(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 16 janvier 2001)
Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président
M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, nous allons auditionner en séance publique et donc de façon transparente MM. Desplat et Siméon, de l’association Avigolfe. Nous les avons invités, comme nous le faisons pour d’autres personnalités associatives, civiles ou encore militaires, à venir devant notre mission qui conduit des investigations concernant les conditions dans lesquelles un certain nombre de militaires français se seraient trouvés exposés à des risques sanitaires spécifiques dans le Golfe.
Depuis la réunion de la Commission de la Défense de mercredi dernier, le champ de compétences de notre mission d’information parlementaire s’est trouvé étendu aux Balkans.
Nous sommes satisfaits de vous avoir à nos côtés. Notre objectif est de vous poser l’ensemble des questions qui nous permettront, sur les sujets qui relèvent du champ d’investigation de la mission, de poursuivre nos investigations. Je suis heureux que vous ayez accepté de vous rendre devant nous et je vais vous indiquer aussi précisément que possible les conditions dans lesquelles nous travaillons et la méthode qui inspire nos démarches.
Nos recherches et investigations portent en effet sur les conditions dans lesquelles nos forces ont été engagées dans une opération - en l’occurrence celle du Golfe - conduite en coalition.
S’agissant d’un conflit armé, notre devoir est d’abord de nous assurer de la sécurité collective et individuelle de nos soldats. Notre détermination à comprendre et à expliquer l’ensemble des conditions opérationnelles ayant présidé à l’engagement des troupes est, bien entendu, un élément très important de nos travaux.
Nous examinons pièce par pièce les documents déclassifiés dont nous avons demandé la communication au Ministre de la Défense. Tous les ordres opérationnels, tous les télégrammes échangés au travers du réseau de télécommunication Syracuse, nous ont été communiqués.
Cet ensemble déjà très volumineux ne constitue d’ailleurs qu’une partie du total des documents dont nous avons exigé la transmission intégrale. Nous sommes en tant que parlementaires, les seuls à pouvoir obtenir ce type d’informations. Nous confrontons ces pièces officielles aux déclarations faites devant nous au cours des auditions. Le cas échéant, nous n’hésitons pas à demander des éléments d’information complémentaires lorsque nous estimons qu’il y a contradiction entre les documents qui nous ont été communiqués et les auditions auxquelles nous procédons ou lorsque nous constatons que les documents qui nous ont été communiqués comportent des sources insuffisantes.
Bien entendu, nous ne nous contentons pas de ces seuls éléments d’information : nous travaillons également sur des données ouvertes, y compris celles relatées par la presse ou encore disponibles sur Internet comme au travers d’autres sources qui paraissent devoir être exploitées par la mission.
Nous nous rendrons également à l’étranger pour procéder à des investigations que nous ne pouvons pas conduire ici, en France.
Cette démarche se veut donc très rigoureuse. Elle permettra de répondre aux questions qui concernent le champ d’investigation de la mission pour ce qui concerne le Golfe et nous appliquerons évidemment cette méthode aux Balkans.
Pour ce qui concerne les sources ouvertes, nous n’avons bien entendu pas négligé de lire l’ouvrage qui a été publié par la Secrétaire générale de votre association et dont nous avons apprécié qu’il relève le travail effectué par la mission en soulignant que c’est devant cette dernière qu’un certain nombre de généraux ont été amenés à faire des révélations qui contrastaient avec ce qui avait pu être dit de façon officielle au cours de ces derniers mois. Je veux voir dans la relation entre cet ouvrage et nos auditions, une forme de reconnaissance, d’ailleurs juste, du travail effectué par notre mission. J’apprécie donc la modération du ton employé.
Je voudrais profiter de cette audition pour faire une mise au point sur un article paru dans Le Parisien la semaine dernière au terme de l’audition de Mme Marie-Claude Dubin, article dont les auteurs sont peut-être ici présents et que vous avez pu découvrir dans la presse.
