Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Nous débattons aujourd’hui sur la base de la déclaration gouvernementale du chancelier fédéral portant sur une des crises les plus dangereuses des dernières années. Vous, Madame Merkel, vous êtes contentée de tenir un discours ayant pour seul thème la politique intérieure, d’où vos conclusions sur la protection contre le licenciement.
Malgré tout le respect que je vous dois, si je n’avais pas lu ce que vous avez dit jusqu’à présent et ce que M. Stoiber a dit lors du dîner à Munich, je n’aurais aucune idée de la position du groupe parlementaire de la CDU/CSU. Et franchement, votre discours d’aujourd’hui ne m’a pas éclairé davantage. Je suis quelque peu surpris que vous n’ayez pas évoqué les déclarations que vous-même et M. Stoiber avez faites lors du dîner à Munich : vous avez en effet dit que vous seriez en faveur d’une participation militaire de l’Allemagne si tous les autres moyens échouaient et si une action militaire s’avérait nécessaire. Madame Merkel, voilà une chose que vous auriez dû dire devant le Bundestag aujourd’hui.
C’est exactement ce à quoi le chancelier fédéral a fait référence aujourd’hui. Je peux vous dire que la différence est ici évidente. Votre collègue Pflüger a tenu à Munich des propos d’une clarté rafraîchissante. Il a en effet dit la chose suivante : si nous avions gagné - conditionnel ! -, nous aurions signé la lettre des huit. Moi je vous réponds : vous n’avez pas gagné. Et si vous aviez défendu cette position ouvertement pendant la campagne électorale du Bundestag, vous auriez autrement perdu. Car il faut bien que vous sachiez : il n’y a pas de majorité pour cette position en Allemagne.
Revenons au dossier qui nous préoccupe aujourd’hui. Vous avez presque exclusivement abordé des questions de style. Mais la question dont nous devons parler concerne les moyens dont nous disposons pour résoudre la crise, et ce de sorte que cela n’entraîne pas, dans la mesure du possible, une plus grande déstabilisation. Telle est la question déterminante. Nous devons trouver des alternatives à la guerre et conduire une politique qui permette de faire valoir et de mettre en œuvre ces alternatives en coopération avec nos partenaires internationaux.
Nous n’avons rien contre les débats de politique intérieure. Je sais que vous-même et un grand nombre de collègues êtes préoccupés. Il faut enfin savoir que je m’entretiens également avec les collègues dans le cadre de la commission, et pas uniquement dans un esprit de confrontation, mais aussi en toute confiance par groupe de deux, trois ou quatre. Ce qui nous préoccupe est que nous prenions des décisions à long terme si la guerre éclate. J’aimerais prendre au sérieux vos contre-arguments - là n’est pas le plus important - d’autant qu’ils sont valables. Ne débattons cependant pas sur le niveau que vous avez indiqué. Concentrons-nous plutôt sur la réduction des risques et sur la voie à suivre pour aboutir à la paix. C’est là tout le problème.
Ce qui compte réellement à mes yeux, Madame Merkel, est que nous sommes attachés à la paix. Vous ne vous êtes malheureusement pas exprimée concrètement sur ce point. Vous êtes restée abstraite. Mais où est la proposition du groupe parlementaire de la CDU/CSU pour tout faire - je vais dans un instant vous exposer nos alternatives en détail - afin que les moyens non militaires soient tous épuisés ? Si l’opposition faisait une proposition en ce sens, votre position serait nettement plus crédible. Je sais que beaucoup d’entre vous, et avant tout vos électrices et électeurs, partagent cette idée ; il serait sinon impossible d’expliquer que 71 % de la population allemande soient opposés à la guerre. Une telle attitude de refus n’est pas une particularité allemande puisqu’on la trouve aussi en Grande-Bretagne et en France, où les chiffres sont tout aussi élevés. Hier, en Espagne, j’ai pu lire que 91 % de la population espagnole sont contre la guerre. Il est donc erroné de dire que la population européenne est devenue du jour au lendemain antiaméricaine. Il ne s’agit pas ici de majorités antiaméricaines !
Nous devons réaliser que nombreux sont ceux qui ne comprennent pas comment, après le 11 septembre, après la profonde solidarité éprouvée envers nos partenaires américains attaqués, nous pouvons prendre une décision en faveur de la paix dans le cas de l’Iraq. Votre discours n’a apporté aucun éclaircissement. La plupart des Européens ne comprennent pas cela. Si vous n’apportez aucune réponse, vous continuerez de vous heurter à un refus. Et jusqu’à ce jour, aucune réponse réellement convaincante ne m’est parvenue.
