Composition de la délégation : MM. Jean-Pierre Schosteck, président, Jean-Claude Carle, rapporteur, Mmes Michèle André, vice-présidente et Valérie Létard.
I - Visite du commissariat de Bagneux
La Commission a été accueillie par M. Sourice, commissaire principal, chef de district, Mme Grossmann commissaire principale de Montrouge.
1. Le profil de la délinquance juvénile
L’approche de la délinquance juvénile par le seul biais quantitatif est à relativiser. Les chiffres de Bagneux diffèrent tendanciellement de ceux constatés sur le département. Le pourcentage des mineurs dans les mises en cause est légèrement inférieur à Bagneux à la moyenne départementale (19,69 % contre 23,7 %).
Les jeunes entrent très jeunes dans la délinquance, selon une démarche initiatique, celle-ci débutant par de petits vols. Un pronostic précoce peut être fait. La gravité des actes va croissant, souvent non sanctionnés jusqu’à ce que le jeune atteigne sa majorité, moment où les faits sont durement réprimés. Par ailleurs, celui qui a eu des démêlés avec les institutions jouit d’une sorte de « statut » de caïdat.
Les actes de délinquance juvénile ne présentent guère de rationalité : beaucoup sont purement gratuits, il y a déconnexion entre le butin escompté et la violence de l’acte délictueux.
L’approche en termes de groupes de pairs est importante sans être exclusive. Ces derniers sont, pour beaucoup de mineurs, le seul encadrement dans la tranche 16 heures-20 heures. Laissés à eux-mêmes, les jeunes se regroupent assez naturellement. Beaucoup de délits sont commis en réunion. Les bandes sont parfois mixtes, composées de mineurs et de majeurs. Elles sont aujourd’hui davantage pluriethniques mais la concentration de populations originaires d’un même pays ouvre le risque, encore en germe, de bandes à connotation ethnique sur certaines zones.
La notion de territoire recoupe souvent celle des bandes. Ces territoires sont petits : cage d’escalier, ensemble, quartier. C’est en tout cas dans le quartier que les jeunes peuvent sortir de leur anonymat. Il y a un phénomène d’appropriation des lieux par ces derniers, la présence de l’autorité y est perçue souvent comme illégitime.
2. Les difficultés des adultes et des institutions
Les adultes, notamment les parents, se sentent désarmés face à ce phénomène : la présence de parents aux côtés de mineurs interpellés est variable. La présence des pères est très faible.
Les populations d’origine africaine affrontent deux difficultés particulières :
– l’affirmation de l’autorité paternelle repose parfois sur la sanction physique alors que la maltraitance est pénalement réprimée. Devant ce risque, beaucoup de pères laissent faire et ne cherchent pas à affirmer leur autorité d’une manière alternative.
– dans certaines zones rurales africaines, l’éducation des enfants est l’affaire de tous et l’autorité parentale est en réalité étendue à tous les adultes du village. De nombreux habitants des quartiers de Bagneux, originaires d’Afrique de l’Ouest, ne peuvent compter sur la même mobilisation des voisins. Dans la rue, espace d’anonymat par excellence, les enfants ne sont pas encadrés, d’où la carence en termes de surveillance et d’éducation.
Les femmes se mobilisent mieux que les hommes malgré des difficultés non négligeables. Dans la cité d’Antony, des mères ont créé une association de femmes-relais pour lutter contre ce phénomène d’abandon.
De son côté, l’école ne joue qu’imparfaitement son rôle intégrateur du fait d’objectifs trop ambitieux. L’obligationde scolarité tardive, et la préférence affichée des pouvoirs publics pour les filières générales sont à la source de beaucoup de frustrations pour des jeunes qui sont souvent incapables d’assimiler les fondamentaux (lecture, écriture, calcul). L’illettrisme est fréquent.
3. L’urbanisme : un facteur aggravant
La ségrégation urbaine s’accroît constamment : les plus favorisés quittant les quartiers, restent dans les cités des populations extrêmement précaires. Les difficultés économiques et sociales sont le terreau d’une violence d’exclusion et à l’origine de tous les trafics (recels, stupéfiants, etc.). L’habitat est parfois très dégradé.
L’urbanisme doit être repensé pour faciliter l’intervention des secours (pompiers, police, santé). Les risques d’intervention sont accrus par la présence d’une architecture mal conçue (coursives), facilitant les agressions et les guet-apens.
4. La répression
La procédure d’enquête est trop complexe et trop lourde : elle ralentit le traitement des affaires, transforme les officiers de police en agents administratifs et est souvent contre-productive pour les prévenus, puisque les délais de garde à vue sont allongés afin de permettre aux services de mener à bien, étape par étape, cette procédure.