Mme Marie-Claude Dubin a déclaré dans cet article que notre mission, je cite : « chercherait à cacher la vérité, ne serait-ce qu’en raison de sa composition, qui compterait de nombreux officiers qui ont tendance à protéger l’armée. »
Je voudrais que l’on me donne le nom d’un officier intervenant ès qualités au sein de cette mission, qui n’est composée que de parlementaires et qui ne compte pas un militaire. Je voudrais également prendre à témoin la presse du fait que notre mission auditionne non seulement des personnalités militaires mais également des personnalités associatives - en témoigne ici la présence des responsables d’Avigolfe -, des médecins, des ingénieurs de la Délégation générale pour l’Armement (DGA) et des responsables politiques. Par le spectre très large des personnalités qu’elle entend, notre mission d’information montre, s’il en était besoin, que son intention n’est pas de se cantonner à la parole des militaires dont elle n’a pas manqué, au cours des dernières semaines, de relever, lorsque cela était avéré, les contradictions du discours en demandant au Ministre de la Défense des éléments complémentaires d’information.
Nous n’avons pas compris pourquoi une telle déclaration avait été faite au terme de l’audition de la semaine dernière et, si elle a été faite en voulant dire autre chose, que voulait-elle dire exactement ? Je pense que les journalistes qui sont ici et qui font bien leur travail constateront qu’il n’y a pas un militaire dans notre mission et que nous auditionnons l’ensemble de ceux qui peuvent nous apporter des éléments d’information intéressants.
M. Desplat, nous allons procéder avec vous comme nous procédons avec l’ensemble de ceux que nous auditionnons qui, il est vrai, se sont, pour la totalité d’entre eux, présentés devant notre mission d’information parlementaire beaucoup plus facilement que vous ne l’avez fait. Cela dit, j’ai cru comprendre, dans les déclarations que vous avez pu faire, que vous êtes assoiffé de vérité et de transparence. Par conséquent, je suis convaincu que vous répondrez très volontiers à l’ensemble de nos questions posées avec le souci de la transparence et de la rigueur que nous partageons au sein de la mission d’information.
Je vous laisse maintenant le soin, comme c’est le cas pour la plupart des autres interlocuteurs qui viennent devant nous, de nous faire un exposé introductif au terme duquel nous vous poserons les questions de notre choix.
M. Hervé Desplat, Président de l’association Avigolfe : Tout d’abord, je passerai la parole à Norbert Siméon, membre du conseil d’administration, qui aimerait réagir par rapport à une dépêche du ministère de la Défense.
M. Norbert Siméon : Le ministère de la Défense a annoncé, le 15 janvier 2001, que les six militaires français hospitalisés dans ses services n’ont pas été affectés par l’uranium appauvri. Faut-il rappeler que l’uranium appauvri dégage des toxicités chimiques ? On ne peut donc conclure aussi rapidement.
Aujourd’hui, comment avoir confiance dans le Service de santé des Armées après de telles déclarations ? Il nous paraît nécessaire que ce type d’examens soient effectués dans des hôpitaux civils.
M. Hervé Desplat : Madame et Messieurs les députés, tout d’abord, je voudrais excuser l’absence de notre Secrétaire générale, Mme Christine Abdelkrim-Delanne qui, ayant été tardivement informée officiellement de cette audition, avait déjà accepté une invitation au Parlement européen, ce même jour, de la part du groupe de la Gauche unie européenne.
L’association Avigolfe a été créée en juin 2000 à l’initiative de Mme Abdelkrim-Delanne et de moi-même, en toute indépendance. Son but est de faire la vérité sur la guerre du Golfe et ses effets et de faire reconnaître le droit à réparation et aux soins des personnes concernées.
Depuis sa création, Avigolfe a, à plusieurs reprises, exprimé des demandes qui n’ont pas été entendues, à savoir :
– un recensement de la population présente dans le Golfe afin d’obtenir un bilan précis ;
– la mise en place d’une cellule « Golfe » au sein du ministère de la Santé, considérant qu’il s’agit aujourd’hui d’un problème de santé publique : cette cellule étant chargée de centraliser les demandes et d’assurer la gestion médicale et administrative ;
– la mise en place par l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête qui aurait été, à l’occasion d’un débat des députés, dûment informée au préalable ;
– la mise en place d’un groupe d’experts totalement indépendants ;
– la mise en place d’un dispositif d’examens approfondis et de dépistage, notamment des cancers, dans le cadre hospitalier public, avec une prise en charge gratuite.
