Composition de la délégation : MM. Jean-Claude Carle, rapporteur, Jean-Jacques Hyest, vice-président, Mme Claire-Lise Campion, MM. Simon Sutour et François Zocchetto.

I. Présentation du projet néerlandais de réponse à la délinquance des mineurs (ministère de la justice)

Les chiffres de la délinquance sont stables en valeur absolue : 50.000 jeunes sont mis en cause chaque année, soit 4 % de la jeunesse. Toutefois, les délits commis sont de plus en plus violents, la population délinquante se rajeunit et la part des minorités ethniques dans la délinquance augmente (Marocains, Antillais, Surinamiens, Turcs). En outre, le nombre de délinquants souffrant de troubles psychiques augmente.

Devant ce phénomène, le gouvernement des Pays-Bas a décidé de renforcer la prévention à trois niveaux :

 la prévention primaire vise l’ensemble de la population ;

 la prévention secondaire permet de repérer les groupes pour lesquels le risque d’entrer dans la délinquance est fort ;

 la prévention tertiaire concerne les jeunes ayant déjà commis des délits.

1. La prévention primaire

Elle est menée en collaboration avec d’autres ministères comme celui de l’enseignement, celui de la santé, celui des affaires sociales et de l’emploi et celui de l’intérieur (chargé de la politique relative aux minorités ethniques).

Ainsi, le ministère de l’enseignement a lancé un programme intitulé « l’école sécurisée » qui a pour mission d’éviter les comportements délinquants à l’école en instituant des règles strictes au sein des établissements et en allongeant la durée de présence des enfants.

Des actions spécifiques sont menées en direction des populations appartenant aux minorités ethniques, qui permettent parfois des initiatives propres à ces communautés, telles que les « patrouilles de pères » mises en place par la communauté marocaine.

2. La prévention secondaire

La prévention secondaire vise à identifier à un stade prématuré les groupes « à risque » et porte notamment sur les jeunes enfants. Ainsi, le fait qu’une jeune mère élève seule un enfant ou qu’elle l’élève dans un quartier où règne une forte criminalité sera considéré comme facteur de risque pour l’enfant.

Il est indispensable que cette prévention intervienne de manière précoce afin que les services sociaux puissent apporter une réponse efficace.

Une assistance peut être proposée aux parents, qui peut consister à leur permettre de suivre des cours d’éducation des enfants. Certains parents sollicitent d’eux-mêmes une telle aide.

Lorsque les parents refusent de suivre ces cours de formation alors que leurs enfants sont entrés dans la délinquance, on tente de les convaincre de l’utilité de ces formations. Le Gouvernement réfléchit à une possibilité d’obliger les parents à suivre ces cours. Les mesures de tutelle ne sont en effet applicables que dans des cas très graves.

Certaines mesures visent enfin à lutter contre l’absentéisme qui est détecté par les établissements scolaires. Ces derniers alertent le fonctionnaire chargé de l’obligation scolaire qui saisit ensuite le ministère de la justice. Si les parents refusent d’envoyer leurs enfants à l’école, ils peuvent être punis d’une amende.

3. La prévention tertiaire

Elle vise essentiellement à éviter la récidive à travers une sanction adaptée, qui tient compte de l’« historique » du jeune.

La procédure a été améliorée à travers quatre réformes.

D’abord, les instruments mesurant les risques ont été renforcés.

Ensuite, la coopération entre les acteurs de la lutte contre la délinquance (police, ministère public, associations de protection de la jeunesse) a été encouragée afin d’arrêter une solution qui s’avère réalisable.

En troisième lieu, tout mineur sanctionné fait l’objet d’un projet pédagogique pendant 6 à 9 mois afin d’éviter la récidive.

Enfin, un effort particulier est fait pour améliorer la coordination entre les institutions qui entrent en contact avec le jeune, même si les délais restent encore trop longs. Ainsi, à l’heure actuelle, les délais entre la commission du délit et la traduction du jeune devant le juge sont de 6 mois à un an. Les délais entre le jugement de l’affaire et l’exécution de la peine varient eux entre 3 et 6 mois.

Il convient de remarquer que les mesures prévues pour les majeurs toxicomanes (deux ans de détention avec injonction thérapeutique) ne sont pas applicables aux mineurs.