L’éloignement du palais de justice, situé à Nanterre de l’autre côté du département, entraîne une mobilisation de moyens matériels et humains (trois agents et une voiture durant deux à trois heures pour un transfert) afin d’assurer le transfert des prévenus. Ces moyens sont par définition soustraits à la surveillance du terrain. Il serait nécessaire d’établir une justice de proximité.
L’instauration de sanctions progressives et adaptées est impérative, l’enfermement ne devant par ailleurs pas être un tabou pour les délinquants les plus durs, et ce même précocement. La sanction trop souvent décalée des faits, et aléatoire, est perçue comme illégitime et injuste. Elle devrait au contraire être systématique et graduelle : les jeunes délinquant ne peuvent craindre une sanction que lorsqu’elle est lisible.
Il est enfin urgent de retrouver un affichage de l’autorité qui ne doit pas reposer sur la seule institution policière.
II. Visite de l’antenne de justice de Bagneux
La commission a été accueillie par Mme Maier, substitut du procureur, M. le délégué du procureur, Mlle Authouart travailleur social, Mme Kim Nguyen, secrétaire de l’antenne.
1. L’antenne de justice a pour fonction d’offrir une présence juridique de proximité
L’antenne remplit un rôle d’information à destination de la population de Bagneux, Bourg-la-Reine, Fontenay aux Roses, Sceaux. Elle offre un point d’accès au droit par la présence d’un substitut et d’un délégué du procureur.
Ses fonctions juridiques, au-delà des conseils procurés par les juristes effectuant des permanences, sont de deux ordres :
– la médiation d’affaires de faible importance. Dans certains cas, des mesures d’indemnisation peuvent être préconisées mais en aucun cas de réparation ;
– le rappel à la loi, adressé à des mineurs ayant commis de petites infractions.
Ses missions juridictionnelles pénales sont inexistantes. L’essentiel des opérations judiciaires ne pouvant avoir lieu à l’antenne de justice, elle ne saurait donc pas constituer le pôle judiciaire de proximité souhaité par les officiers du commissariat, entendus lors de la visite précédente.
2. L’antenne de justice est le lieu où s’effectue un travail de prévention et de renseignement
La présence d’un travailleur social permet un travail préventif à un double égard :
– elle favorise le recueil de renseignements propice à la détection des jeunes proches de la délinquance. Avec l’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’exploitation des mains courantes rend possible le ciblage des publics en difficulté. La collaboration entretenue avec ces services autorise la convocation précoce de l’enfant et de sa famille voire, si la situation l’exige, le signalement au juge des enfants.
– elle sert de relais vers des services éducatifs ou d’insertion.
L’essentiel de ce travail repose sur la qualité des partenariats établis avec les protagonistes des contrats locaux de sécurité : les liens police - justice - éducation étant de qualité, les actions préventives et répressives peuvent être conduites à bon escient. Les intervenants constatent que cette entente, tout en étant la clef du succès, n’est pas garantie, tous les éducateurs n’acceptant pas l’idée d’un signalement de jeunes à la justice.
3. Une antenne de justice confrontée à des difficultés de fonctionnement
Le fonctionnement de l’antenne de justice n’est pas pérenne car le travailleur social et la secrétaire sont sous contrat à durée déterminée rémunérés par une structure associative, en partie sur financement de la politique de la ville, la mairie prenant en charge le complément. Il s’agit là d’une carence du ministère de la justice.
Sur la question de la délinquance des mineurs, l’utilité essentielle de cette structure est de permettre une convergence des informations.
La structure a pour mission de déployer des actions de prévention, de médiation et d’assistance éducative mais n’apporte pas de réponses pénales, élargissement de compétences sur laquelle le personnel de l’antenne se montre très réservé, tant pour des raisons techniques (nécessité d’espace et de personnel qualifié) que symboliques (c’est au délinquant d’aller à la justice et non à la justice d’aller vers le délinquant).
III. Visite de l’association « Le Chalet -Vis avec nous »
La commission a été reçue par Mme Jibart, présidente de l’association, et Mme Maisonneuve, chef de service, ainsi que par des travailleurs sociaux et des habitants du quartier.
1. Historique de l’association
Le mouvement associatif est né en 1984 de la mobilisation de cinq femmes du quartier contre la toxicomanie, suite au décès de trois jeunes par overdose. Dans un premier temps, l’association a proposé aux habitants une formation médicale adaptée aux actions de lutte contre la toxicomanie.
Les membres de l’association ont progressivement, par la suite, développé cinq axes de travail : la famille, la peur et la violence, l’école et la vie de quartier, l’environnement, l’insertion.
Afin de faciliter l’obtention de financements mais aussi par désir de travailler avec des professionnels et d’établir des partenariats institutionnels, l’association a demandé son classement en club de prévention spécialisée en 1990.