Pourquoi dans le cadre hospitalier public ? Il est un fait que les personnes concernées n’ont plus aucune confiance dans les autorités militaires, quelles qu’elles soient. De nombreux témoignages auprès d’Avigolfe ou dans la presse ont montré les difficultés qu’elles rencontrent dans les hôpitaux militaires.
D’autre part, parmi elles, on compte de nombreux civils détachés auprès de l’armée - notamment par la compagnie Thomson - et des ex-militaires. Il faut savoir qu’il n’en reste plus que 3 000 au sein de l’armée parmi les 26 000 qui étaient présents dans le Golfe. Nous soulignons que seules trente personnes ont répondu à l’invitation du ministère de la Défense de se faire connaître auprès du Service de santé des Armées, ce qui confirme la méfiance dont nous faisons état.
Enfin, nous demandons la reconnaissance du statut de guerre de cette opération multinationale, la plus importante depuis la seconde guerre mondiale.
Sept mois plus tard, où en sommes-nous ?
Alors que, sans Avigolfe, ce problème grave serait encore tenu secret, aucune de nos demandes n’a été prise en considération.
Une mission d’information aux pouvoirs limités a été nommée dans la précipitation, avant même la rentrée parlementaire, privant ainsi l’ensemble de nos élus des éléments leur permettant de se déterminer. Une mission d’information s’informe, une commission d’enquête enquête.
La façon dont se déroulent les auditions, des généraux notamment, révèle des contradictions dans les déclarations, des non-dits et des mensonges par omission que les membres de la mission eux-mêmes, à en croire la presse, ont soulignés : par exemple, toute la confusion autour de la Pyridostigmine, des alertes chimiques et des pilules Virgyl ou les affirmations non fondées à propos de l’uranium appauvri et de ses dangers, dont tout montre aujourd’hui que les autorités militaires ne pouvaient les ignorer.
Soutenue par l’opinion publique, Avigolfe, dont le nombre d’adhérents malades ou de familles de décédés ne cesse de croître, se félicite de la décision du groupe parlementaire communiste de demander à nouveau une commission d’enquête qui s’impose plus que jamais.
Si l’on s’en tient aux déclarations du Ministre de la Défense et du Président de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, ancien Ministre de la Défense lui-même, le groupe d’experts scientifiques a été réuni à l’initiative des militaires et n’est pas indépendant. Malgré tout le respect que nous éprouvons pour le Professeur Salamon, il est important de dire que quatre de ses huit membres ont été nommés par les autorités militaires.
Dans le même temps, nous avons appris que le Service de santé des Armées a, depuis juin dernier, formé son propre groupe d’experts scientifiques militaires. Pourquoi ?
Avigolfe avait décidé, lors de son assemblée générale du 9 décembre 2000, de ne pas collaborer à la mission d’information. Nous sommes ici, aujourd’hui, uniquement parce que M. Bernard Cazeneuve, Président de la mission d’information, nous a menacés publiquement d’une amende de 50 000 F, à cette même place, alors qu’il auditionnait le Général Janvier et que, par ailleurs, nous n’avions jamais reçu la moindre convocation écrite, ce qui reflète un profond mépris pour notre petite association qui, en huit mois, a fait plus que les autorités avec des moyens très limités.
En revanche, nous collaborerons totalement avec une commission d’enquête. Nous remarquons que, concernant l’affaire des Balkans, tous les Etats européens concernés ont mis en place des commissions d’enquête. Depuis sept mois, nous avons subi des pressions incessantes des autorités. On nous a demandé avec insistance, sinon autoritairement, de transmettre la liste et les dossiers de nos adhérents, ce que nous avons refusé. Etant une association loi 1901, cela serait tout à fait illégal. En outre, le questionnaire que nous avons élaboré est confidentiel.
C’est pour cette raison que nous avions demandé et que nous continuons de demander une cellule « Golfe » au sein du ministère de la Santé.
Avigolfe, qui compte aujourd’hui plus de 180 adhérents, dont des cas pathologiques très lourds en quantité significative, avait déjà publié deux rapports dont vous avez certainement pris connaissance. Ces rapports, modestes et non professionnels, avaient pour but de mettre en évidence la gravité et l’urgence de la situation. Le premier de ces rapports donnait en outre des éléments d’information issus de l’enquête journalistique de Mme Abdelkrim-Delanne et du témoignage des adhérents.