Regardons les risques ! La Loi fondamentale nous engage à tout faire pour éviter la guerre, notamment en raison des graves conséquences humanitaires. Nous savons bien qu’une action militaire en Iraq coûtera la vie à de nombreuses victimes innocentes. Et c’est précisément ce qui doit nous amener à tout faire pour trouver d’autres alternatives.
Le deuxième élément est la stabilité régionale. Je peux vous garantir que ce gouvernement fédéral, sous l’autorité du chancelier Schröder, fera tout et fait tout pour protéger le droit à l’existence et la sécurité d’Israël et de sa population. Nous ne permettrons aucune discussion sur ce point. C’est pourquoi nous avons livré aux Israéliens les missiles "patriot", et ce avant qu’un événement grave ne se produise. À nos yeux, il va de soi - et ce sera toujours ainsi - que nous sommes solidaires envers Israël.
La question de la stabilité régionale est des plus sérieuses. Je ne peux sur ce point que répéter une fois de plus que j’aurais souhaité, dans le monde après le 11 septembre - tel était le premier point de dissension -, que l’on fixe d’autres priorités. Dans le cas de l’Afghanistan, nous n’avions pas le choix car l’Afghanistan constituait la base étatique du terrorisme d’Al-Qaida. Il était donc parfaitement clair que nous aurions une décision très difficile à prendre, et nous l’avons prise. Nos soldats stationnés sur place fournissent un travail indispensable et risqué mais obligatoire pour la paix. Ils méritent nos remerciements.
Dans ce contexte, j’aimerais vous dire quelque chose, Madame Merkel. Suite à l’accident d’hélicoptère où sept de nos soldats ont trouvé la mort, une cérémonie très émouvante a été organisée. Nous y avons assisté en compagnie des proches des victimes. Je me suis entretenu avec l’épouse d’un des soldats décédés. J’ai eu du mal à trouver les mots justes dans cet entretien privé, ce que vous comprendrez. Je lui ai dit - c’est l’impression que j’avais eu lors de ma visite deux semaines auparavant - que la présence de nos soldats était indispensable dans le cadre des mesures de maintien de la paix des Nations Unies à Kaboul. En larmes, cette femme m’a dit : "Monsieur Fischer, même si c’est douloureux pour moi, nous en sommes tous conscients ici. Mais je vous en prie, n’allez pas en Iraq !" Je peux vous assurer que cette femme avait des idées plutôt conservatrices.
Nous devons voir que les Allemandes et les Allemands sont profondément préoccupés. Un gouvernement ne peut se contenter de détourner le regard. Cela n’est certes ni la raison unique, ni la raison obligatoire. Toutefois, Madame Merkel, vous avez besoin de raisons très convaincantes pour justifier une intervention, c’est-à-dire que tous les moyens pacifiques doivent vraiment avoir été épuisés. Le chancelier fédéral vous a aujourd’hui montré que cela est loin d’être le cas.
Dans le monde après le 11 septembre, nous devons nous pencher sur la question du terrorisme. Si cela n’en tenait qu’à moi, nous placerions cette question en tête des priorités et elle resterait. Tel est le point essentiel, primordial. Le règlement des crises régionales est pour moi le deuxième point. Si vous regardez les origines du conflit, vous remarquerez que les causes du 11 septembre, avec toute sa brutalité méprisant la dignité de l’homme, tenaient finalement à l’effondrement des structures en Afghanistan et à un conflit oublié associés au terrorisme. Le règlement de crises régionales serait donc pour moi la deuxième priorité.
Cela m’amène à la troisième, c’est-à-dire le rapport avec les armes de destruction massive. Nous prenons cela très au sérieux. Si les armes de destruction massive jouent aujourd’hui un rôle tout à fait différent que pendant la guerre froide où il y avait, pour ainsi dire, une stabilité de la terreur, nous avons alors besoin - le chancelier l’a exprimé clairement en se basant sur l’exemple de la Corée du Nord - d’un régime de non-prolifération et un régime de contrôle efficace au niveau international et pas uniquement au cas par cas. Là est le défi. Dans un monde où l’instabilité est croissante, nous ne pouvons pas, soyons sérieux, faire de la guerre une stratégie visant à démanteler des armes de destruction massive. Tout le problème est là. Tout avertissement d’"isolement" et d’"exception" ne sert à rien. M. Perle raconte cinq fois par semaine que nous ne faisons pas le poids. Je me demande en fait pourquoi il éprouve le besoin de raconter cela si souvent si réellement nous ne faisons pas le poids... Cela fait au moins quatre fois de trop. Vous savez aussi bien que moi que ce n’est pas vrai. Il suffit de regarder ce que nous faisons dans le cadre de l’Alliance. Regardez les possibilités d’action dont dispose l’Alliance sans l’Allemagne ! Vous savez pertinemment, Madame Merkel, que nous apportons et que nous continuerons d’apporter dans le cadre de l’Alliance des contributions essentielles à la stabilisation régionale, au désarmement, au contrôle des armements et au maintien de la paix.