L’association, présente dans la cité de la Pierre Plate, dispose d’un chalet en bois construit par les habitants, d’un jardin de 500 m2 destiné à initier les enfants au jardinage, et d’un appartement servant aux réunions, mis à disposition par le bailleur social.
2. Actions
Les actions du club s’orientent selon cinq axes :
– l’environnement : par la conduite d’initiatives tendant à la réhabilitation du quartier ;
– l’insertion : par des ateliers et des entreprises d’insertion, notamment une « repasserie » gérée sous forme associative ;
– l’école et le quartier : deux programmes sont conduits de manière concomitante : un terrain de jardinage où des adultes encadrent des enfants pour des activités. Il est à noter que ce terrain de 500 m2 était précédemment un lieu notoire du trafic des stupéfiants ; un atelier-théâtre fonctionnant grâce à une subvention de la Caisse d’allocations familiales.
Après des tractations parfois longues, des partenariats ont été conclus avec des écoles de Bagneux afin de faire participer des enfants à ces activités, notamment ceux d’une classe maternelle, de deux CP/CE1, de deux classes de perfectionnement, ainsi que des actions en faveur d’adolescents en grande difficulté.
Un groupe destiné au soutien familial et parental a été mis en place, au moyen d’un groupe de parole sur des sujets sensibles, notamment la toxicomanie. Ce groupe de parole lutte par ailleurs contre l’isolement et l’anonymat dans le quartier, et ce par l’instauration de lien social.
Des actions particulières sont prévues à destination des parents d’origine d’Afrique de l’Ouest, nombreux sur la cité (atelier-couture, groupe de pères africains) :
– l’insertion par l’organisation de braderies et la délivrance d’informations relatives à l’orientation vers les structures d’emploi ;
– la lutte contre la peur et la violence rassemble les bénévoles de l’association et des éducateurs. Repérés comme potentiellement en difficulté, les jeunes sont pris en charge par l’association.
La difficulté du repérage est décuplée dans un environnement urbain constitué de grands ensembles. Les habitants remplissent de plus en plus cette fonction de veille.
Un psychologue bénévole intervient dans le cadre d’un groupe de parole pour les adolescents. Un partenariat fonctionne avec les services « jeunesse » de la mairie.
3. Principaux enseignements
L’implication des habitants est une condition du succès de la prévention spécialisée à laquelle elle fournit un cadre. Leur motivation s’essouffle assez rapidement s’ils ne sont pas organisés. A ce titre, le secteur associatif/Prévention Spécialisée offre un cadre alliant bénévoles et professionnels. La mobilisation reste constante.
L’établissement de partenariats est un travail long mais indispensable. L’association doit délimiter une charte d’action concertée avec chaque institution : police, justice, services municipaux et départementaux, Education nationale.
L’association de prévention spécialisée ne doit en aucun cas se substituer aux institutions mais au contraire remplir une fonction d’interface : renseignements, orientation, intermédiaire. A titre d’exemple, toute difficulté liée à la toxicomanie (présence de trafics) fait l’objet d’un signalement aux autorités.
Les difficultés se rencontrent de plus en plus jeunes (« l’adolescence commence de plus en plus jeune ») ce qui justifie un ciblage sur les très jeunes de la prévention spécialisée. A cette fin, le Conseil général a autorisé le travail sur les petits par le biais du jardin.
Certaines populations nécessitent un effort d’intégration accrue. Des phénomènes de racisme et d’ethnicité ontété signalés. Une solution a été trouvée dans la création d’un groupe de « percussion » rassemblant des enfants d’origine ethnique différente. Le groupe de travail destiné aux « pères africains » se heurte encore à des obstacles de fonctionnement.
Les responsables de l’association ont en outre insisté sur deux points :
– en termes de résultats : sur le quartier demeure une grande présence d’incivilité mais peu d’insécurité ;
– l’efficacité du travail associatif réside dans l’association de la prévention spécialisée et du développement social.
IV. Visite du collège Romain Rolland
Autour d’une table ronde, sont réunis notamment Mme Narp, principal du collège, M. l’Inspecteur d’académie, des enseignants, des représentants de l’Association « Le club-relais », association de prévention spécialisée, des représentants des écoles primaires, des enseignants de la section SEGPA, un représentant du Centre social et culturel, et la responsable de la « classe-relais » de Bagneux.
Le collège Romain Rolland compte 380 élèves en collège sur 17 classes, et dispose de 7 aides éducateurs, d’un médiateur, d’une infirmière - tout en attendant la nomination d’un second poste - et enfin d’une assistante sociale.
Le collège, classé ZEP et situé en zone sensible, est un « établissement cible » des deux plans violences. Par ailleurs il est à noter que 30 % du personnel enseignant de Romain Rolland est présent depuis moins de trois ans.