Il est clair qu’aujourd’hui, des personnes civiles et militaires en grande souffrance, des veuves, des invalides et des familles, sont obligées de se battre pour faire reconnaître leurs droits. Depuis la Révolution française, l’Etat a un devoir de prise en charge, de reconnaissance et de réparation à l’égard de ses combattants. Ces civils et militaires étaient dans le Golfe dans le cadre d’une mission sous le drapeau français. Ils ont aujourd’hui le sentiment d’avoir été considérés, pendant ces dix années, avec un total mépris et cela continue.
Par ailleurs, nous avons appris que, dans certaines unités de l’armée, il a été fortement déconseillé aux anciens du Golfe et des Balkans de prendre contact avec l’association Avigolfe ou les journalistes. Nous dénonçons violemment ces tentatives d’intimidation.
Enfin, depuis qu’a éclaté l’affaire des Balkans, Avigolfe a reçu plusieurs témoignages de cas de leucémies, lymphomes et autres pathologies. Nous considérons que le syndrome du Golfe et celui des Balkans - et sans doute, plus tard, celui du Kosovo - sont une seule et même affaire.
Avigolfe, qui a écrit au Président de la République, Chef suprême des Armées, estime que cela suffit ! Nous appelons l’ensemble des députés à prendre leurs responsabilités en exigeant une commission d’enquête pour faire toute la lumière, déterminer les responsabilités et fixer les réparations. Nous leur demandons également de soutenir notre demande de mise en place d’un dispositif cohérent et efficace. L’association ne peut se substituer aux autorités françaises qui doivent faire leur devoir face à la gravité de cette situation, que ce soit pour ce qui concerne le Golfe ou les Balkans.
Nous considérons qu’annoncer de façon encore une fois tout à fait précipitée, sans consultation des députés, que le champ d’investigation de la mission d’information sur les conditions d’engagement des militaires français ayant pu les exposer au cours de la guerre du Golfe à des risques sanitaires spécifiques sera élargi aux opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, tout comme celui du groupe d’experts, n’est qu’une façon de gagner du temps.
Il faut maintenant des décisions politiques sérieuses et courageuses qui aillent dans le sens d’une reconnaissance de ce que l’on appelle communément « syndrome du Golfe » et « syndrome des Balkans », d’une reconnaissance également des effets de ces guerres sur les populations locales qui ont droit, elles aussi, à réparation. Je pense particulièrement à la population irakienne, qui souffre depuis dix ans des effets cumulés de la « sale guerre propre » et de l’embargo total.
Je remets à la mission d’information le livre « Guerre du Golfe, la sale guerre propre », dans lequel Mme Abdelkrim-Delanne a réuni un certain nombre de preuves, d’études et de témoignages qui brisent le silence et la désinformation imposés depuis la guerre du Golfe. Je remets également le rapport de synthèse de l’enquête Avigolfe sur 140 dossiers.
Avec ces éléments, la mission d’information devrait pouvoir conclure très rapidement ses travaux.
Nous n’avons rien d’autre à ajouter et nous vous remercions de votre attention.
M. Bernard Cazeneuve, Président : M. Desplat, je vais vous demander de rester pour répondre à nos questions.
M. Hervé Desplat : Je n’ai strictement rien d’autre à ajouter.
M. Bernard Cazeneuve, Président : Moi, j’ai des choses à ajouter et vous pouvez rester ici ou partir, mais je profiterai de la présence de la presse pour ajouter quelques éléments après cette déclaration. Nous ne sommes pas des gens qui agissons par la coercition et la force.
Ce qui vient de se passer est extrêmement intéressant. Nous allons laisser les responsables d’Avigolfe sortir et, au terme de leur sortie - ils peuvent rester en spectateurs s’ils le souhaitent car nous travaillons en toute transparence -, je vais procéder à une mise au point après ce qui vient de se passer et qui est très éloquent concernant la manière dont travaille cette association.
Le Président Desplat peut donc rester s’il a envie de m’entendre.
