La précaution laïque autant que la saturation du système éducatif conduisent à ratifier les options déjà prises, c’est-à-dire à écarter l’hypothèse, parfois formulée, d’une " matière " en plus et à part entière dans le premier et le second degré.
L’histoire des religions, tout comme l’histoire des arts et celle des sciences et des techniques, peut sans aucun doute constituer une discipline spécifique dans l’enseignement supérieur et la recherche, en rameau autonome d’un tronc de disciplines préalables (histoire, philosophie, sociologie, médiologie). Mais pas plus que ses consoeurs, elle ne saurait prétendre, au lycée et au collège, occuper une place à part. La charge en incombe aux personnels en fonction, à travers les disciplines reconnues. Encore ces enseignants doivent-ils être accompagnés et soutenus dans la poursuite de leurs efforts.
L’Ecole ne peut prendre en charge à elle seule tous les problèmes non résolus par la société. Dans la crise de croissance qu’elle traverse, - massification des lycées, surcharge d’activités, engorgement des horaires, empilement des programmes-, à l’heure où l’on parle, peut-être trop, d’alléger et de réduire -il ne serait pas raisonnable d’ajouter une case nouvelle à une grille déjà bien encombrée, dont beaucoup d’enseignants regrettent déjà la lourdeur et la difficulté à la " faire passer " auprès de classes hétérogènes. Promouvoir l’histoire des religions, dans l’enseignement secondaire, en discipline spécifique serait lui rendre le pire des services puisqu’elle ne pourrait, dans un calendrier plein comme un oeuf, qu’occuper une place décorative et un horaire à la marge, celui du cours de musique.
À plus long terme, serait à craindre, en l’absence de concours réguliers (licence, agrégation ou Capes), et d’instance autonome de validation des savoirs (Conseil national des universités), une substitution du clerc au laïc. Des intervenants extérieurs seraient tôt ou tard proposés pour remplacer les enseignants, et pas n’importe lesquels : diplômés des Facultés de Théologie et représentants patentés des différentes confessions, qui pourraient arguer de réelles qualifications et d’une séculaire expérience à cet égard. Jules Ferry, pour le coup, n’y reconnaîtrait plus les siens.
C’est donc sur les contenus d’enseignement, par une convergence plus raisonnée entre les disciplines existantes, et surtout sur la préparation des enseignants qu’il convient de faire porter l’ambition. Ce sont ces derniers qu’il faut inciter, rassurer et désinhiber et, pour ce faire, mieux armer intellectuellement et professionnellement face à une question toujours sensible car touchant à l’identité la plus profonde des élèves et des familles. Une meilleure compétence en appui sur un sujet jugé non sans raison épineux ou compliqué (socialement beaucoup plus " chaud ", de fait, que l’histoire des sciences et de l’art) devrait permettre de décrisper, dépassionner et même, osons le mot, banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque.
Cette formation des formateurs exige de rapprocher les deux lames trop écartées d’un même ciseau, la scolaire et l’universitaire. Car il s’est opéré, et dans ce domaine plus particulièrement, un décrochage entre la recherche spécialisée et l’enseignement général. Entre l’évolution interne des savoirs et la pratique ordinaire de leur transmission. Entre une " haute culture " réservée à une élite sociale ou savante, et un " niveau moyen " exposé, par appel d’air, aux vents médiatiques de la simplification. Avec, entre autres conséquences, des chassés-croisés cocasses ou navrants. Ne peut-on lire dans certains manuels scolaires, sous label laïque, des formules dignes de l’histoire sainte du XIX e (" Abraham, le père du peuple hébreu " ou " Jésus, le fondateur du christianisme ") - simplismes dont le spécialiste confessant du XXI e , pour sa part, se gardera bien ? S’opposer à une ségrégation fort peu démocratique, dommageable aux tâches des uns et des autres, apparaît comme une nécessité.
Organiser en réseau l’archipel national des " sciences des religions " ; désenclaver la recherche pour lui permettre d’essaimer au-dehors ; et ouvrir le monde enseignant à une formation professionnelle de qualité : ces trois moments n’en font qu’un parce qu’ils se conditionnent l’un l’autre.
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