Mesdames, Messieurs,
Je commencerai en rendant un hommage particulier à la présidence grecque qui a su conduire un débat difficile dans les meilleures conditions possibles.
Nous sommes dans un moment tragique, puisque des opérations militaires ont lieu avec tout cela comporte et implique comme drames, comme douleurs, comme souffrances et aussi comme incertitudes et comme conséquences pour l’avenir.
Nous sommes donc à l’épreuve. Et la présidence a su d’abord éviter un débat sur la stratégie passée à l’égard de l’Irak, qui n’aurait conduit qu’à des répétitions et qui n’aurait naturellement rien apporté. Elle a su se concentrer sur l’avenir, les perspectives de la sortie de crise et les principes qui devaient fonder notre action commune pour ce qui concerne cette sortie de crise.
Elle a su, enfin, ne pas effacer l’autre préoccupation qui était la nôtre à l’occasion de ce sommet, à l’occasion de ce Conseil, et qui concernait le processus de Lisbonne qui conditionne l’avenir de l’Europe dans le domaine économique, social, de l’emploi, du développement durable, etc... Et tout cela, elle l’a réussi.
Je voudrais donc tout d’abord répéter mon estime et ma reconnaissance pour la façon dont les choses ont été conduites.
S’agissant de l’Irak, chacun connaît ici les positions qui ont été celles des différents pays de l’Union européenne, je n’y reviendrai pas. En revanche, j’appelle votre attention sur les perspectives qui ont été arrêtées en commun, sur la proposition de la présidence, et qui réaffirment quelques principes-clés sur le respect de l’égalité et de l’intégrité territoriale de l’Irak, sur le retour aussi rapide que possible à la légalité internationale, dont nous sommes, hélas, sortis avec le déclenchement d’une guerre qui n’a pas été approuvée par le Conseil de sécurité, et, enfin, le principe de la restauration dès que possible de la pleine souveraineté de l’Irak sur le plan politique mais aussi sur le plan économique, c’est-à-dire pour ce qui concerne les ressources du pays, qui appartiennent bien entendu aux Irakiens et à eux seuls.
D’où aussi le choix que nous avons évoqué et adopté, sur proposition de la Commission, des mesures humanitaires qui s’imposent dans des circonstances de ce genre, c’est-à-dire les moyens à mettre en oeuvre au profit des victimes ou des personnes déplacées.
Voilà pour ce qui concerne cet aspect de nos discussions qui ont eu lieu hier, avant le dîner de travail, lequel a été consacré au Proche-Orient et à la situation dans les Balkans ainsi qu’à quelques autres problèmes.
S’agissant du Proche-Orient, nous avons considéré que rien maintenant ne pouvait faire obstacle à la transmission due aux parties de la feuille de route du Quartette, qui est maintenant adoptée par tous et qui doit être transmise aux parties et qui n’est pas susceptible d’être renégociée. Nous pensons, nous avons réaffirmé qu’aujourd’hui, il y avait un vrai devoir à la fois pour les Palestiniens, notamment en raison des réformes qu’ils ont acceptées, de tout faire pour mettre un terme à un terrorisme que rien ne justifie et rien n’excuse, et, d’autre part, pour Israël qui devait aujourd’hui répondre à ces mesures concrètes et à ces changements faits par les Palestiniens pour retrouver une capacité de dialogue et d’accords.
S’agissant de nos travaux d’aujourd’hui, avant de recevoir les représentants des pays candidats, nous avons évoqué la stratégie de Lisbonne, c’est-à-dire les réformes nécessaires à mettre en oeuvre dans l’esprit que nous avions défini il y a trois ans maintenant pour améliorer en permanence la compétitivité de l’ensemble européen et donc sa capacité à répondre aux exigences sociales, et donc au développement économique. Un développement qui, de plus en plus, doit être marqué par le souci de son caractère durable.
Et nous avons réaffirmé, après rapport des ministres des Finances, notre confiance dans l’avenir de l’économie européenne. J’ai eu l’occasion à ce propos de rappeler l’importance qu’il y avait à nos yeux, qui d’ailleurs était largement partagée, de développer l’initiative économique et la création d’entreprises afin que nos économies créent plus d’emplois, ce qui impose une certaine stratégie à l’égard des grandes entreprises et aussi une certaine impulsion donnée aux petites et aux moyennes entreprises pour stimuler l’innovation, avec la création d’un véritable Espace européen de la recherche. Nous avons en Europe des capacités considérables. Elles ne sont pas toujours bien coordonnées. Et, d’autre part, il y a encore des efforts, notamment financiers, à faire pour donner une plus grande impulsion à la recherche.
J’ai indiqué également, qu’il convenait dans cet esprit d’achever le marché unique, qui est encore incomplet. Je pense en particulier au domaine des services financiers.
Et puis, le Conseil a bien voulu retenir un point important dans les propositions que nous avions faites et qui était une stratégie pour faire face à la grave crise que traverse actuellement le secteur des télécommunications.
Enfin, bien entendu, vous savez que cela avait été un thème très fortement développé par la France, l’Espagne et le Portugal, d’autres pays aussi naturellement, les mesures concrètes nécessaires et urgentes pour lutter contre les accidents du type de celui du Prestige, avec la nécessité de mieux contrôler les navires à risque, de mieux indemniser les victimes des pollutions et de mieux responsabiliser, avec des sanctions pénales, les opérateurs dans le domaine du transport maritime, tout cela a fait l’objet de décisions ou d’orientation qui figurent dans le document que vous avez reçu.