M. Hervé Desplat : J’ai déclaré tout ce que je souhaitais dire.
M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous pouvez partir si vous le souhaitez. Je vais donc profiter de cette séance extrêmement intéressante pour faire une mise au point très sereinement.
MM. Desplat et Siméon quittent la salle.
M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous travaillons en toute rigueur et en totale transparence et, bien entendu, avec une permanente préoccupation de dignité au regard du sujet. Par conséquent, vous comprendrez que je réponde à ce qui vient de se passer avec à la fois le sens de mes responsabilités et en étant soucieux de ce qu’accomplit la Représentation nationale dans le cadre des investigations et des travaux qu’elle conduit.
Je pense que M. Desplat a bien fait de quitter cette salle. En effet, si je lui avais posé la question de savoir quelle est la différence entre une commission d’enquête et une mission d’information parlementaires dès lors qu’il s’agit de conduire des investigations approfondies sur un sujet aussi complexe que celui dont nous avons à connaître, il aurait été vraisemblablement en difficulté pour me répondre, car il a lu une déclaration qui, visiblement, n’avait pas été rédigée par lui.
Je voudrais donc, sur ce sujet, apporter des précisions de la façon la plus nette.
Tout d’abord, une mission d’information parlementaire et une commission d’enquête parlementaire disposent exactement des mêmes pouvoirs d’investigation. Nous avons donc la possibilité de demander à quiconque de venir devant nous. Bien entendu, la personne qui défère à notre convocation doit avoir le désir de s’expliquer et de répondre à nos questions. Je dois noter que tous les militaires, tous les responsables politiques ou associatifs et tous les médecins convoqués ont accepté sans difficulté de venir devant nous pour nous répondre de façon d’ailleurs plus ou moins satisfaisante. Avigolfe est la première association contactée par nous qui refuse de répondre à nos interrogations. Je dis bien la première !
Si j’ai effectivement envoyé un courrier, avec le Président Quilès, au Président de cette association pour lui indiquer que s’il ne se présentait pas devant nous, son association encourait la sanction d’une amende de 50 000 F, c’était avant tout pour lui démontrer qu’une mission d’information parlementaire dispose bien des mêmes pouvoirs qu’une commission d’enquête et notamment de contraindre ceux qu’elle veut entendre de se présenter devant elle.
Compte tenu du caractère indigne et presque inquisitorial du propos qui vient d’être tenu, j’évoquerai dès cet après-midi avec le Président Quilès et, éventuellement, le Président Forni, la suite que nous pouvons donner à cette affaire, compte tenu de ce qu’est le Règlement de l’Assemblée nationale et de ce que sont les pouvoirs d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information parlementaire.
Je constate, encore, que c’est la première fois qu’une association refuse de répondre aux questions des parlementaires alors qu’elle dit vouloir la transparence, détenir des éléments à communiquer et être en mesure de diffuser des informations permettant d’accéder à la vérité. Je vous laisse en déduire ce que bon vous semble.
Le deuxième point sur lequel il me paraît très important d’insister, est que non seulement nous disposons des mêmes moyens qu’une commission d’enquête pour conduire nos investigations - à l’exception du fait qu’on ne prête pas serment devant nous -, mais que nous avons les mêmes pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, les mêmes capacités d’interroger, d’écouter et d’entendre, et, de surcroît, la possibilité de conduire nos investigations au-delà d’une durée de six mois.
Sur des sujets aussi compliqués que ceux dont nous avons à connaître, il n’est pas sûr que six mois soient suffisants. En effet, il peut s’avérer nécessaire, que nous soyons dans l’obligation d’aller au-delà de cette durée pour pouvoir aller au fond des choses. Comme nous ne voulons rien occulter de la vérité, comme nous voulons jouer la carte de la transparence de la façon la plus nette, nous voulons pousser les administrations dans leurs retranchements, nous voulons contraindre nos interlocuteurs à nous dire tout ce dont nous avons besoin pour aller au bout de nos investigations. Nous n’avons aucune raison de nous enfermer dans des délais trop stricts qui nous forceraient à conduire dans l’urgence un certain nombre d’investigations qui peuvent demander du temps.
