 000, 15 000, 20 000. Ils se donnent rendez-vous, font 10 ou 15 heures de voiture. Les règles d’hygiène sont minimales et il y a de la drogue.

Qu’essayons-nous de faire ? D’abord je n’ai pas l’intention, et je n’en ai pas les moyens, d’interdire tous ces rassemblements. Pourquoi les interdire, à partir du moment où c’est de la musique ?

De plus, ces rassemblements ne sont pas violents, sauf quand nous intervenons. C’est d’ailleurs assez curieux, à partir du moment où la police intervient, la violence est terrible. Il faut dire les choses telles qu’elles sont, assez peu de bagarres sont à déplorer. Pourtant, cela crée pour le voisinage un traumatisme complet.

Nous essayons de les prévenir, c’est-à-dire de leur trouver des terrains. En ce moment même, je suis en train de négocier avec l’administration de la Défense un grand terrain militaire pour installer une des rave traditionnelles du mois de mai. La prochaine s’appelle Technival. Monsieur le Sénateur Girod, je préfère la précéder, trouver un terrain. En échange du terrain trouvé par l’Etat, nous avons un accord avec les organisateurs -le mot "organisateur" étant complexe- pour installer un PC de sécurité afin de procéder à des contrôles de drogue et nous mettre d’accord avec les organisateurs pour que nous puissions aller chercher les personnes. Comprenez que lorsqu’il y a 20 000 jeunes, vous ne pouvez pas envoyer les forces de police sans avoir un minimum d’accord avec les organisateurs, sauf à déclencher des situations dont personne ne sort gagnant.

Enfin, systématiquement nous faisons des contrôles d’alcoolémie et de drogue à 30 ou 40 kilomètres, au moment de la démobilisation de tout le monde, pour nous assurer de la sécurité de tous ces jeunes.

Quand c’est illégal, j’ai fait saisir, ce qui leur fait très peur, les murs de son.

Je ne dis pas que le problème est réglé, du tout, mais je crois que personne ne peut dire que nous ne nous en sommes pas occupés. J’essaie de m’en occuper tant que je peux.

Nous nous sommes donc mis d’accord sur 7 ou 8 rendez-vous. Je parle des grands, des 400 000 ou 500 000, pas des 15 000 ou 20 000. Sur les autres, la gendarmerie, parce que c’est souvent en campagne, a un certain nombre de consignes. Il faut voir la brigade territoriale à 4 ou 8 qui voit venir 1 000 jeunes gens.

Nous tolérons le moins possible, nous y allons, mais souvent la répression n’est efficace qu’a posteriori, en saisissant le matériel sonore et en effectuant des contrôles.

Jusqu’à présent, j’ai voulu éviter qu’il y ait des incidents très graves, parce que lancer les forces de l’ordre, même si vous en lancez 40 et qu’il y a plusieurs milliers de jeunes, est ingérable. Madame la Présidente, nous nous trouvons dans des situations pires, car nous déclenchons un phénomène que nous ne contrôlons plus, de violence.

J’ai gardé un souvenir du 15 août de l’année dernière. J’avais fait barrer le col, car ils s’étaient mis sur la frontière italienne. Vous savez, nous avons eu de la chance, parce qu’il y avait tellement de voitures que nous ne pouvions pas aller chercher les blessés. Un jeune aurait fait un malaise en pleine nuit, j’avais fait mobiliser un hélicoptère, mais qui ne volait pas la nuit, nous aurions pu avoir des incidents très graves.

Je ne suis pas du tout pour le laxisme en la matière. Nous discutons avec eux, nous essayons de mettre en place des procédures, mais ce n’est pas facile, je le confesse bien volontiers.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, nous vous remercions beaucoup, pour la franchise de vos propos, pour la volonté que vous affichez de vous battre contre ce fléau. Au moins, cela nous redonne espoir de voir une société nouvelle vivre dans quelques années, parce que je vous assure que vraiment tout ce que nous avons entendu autour de cette commission, car nous arrivons à la fin de nos travaux, finissait pas par nous laisser le moral au plus bas, car nous sommes là pour travailler, mais en tout cas une impression de désastre total. Merci et bon courage dans vos missions.


Source : Sénat français