Il est, pour nous, essentiel de lutter réellement en faveur de la paix et non de pousser les limites d’actions militaires. Lisez donc la déclaration franco-germano-russe ! (Link) Elle exprime notre engagement. Le gouvernement fédéral est fidèle à cette politique, et c’est pour cette politique qu’il a obtenu la majorité. Le gouvernement fédéral remplira son mandat. Cela fait également partie des choses que je peux vous garantir. Je dis cela afin que vous ne nourrissiez pas de faux espoirs. Si nous voulons être sérieux en proposant une alternative à la solution militaire, nous devons mettre en œuvre trois éléments que le chancelier vient de citer :
Premièrement, l’Iraq ne doit disposer d’aucune arme de destruction massive. Il doit donc coopérer totalement, conformément aux résolutions 1284 et 1441 de l’ONU. C’est là le point essentiel. Je pose la question autrement : avons-nous aujourd’hui réellement affaire à un "material breach" (violation permanente) plus grave - MM. Pflüger et Schäuble ont déjà défendu cette opinion dans le cadre de la commission - et devons-nous donc employer des "serious consequences" (moyens militaires) ? Si vous êtes de cet avis, alors le peuple allemand, le public allemand a le droit de l’apprendre aujourd’hui de votre propre bouche. Nous ne sommes pas de cet avis. Au contraire, à nos yeux, Saddam Hussein doit souscrire totalement à ses obligations, ce qu’il n’a pas encore fait, et la pression doit être maintenue. Toutefois, l’instrument pour ce faire ne doit pas être l’interruption des inspections mais - et c’est le deuxième élément, le premier étant la coopération totale de Saddam Hussein - le renforcement des inspections. C’est à l’ordre du jour. Le travail de MM. Blix et El-Baradei et de leurs équipes constitue une réelle alternative à la guerre.
Notre analyse des risques se base sur la réponse à la question suivante : l’Iraq est-il plus dangereux aujourd’hui qu’il y a un an voire même lors de la Guerre du Golfe ? Nous savons à l’heure qu’il est que les risques ont déjà été considérablement réduits par les inspections. Pouvez-vous expliquer à la population pourquoi, alors que les risques vont en diminuant et que le déficit de coopération de l’Iraq continue de se réduire, nous devons interrompre les inspections et entamer une guerre ? Pouvez-vous apporter des arguments pour ? J’en suis incapable.
Le troisième élément est lié à la résolution 1284 de l’ONU. Il y a un grave problème avant tout en ce qui concerne les armes biologiques. Si vous examinez les détails de la production d’armes biologiques, vous remarquerez : pressions faibles, températures basses, petite technologie. Cela signifie que nous touchons au domaine des biens à double usage, c’est-à-dire au domaine des biens qui sont utilisés, dans une large mesure, dans le domaine civil, pharmaceutique, médical ou autre. Contrôler si des armes chimiques sont réellement produites en Iraq exige un régime de vérification et de contrôle à long terme. Sans un tel régime, tous les contrôles des exportations ne serviront à rien.
Je me suis penché sur cette question en détail. Il faudrait en fait paralyser tout le secteur pharmaceutique, chimique, et surtout médical, ce qui aurait pour la population du pays des conséquences désastreuses. Celui qui veut une vraie alternative à la guerre ne pourra se passer d’un régime de vérification et de contrôle à long terme.
Madame Merkel, je vous le dis très franchement, notre alternative à la guerre est de mettre en œuvre ces trois éléments. Nous faisons pression pour que l’Iraq coopère totalement. (...) Je dois vous dire la peur immense qui anime le Saint-Siège. Cette peur immense est que l’on en vienne à une guerre entre civilisations et, à moyen terme, à une islamisation du monde arabo-musulman dont les conséquences sur le plan du terrorisme seront fatales. C’est la raison pour laquelle le Saint-Siège a envoyé à Bagdad un envoyé spécial avec le message clair - tel est le message de nos voisins, et c’est aussi le nôtre - qu’il n’existe aucune autre possibilité que de coopérer totalement avec M. Blix.