Les familles des élèves appartiennent pour moitié à des catégories socio-professionnelles défavorisées 24 nationalités différentes sont recensées.
1. L’environnement de la délinquance
Les participants ne constatent pas de phénomènes de bandes dans l’établissement mais signalent un sentiment d’appartenance par quartier, qui se traduit dans des codes vestimentaires.
Les actes délinquants sont, par ordre d’importance numérique décroissant :
– les incivilités ;
– les violences entre enfants, et notamment des bagarres qui dégénèrent ;
– des incivilités graves contre les personnels, notamment enseignants. Ces actes, enregistrés en 2001, ont étésévèrement sanctionnés et ne semblent pas se reproduire.
Les trafics de stupéfiants, très liés au cannabis, tiennent une place à part.
2. L’échec scolaire
Le collège souffre d’un absentéisme perlé. Néanmoins, une convention a été conclue entre la caisse d’allocations familiales et les Hauts-de-Seine depuis trois ans, entraînant des sanctions financières pour les familles des enfants pratiquant « l’école buissonnière ». Ces sanctions sont efficaces puisque, dans 60 % des cas, l’absentéisme prend fin dans la semaine suivant la notification de la sanction à la famille.
Le travail scolaire n’est pas fait dans de nombreux cas.
Pour lutter contre l’échec scolaire, le collège dispose d’outils d’une intensité croissante :
– Les services du Centre social et culturel qui fournissent un accompagnement scolaire (soutien scolaire) et formulent des propositions d’orientation aux plus âgés (élèves de 3ème) et à leurs familles.
– Le tutorat est proposé à des élèves en difficulté de comportement refusant systématiquement le travail. Un référent suit l’enfant dans le cadre d’un contrat avec la famille portant sur le travail scolaire, le comportement etl’absentéisme.
– La classe-relais rassemble 6 ou 7 élèves des collèges de Bagneux, venant des trois collèges, démotivés ou en rupture comportementale pour une remise à niveau. Le passage en classe-relais est d’une durée variable, selon les progrès de l’enfant (quelques semaines généralement).
– La SEGPA rassemble 75 élèves plus âgés (autour de 18 ans) et propose deux formations qualifiantes, sur la base d’un rythme scolaire aménagé.
3. Les partenariats
Le collège a conclu des partenariats avec des institutionnels ou des associations afin de mener des actions concertées.
– Un contrat spécial a été conclu avec la police dans le cadre de la phase II du plan Allègre de lutte contre la violence. Ce contrat se traduit par une présence policière aux heures sensibles, notamment à l’heure des sorties de classe.
– Un partenariat a été mis en place avec le « Club-relais », association de prévention spécialisée. Depuis 1996, les éducateurs agissent de concert avec l’école et y organisent des manifestations (expositions, etc.).
4. L’implication parentale
Les parents sont régulièrement invités au collège ou dans le cadre de la « maison des parents » municipale.
L’inspection d’académie a, par ailleurs, incité les établissements à rédiger les documents transmis aux parents dans le français le plus simple possible afin de favoriser la compréhension de ces documents.
Le collège organise une remise directe des bulletins scolaires aux parents.
5. Les difficultés en suspens
La stabilité du corps enseignant repose sur une équipe d’enseignants expérimentés qui définit lui-même avec humour son profil de « militant ». Ces « anciens » reconnaissent les difficultés d’exercice et comprennent le souhait réitéré des plus jeunes d’obtenir un changement rapide d’affectation. Le recours à des vacataires accroît par ailleurs la précarité de l’équipe enseignante.
Certaines difficultés dépassent les missions du collège : des élèves nécessitent un véritable suivi médical psychologique que le collège ne peut leur offrir. D’autres devraient, par ailleurs, faire l’objet d’une séparation au moins temporaire (la création de places en internats serait un plus).
Le manque de personnel médico-social est important et ce, malgré l’attribution de « postes budgétaires ». L’infirmière a plus de 1.000 élèves sous sa responsabilité, répartis dans plusieurs établissements. Un deuxième poste est à pourvoir mais il ne trouve pas preneur. L’assistante sociale n’exerce pour sa part qu’à temps partiel.
Le niveau scolaire de certains élèves nécessite une prise en charge plus soutenue alors même que les dispositifs proposés ne sont pas sans failles. La procédure du tutorat est complexe et se heurte parfois à l’indifférence des familles en cause. En outre, l’entrée en 6ème d’élèves -nombreux- n’ayant pas acquis les fondamentaux (lecture, calcul, écriture) et une maturité méthodologique plaident pour une sorte de « CM3 », cours moyen 3ème année.
Source : Sénat français
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