Le dernier point sur lequel je voudrais insister concerne l’extension des travaux de la mission d’information aux opérations conduites dans les Balkans. Il a été dit qu’aucun débat n’avait eu lieu au sein de l’Assemblée nationale concernant l’extension de ces travaux et que tout cela aurait été fait dans la précipitation.
Je rappelle que le Parlement fonctionne selon des règles qui tiennent compte -comme cela est normal en démocratie - du rôle joué par chacun des groupes à l’intérieur de l’Assemblée nationale et du rôle dévolu aux Commissions permanentes de cette même Assemblée qui, sous l’impulsion de leurs Présidents respectifs, s’emploient à faire en sorte que, sur des sujets délicats, la vérité puisse prévaloir et, surtout, que le contrôle de l’Exécutif par le Parlement puisse s’exercer. C’est bien de cela qu’il s’agit : nous sommes une mission de contrôle a posteriori de l’action de l’Exécutif.
La Commission de la Défense, dont la mission d’information parlementaire est l’émanation, a eu à débattre très longuement en son sein, la semaine dernière, sur la proposition de son Président, Paul Quilès, de l’opportunité ou non d’étendre le champ d’investigation de la mission au problème des Balkans et de la méthodologie qui nous permettra d’accéder à notre objectif.
Je ne pense pas que ce soit avec de véritables réquisitoires dictés par ceux qui n’ont pas voulu venir ou qui n’ont pas eu le courage de venir alors qu’ils prétendent indiquer des choses sur lesquelles nous sommes prêts à les entendre, que la vérité fera des progrès.
Ce qui vient de se passer à l’instant est indigne et fera l’objet, dans la soirée, de discussions au terme desquelles nous envisagerons la suite à donner à cet incident qui n’est rien d’autre qu’une péripétie.
Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : M. le Président, je souhaite ajouter certaines choses au sujet de cet incident.
En ce qui concerne l’origine d’Avigolfe, je suis directement concernée. En effet, j’avais auditionné le Président d’Avigolfe, Hervé Desplat, dans le cadre d’un rapport sur la responsabilité civile des produits défectueux qui avait pour but de voir quel était l’équilibre à tenir entre les victimes et les industriels en cette matière. Avigolfe s’est créée dans les locaux de l’Assemblée nationale avec des journalistes ici présents. Je le dis pour montrer qu’il y a des députés, des politiques qui sont conscients des problèmes et qui ont voulu faire toute la vérité en ce qui concerne la guerre du Golfe.
Il est bon de faire cet historique et de montrer que cela a été fait à l’initiative de députés et que la suite qui y a été donnée a été la création de la mission d’information.
M. Bernard Cazeneuve, Président : Pardonnez-moi, Mme Rivasi, mais je voudrais ajouter un point. Il n’y a pas « des » députés qui veulent savoir la vérité ; il n’y a « que » des députés, dans cette mission, qui veulent savoir la vérité. Je tiens à le préciser.
Tous les parlementaires qui sont ici, dans cette salle, par leur assiduité aux séances de la mission d’information et les investigations qu’ils conduisent, ont un même objectif. Il n’y a pas « certains » députés ; il n’y a que « des » députés qui veulent atteindre cet objectif de vérité. Je ne souhaite pas que des collègues qui, ici, représentent des formations politiques qui se sont investies dans le travail de la mission, qui découvrent des documents et qui les analysent, puissent être soupçonnés par un de leurs collègues ou par une formule peut-être malencontreuse de ne pas vouloir conduire les investigations avec autant de rigueur que d’autres.
Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suis tout à fait d’accord.
Sur le plan de l’extension des travaux, je voudrais aussi appuyer ce que disait M. Cazeneuve sur le fait qu’il y a eu une discussion au sein de la Commission de la Défense où tous les groupes politiques étaient présents.
J’ajoute que, moi-même, j’ai précisé dans un communiqué à la presse précédant la décision d’extension des compétences de la mission qu’il serait intéressant d’élargir l’objet de ses investigations du fait des nombreux points communs entre ce qui s’est passé dans le Golfe, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo. La discussion au sein de la Commission de la Défense a abouti à l’extension du champ des travaux de notre mission.