Vous pouvez vous demander pourquoi M. Blix a été invité à nouveau et quel est le rapport avec le renforcement des dispositifs tel que proposé par les partenaires français. Si nous y ajoutons encore les moyens du contrôle à long terme et de la vérification, nous obtenons alors réellement, à mes yeux, une approche systématique qui représente une alternative à la guerre et qui pourra être appliquée ailleurs qu’en Iraq.
En ce qui concerne l’OTAN, je vous demanderai de réfléchir à la question suivante : savez-vous quelle est la différence entre vous et nous ? Nous avons dès le début - le chancelier fédéral l’a présenté - déclaré dans quelle mesure nous étions prêt à contribuer à la protection de la Turquie dans le cadre de l’Alliance, non pas dans l’optique d’une intervention contre l’Iraq mais d’un point de vue strictement défensif dans le cadre de l’Alliance. Nous apportons une contribution plus importante que nombre de nos détracteurs, ne l’oublions pas.
J’ai fait à Munich mes expériences quant au contact avec le ministre de la Défense d’un pays allié, et plus que d’autres. Je pourrais vous conter des histoires sur la vie séculière de Rome. Vous seriez étonnée. Mais je ne le ferai pas. À mon avis, Madame Merkel, le point essentiel est que nous nous serrions les coudes au sein de l’OTAN. (...) J’étais hier chez le président Chirac et je lui ai raconté ce que la CDU/CSU pensait de la lettre des huit. Votre motion aujourd’hui le montre bien. Notre but est d’associer la France aussi étroitement que possible au sein de l’OTAN et de veiller à la cohésion. J’ai travaillé dur ces derniers jours pour y aboutir.
Par votre motion que vous avez présentée dans cette enceinte et qui soutient la lettre des huit, vous ne faites qu’encourager à l’isolement de la France. Vous le savez aussi bien que moi. C’est également ainsi que nos partenaires français le perçoivent. Une chose est pour nous d’une importance capitale : la poursuite, dans le cadre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne, de notre politique visant à rechercher des alternatives réelles à la guerre et à les appliquer avec nos partenaires. Une alliance de démocraties et de peuples libres finit par être endommagée si l’on ne tient pas compte de majorités prépondérantes au sein de la population.
Les démocraties sont souvent entêtées ; dans les démocraties, il faut savoir convaincre et s’engager avec une conviction réelle pour une cause. Je ne peux que souligner ce que le chancelier fédéral a dit, à savoir que compte tenu de notre histoire, les décisions en matière de guerre et de paix sont pour nous difficiles voire extrêmement difficiles parfois. Je ne considère pas qu’il s’agit là d’un inconvénient mais d’une conséquence qui découle de notre histoire. Ce qui ne nous empêche pas d’assumer notre responsabilité.
Notre politique est donc une politique de paix dans un monde instable. Nous voulons continuer d’apporter notre contribution à la lutte contre le terrorisme, et s’il n’y a pas d’autre alternative à la destruction de ces structures, en faisant appel à des moyens militaires et policiers ainsi qu’aux services de renseignements. Nous voulons résoudre les conflits régionaux. Je suis d’avis que cela est indispensable. Cela ne concerne pas uniquement le conflit entre Israéliens et Palestiniens, le plus dangereux de ces conflits étant le Cachemire qui divise deux puissances militaires, le Pakistan et l’Inde. Le Caucase est également une source de grave préoccupation... Voilà autant de conflits régionaux qui demain pourront menacer notre sécurité. Nous devons empêcher que des groupes, qui aujourd’hui ne coopèrent pas encore, coopèrent plus tard parce que nous aurons pris les mauvaises décisions. Nous devons assécher le terreau du terrorisme en donnant à de plus en plus d’individus des perspectives d’avenir, en nous engageant non seulement dans nos discours mais aussi dans l’action concrète en faveur de la démocratie et de la participation à la mondialisation et en prenant réellement au sérieux les droits de l’homme. Cela signifie donc que nous devons adopter une stratégie à long terme dans cette région qui est notre voisine directe. Parallèlement, nous devons imposer un démantèlement réel des armes de destruction massive et empêcher que des dictateurs ne parviennent à se procurer de telles armes. Pour ce faire, nous avons besoin d’un régime de contrôle et de désarmement efficace au niveau international, capable aussi de montrer les crocs et de mordre. La France a fait sur ce point des propositions que nous soutenons pleinement et nous faisons également des propositions visant à mettre en œuvre cette approche en tant qu’alternative concrète à la guerre. Telle est notre mission au Conseil de sécurité. Si vos paroles sont sérieuses, alors vous devez nous soutenir et non pas nous attaquer.
Je vous remercie.
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