4. Les mesures en direction des « noyaux durs »

Le ministère public encourage un recours plus fréquent à la détention provisoire, quitte à ce que cette dernière soit suspendue afin de permettre à un jeune d’assister à des programmes de formation intensifs.

Par ailleurs, les Pays-Bas encouragent le développement de la détention partielle des mineurs (de nuit ou encore le week-end) ainsi que le placement d’un nombre plus important de jeunes dans des internats aux règles de fonctionnement strictes.

II. Visite du centre de détention et de traitement Rentray

Le centre de détention et de traitement Rentray a été créé en 1851 après la visite de la colonie pénitentiaire de Mettray près de Tours par le père Suringar.

Rentray est une institution du secteur associatif pour jeunes âgés de 12 à 18 ans venant de l’ensemble des Pays-Bas et souffrant de sérieux problèmes comportementaux. Il fonctionne grâce à des subventions du ministère de la justice, du ministère de l’enseignement, des institutions communautaires et de fondations privées. Avec un effectif de 425 personnes, il gère des centres de traitement ouverts et semi-fermés dans les villes de Eefde, Rekken et Apeldoorn. L’unité de Rekken comporte également un centre de détention fermé. En 2003, un nouveau centre sera ouvert à Lelystad qui accueillera 120 à 144 jeunes.

A l’heure actuelle, Rentray dispose de :

 180 places de traitement en centre ouvert ;

 42 places en centre fermé ;

 une école d’enseignement spécialisé comptant 360 élèves, dont 220 sont en internat.

Les jeunes qui arrivent au centre n’ont connu que des échecs. Ils souffrent souvent de troubles psychiques, sont déscolarisés et souvent délinquants. Ils sont donc démotivés et peu réceptifs. Les objectifs poursuivis doivent donc être réalistes et forcément limités.

La durée moyenne de placement s’élève à un an et demi. Le type de placement (détention ou traitement) est décidé par le juge des enfants en collaboration avec les institutions de tutelle. Deux catégories de jeunes sont présents :

 ceux qui ont commis des faits punissables ;

 ceux qui ont été mis sous protection de la justice.

Lorsqu’ils deviennent majeurs, les organismes de prévention des jeunes adultes prennent le relais. Les jeunes issus des minorités ethniques représentent 50 à 60 % des jeunes placés.

Au cours d’un séjour, les jeunes peuvent aller successivement dans le centre fermé, le centre semi-fermé ou le centre ouvert en fonction de leur comportement. Des allers-retours entre ces centres sont possibles. Les centres semi-fermés ne sont pas mixtes. Ils comportent une vingtaine de jeunes qui vont à l’école le matin et l’après-midi, mais qui ne peuvent sortir seuls du pavillon. Les fenêtres ne s’ouvrent pas et les portes sont toujours verrouillées.

Cinq principes guident l’action des différents intervenants :

 la volonté de diminuer les risques auxquels sont confrontés les jeunes, notamment en matière de toxicomanie. Ainsi, la drogue n’est pas tolérée dans les centres et les contacts des jeunes avec l’extérieur sont surveillés pour éviter tout trafic ;

 la nécessité de les couper de leur environnement lorsque celui-ci les conforte dans la délinquance ;

 le souci de revaloriser les jeunes : en arrivant à Rentray, ils ont une très mauvaise opinion d’eux. Il s’agit donc de leur redonner confiance, notamment en augmentant leur niveau de compétence ;

 la préparation des jeunes à de nouvelles opportunités, notamment en matière d’emploi afin d’éviter la récidive. Leur insertion dans le monde du travail est réalisée en collaboration avec des PME et des sociétés d’intérim et s’organise en trois phases : une phase d’orientation, une phase de stage et de formation (hôtellerie-restauration, menuiserie, accueil d’enfants, jardinage, travail administratif...) et une phase d’accompagnement sur le marché du travail ; l’encadrement continue pendant six mois à un an après le départ du centre ;

 l’incitation des jeunes à avoir de nouvelles relations sociales.

Rentray fonctionne sur la base du partenariat : tous les intervenants sont associés pour lutter contre la délinquance dans les quartiers : l’école, la justice, la police, les parents, les associations de quartiers etc.