En dernier lieu, je voudrais m’adresser aux ex-militaires ou aux civils qui ont participé à la guerre du Golfe, ou ont été envoyés en Bosnie et au Kosovo, pour leur dire que si cette mission a été mise en place, c’est bien pour répondre aux interrogations qu’ils se posent. Vous voyez que cela a complètement dépassé les frontières de la France : aux Etats-Unis, au Canada et en Europe, beaucoup de questions se posent à l’heure actuelle. Nous sommes là pour répondre à ces questions.
Si cette mission a été mise en place - et je parle à titre personnel -, c’est pour qu’il y ait un véritable suivi sanitaire des soldats, que des voies d’indemnisation soient ouvertes et que l’on pense à l’avenir. S’il y a à mieux protéger les soldats, à mieux les informer et à mettre en exergue un certain nombre de responsabilités quant aux conflits passés, la mission le fera.
Plutôt que de se lancer des invectives, de trouver des boucs émissaires ou de dénigrer certaines initiatives, je m’adresse au plus grand nombre pour dire que, si nous sommes là, c’est justement pour connaître la vérité.
M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : M. le Président, vous me permettrez, en tant que co-rapporteur, d’exprimer ma déception. En effet, jusqu’à ce jour, nous avons suivi de très près ces affaires et nous avons lu des centaines ou même des milliers de pages. J’avais tout à fait envie d’écouter l’association Avigolfe puisque beaucoup de ce que je lisais de façon scientifique allait à l’encontre de ce que l’on disait et de ce que l’on écrivait ailleurs. Je voulais donc pouvoir comparer de telles affirmations sur le Virgyl, par exemple, avec d’autres éléments. Je voulais savoir d’où cette association tenait toutes les vérités révélées et pouvoir les confronter à différentes sources. Je ne trouve en aucune façon responsable ce que je viens de voir aujourd’hui.
M. Jean-Louis Bernard : M. le Président, je suis à la fois déçu mais également stupéfait, car je trouve que certains semblent tout à fait ignorer que notre République doit fonctionner selon des règles démocratiques clairement acceptées par toutes et tous.
J’avais déjà lu un certain nombre de déclarations de la part de responsables d’Avigolfe vis-à-vis des membres de notre mission d’information. Leurs déclarations laissaient éventuellement suggérer ou suspecter une absence de rigueur ou de désir de vérité. Je voudrais ici, en tant que représentant du groupe de l’UDF, témoigner que, parmi les membres de la mission, j’ai toujours trouvé des collègues faisant preuve d’une parfaite honnêteté et rigueur intellectuelles et qui essaient d’y voir clair dans un dossier difficile.
Je vous renouvelle ici, M. le Président, puisque j’ai travaillé avec vous également dans l’enquête sur le Rwanda, mon entière confiance pour mener à bout cette délicate mission. J’espère qu’un signal fort pourra être délivré vis-à-vis d’Avigolfe, car je crois que nous avons dépassé ce qui est tolérable en démocratie.
M. Bernard Cazeneuve, Président : Rassurez-vous, mon cher collègue, je ne me sens pas du tout mis en cause dans mon rôle de Président par cet incident, bien au contraire.
Je pense que, dès lors que l’on veut, sur un certain nombre de sujets, aller au fond des choses avec une méthode qui soit, par sa rigueur, quasi-scientifique, incontestable, on s’attaque au fonds de commerce de tous ceux qui, de façon péremptoire et définitive, affirment des approximations. Je comprends que cela suscite à la fois leur colère et leur refus de s’expliquer dans le cadre d’un débat transparent. En effet, il est incontestable que beaucoup d’affirmations définitives mais approximatives ne résistent pas à quelques questions précises sur des sujets qui posent problème.
C’est parce que certains ont voulu échapper à cet exercice, qui aurait été une véritable épreuve de vérité, que nous avons assisté à cet incident qui n’est rien d’autre, je le répète, qu’un incident tout à fait mineur et, en même temps, une démonstration, pour tous ceux qui sont ici, parlementaires et journalistes, extrêmement intéressante. Voilà ce que je peux dire sur le fond.