L’évaluation du travail de Rentray est systématique et est réalisée par les jeunes, par les institutions de tutelle ainsi que par ses collaborateurs à travers des enquêtes de satisfaction.

67 % des jeunes sortant de l’établissement ne récidivent pas pendant l’année qui suit (les adolescents non retrouvés étant comptabilisés comme récidivistes).

III. Visite du bureau « Halt » Haaglander

Les Pays-Bas ont développé une alternative à la poursuite judiciaire pour des jeunes primo-délinquants de plus de 12 ans ayant commis certaines infractions (tirs de pétards, vols à l’étalage, tags, vandalisme). Le dommage provoqué par le délit ne doit pas dépasser 115 euros et les jeunes doivent avouer le délit.

Lorsque le jeune est arrêté par la police4(*), il lui est proposé de réparer directement sa faute plutôt que de faire l’objet d’une procédure pénale stricto sensu. L’avantage pour le jeune est d’éviter que son infraction apparaisse sur son casier judiciaire. S’il accepte, le procès-verbal est envoyé dans un bureau Halt qui convoque le jeune et ses parents au commissariat afin d’établir la peine.

Le premier contact vise essentiellement à connaître l’environnement familial de l’enfant et à s’assurer qu’il n’existe pas de problème plus grave. Le deuxième contact a lieu la semaine suivante en la présence du seul jeune.

Le programme Halt lutte contre la délinquance juvénile par la combinaison de la prévention de la récidive et la sanction de l’infraction.

1. La prévention de la récidive

Avant d’infliger la sanction, les éducateurs discutent avec le jeune pour connaître les motifs qui l’ont poussé à commettre l’infraction et pour lui montrer qu’il pourrait agir de manière différente.

En outre, les bureaux Halt développent des actions de sensibilisation dans les écoles afin de faire prévaloir le sentiment de sécurité. Ils sont également en charge de projets en matière d’assistance sociale vers les jeunes n’allant plus à l’école et n’ayant pas encore un emploi.

2. La sanction de l’infraction

Les bureaux Halt prennent contact avec la victime pour arrêter la sanction. Celle-ci est en lien direct avec l’infraction et vise à la réparer soit directement (nettoyer un mur après y avoir fait un graffiti), soit indirectement (travailler quelques heures dans le magasin victime du vol à l’étalage). La durée des travaux est comprise entre quatre et vingt heures. Si le jeune n’effectue pas la peine, il reçoit un avertissement. S’il l’ignore, son cas est repris par la justice.

3. Bilan

Chaque collectivité de base est tenue par la loi de créer un centre Halt. Il en existe à l’heure actuelle 64 (autant que des bureaux de police) qui fonctionnent de manière différente et accueillent 23.000 jeunes par an. 1.200 jeunes sont concernés chaque année à La Haye. Les 14-15 ans sont les plus représentés.

Le procureur de la Reine fixe le barème des sanctions en fonction de l’âge du jeune, du délit commis et du montant du dommage.

Le taux de récidive s’élève à 6 %. Il convient de remarquer qu’un jeune ne peut être pris en charge par le centre Halt que deux fois. Ensuite, il n’est plus considéré comme un primo-délinquant et fait l’objet de la procédure pénale traditionnelle.

L’alternative aux poursuites s’est développée car elle permet de répondre rapidement et de manière efficace à la primo-déliquance. Ainsi, la sanction est mise en oeuvre dans un délai de deux mois au maximum alors que les poursuites judiciaires s’enlisent en raison de l’engorgement des juridictions.

Il convient de remarquer qu’avant la création des centres Halt en 1985, cette délinquance restait pratiquement impunie (les jeunes recevaient dans les meilleurs cas un avertissement).

Devant le succès de ce dispositif, des actions ont été menées en direction des jeunes de moins de 12 ans (programme « STOP »). S’ils ne peuvent être contraints à travailler, ils sont sensibilisés à l’infraction qu’ils ont commis par un travail éducatif sous forme de jeux informatiques.

La durée du travail infligé aux jeunes du programme Halt ne peut dépasser 20 heures. En revanche, dans le cadre de la procédure pénale, des TIG d’une durée plus longue peuvent être décidés.


Source : Sénat français