Maintenant, il reste nos prérogatives de parlementaires. Les pouvoirs respectifs d’une commission d’enquête et d’une mission d’information parlementaires sont identiques. Certains à qui nous avons pourtant communiqué le Règlement de l’Assemblée nationale, semblent avoir du mal à comprendre à la fois ces dispositions et leur esprit. Nous allons regarder quels sont les moyens pédagogiques qui nous permettraient, de façon définitive, de leur faire comprendre ces textes. Je m’y emploierai dès cet après-midi avec le Président Quilès.
M. Charles Cova, Vice-Président : M. le Président, je crois que tout a été dit. On peut tout de même s’étonner de l’absence de Mme Abdelkrim-Delanne, qui est l’auteur de ce livre. Je la remercie d’ailleurs de nous en avoir offert un exemplaire, mais la mission avait déjà fait l’acquisition pour chaque membre de la mission parce que, justement, tout ce qu’elle dit et écrit nous intéresse au plus haut degré.
M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est bien la démonstration que notre mission dispose de quelques moyens d’investigation... Y compris pour acheter ces ouvrages en librairie.
M. Charles Cova, Vice-Président : On ne peut que déplorer l’attitude d’Avigolfe. Au nom du groupe RPR, que je représente ici, je suis scandalisé. Cette mission a été mise en _uvre par l’Assemblée nationale et c’est un déni de l’action parlementaire que ces gens ont manifesté. C’est pour cette raison que, personnellement, je me sens particulièrement visé, en tant que parlementaire de ce pays, par le peu de considération que cette association a manifesté à notre égard.
M. Bernard Cazeneuve, Président : La presse a-t-elle des questions à poser ? Nous répondrons bien volontiers à toutes les questions concernant la manière dont nous travaillons. M. Desplat a proféré certaines accusations et si vous souhaitez, par des questions complémentaires, que l’on vous apporte des éclaircissements sur la manière dont nous travaillons, c’est bien volontiers que nous le ferons. Les choses sont pour nous parfaitement claires.
M. Bernard Estrade, correspondant de l’AFP : Au cours du débat qui a eu lieu au sein de la Commission de la Défense sur l’extension des compétences de la mission et sur lequel nous avons reçu le compte rendu, il y a eu un échange de points de vue sur l’opportunité d’un déplacment en Irak. Avez-vous abouti à une décision en ce qui concerne ce déplacement ?
M. Bernard Cazeneuve, Président : Lorsque la mission d’information parlementaire a été créée, elle a décidé d’organiser un certain nombre de déplacements, dont le premier aura lieu au tout début du mois de février en Grande-Bretagne puis d’autres suivront notamment aux Etats-Unis et, effectivement, la question se pose de savoir si nous devons nous rendre en Irak.
La question n’a pas été tranchée définitivement par la Commission de la Défense et il n’est donc pas exclu que nous puissions nous rendre dans ce pays. La seule réserve que nous avons unanimement formulée, c’est qu’il faut que nous puissions le faire dans des conditions dans lesquelles nous pourrons procéder de façon convenable aux investigations que nous souhaitons mener en raison des objectifs que nous poursuivons. Il ne sert à rien de se rendre dans un pays en cherchant à répondre à des questions importantes si, sur place, les conditions ne sont pas réunies pour que nous puissions accéder librement à un cadre de recherche ouvert.
C’est ce que nous évaluerons en opportunité, le moment venu. Il ne faut donc pas exclure a priori cette hypothèse. La mission d’information veut faire un vrai travail approfondi partout où des réponses à ses questions peuvent être obtenues et si cela peut être le cas en Irak, nous nous y rendrons. Mais nous ne le ferons qu’après avoir vérifié, notamment par le biais nos services diplomatiques, qu’il sera possible d’agir de la sorte.
En effet, nous ne sommes pas naïfs et nous savons que le gouvernement irakien n’est pas un modèle de démocratie et de transparence, même s’il semble, au regard de la déclaration que je viens d’entendre, qu’il puisse éventuellement servir pour certains de modèle à la démocratie bien imparfaite dont nous sommes ici que les modestes représentants.
Il n’y a pas d’autres questions ? Non ? Très bien. Je vous remercie et vous donne donc rendez-vous à l’occasion de notre prochaine audition publique.
Source : Assemblée nationale (France)
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