Voilà comment s’est passé notre Conseil.
Q - Monsieur le Président, Tony Blair a été très sensible au petit mot que vous lui avez adressé, présentant les condoléances aux familles des soldats. Est-ce que vous avez eu un tête-à-tête avec le Premier ministre britannique et est-ce que vous avez l’intention d’avoir prochainement une rencontre pour tenter de retrouver une entente cordiale entre les deux pays ?
R - D’abord, il était naturel que je lui fasse part, je dirais, des condoléances de la France et de notre tristesse à la suite de la mort de plusieurs soldats britanniques. J’avais fait de même naturellement pour les soldats américains qui ont été victimes du même accident.
Et, deuxièmement, j’ai eu effectivement un tête-à-tête avec le Premier ministre britannique, un tête-à-tête justifié. D’abord, nous en étions convenus, je lui avais moi-même téléphoné, je crois que c’était vendredi dernier, et nous étions convenus de nous rappeler à la veille du Conseil. Et puis le programme ne nous avait pas permis de nous joindre avant hier et, par conséquent, nous nous sommes rencontrés en fin de matinée en tête-à-tête.
Mon objectif, c’était de clairement lui dire qu’il avait observé que la France n’avait émis aucune espèce de critiques à l’égard du gouvernement de la Grande-Bretagne, qu’elle avait une position dans l’affaire irakienne différente de la position britannique, qu’elle n’avait naturellement pas l’intention de modifier en quoi que ce soit cette position, dans la mesure où elle était fondée sur une certaine vision du monde et sur une certaine idée de la morale, mais que ce n’était pas pour autant que nous considérions que les Anglais devenaient je ne sais quelle forme d’adversaires, que demain nous serions obligés d’être ensemble pour poursuivre l’aventure européenne, que l’Europe en a vu d’autres, qu’elle a connu d’autres difficultés.
L’Europe n’a jamais été un lit de roses. L’Europe a toujours été un chemin escarpé, semé d’embûches et sur lequel nous avons toujours progressé. Nous ne sommes jamais revenus en arrière. Chaque fois qu’il y a eu un incident, un accident, eh bien, nous avons assumé, nous avons progressé. Il faudra bien continuer. L’un des meilleurs moyens pour ce faire, c’est naturellement de ne pas accumuler je ne sais quelles critiques ou rancœurs.
Tony Blair m’a dit qu’il était tout à fait dans cet état d’esprit.
Q - Monsieur le Président, je veux vous demander quel serait le rôle futur de l’Europe après l’échec de la diplomatie européenne dans la crise de l’Irak.
R - Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler d’échec de la diplomatie européenne. Il y a eu une division de l’Union européenne sur cette affaire. Il y a eu une minorité de pays qui ont pris une position très claire en faveur des opérations militaires souhaitées par les Etats-Unis et une majorité qui a pris une position différente. Les Américains et les Anglais ont souhaité conduire leur stratégie à son terme. Demain, quels que soient les résultats des opérations militaires, quelle que soit l’évolution du conflit, il faudra en toute hypothèse, je dirais reconstruire au sens très large du terme, aussi bien politique, moral, matériel, humain. Et, pour cela, il n’y aura qu’une instance, ce n’est pas l’Europe naturellement, c’est l’ONU.
Et ce qui était important pour nous, aujourd’hui, c’était de bien nous assurer que l’Europe était unanime sur quelques principes pour l’avenir. Elle a été divisée, c’est un fait, complètement divisée, opposée, pour ce qui concerne la stratégie à court terme. Il était important d’observer, d’assurer qu’elle était unanime pour ce qui concerne les grands principes sur lesquels devrait reposer cette reconstruction. C’est ce qui a été le cas.
Q - Monsieur le Président, la Belgique vient d’annoncer hier la tenue d’un sommet tripartite sur la défense. Quelle peut être la portée d’un tel sommet sans la présence de la Grande-Bretagne et que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit de Saint-Malo ?
R - Alors, d’abord, l’initiative belge n’est pas sortie d’un chapeau. A l’origine, il y a eu une concertation commune pour la Convention, en matière de défense, entre la Belgique, l’Allemagne et la France, comme il y a eu des contributions communes dans d’autres domaines avec les mêmes ou d’autres pays. Cette concertation a conduit le Premier ministre belge, au mois de décembre dernier, à faire une proposition aux Français et aux Allemands pour essayer de faire un pas supplémentaire dans la concertation et la mise en oeuvre de la politique de défense. Contribution allant au-delà de la Convention.
Nous avons tout de suite, aussi bien le chancelier allemand que moi-même, nous avons tout de suite, c’était au mois de janvier, début janvier si j’ai bon souvenir, accepté la proposition du Premier ministre belge, parce que c’était une proposition utile, intéressante et à laquelle nous adhérions, fondée sur des principes que, préalablement, nous avions en commun acceptés. Et, donc, le principe en a été arrêté. On aurait pu l’annoncer plus tôt. Comme l’initiative venait du Premier ministre belge, il était légitime que ce soit lui qui le dise. Il l’a dit.
Cette réunion aura lieu, comme il était convenu dans son esprit, dans les deux ou trois prochaines semaines. Et ce que nous voulons, c’est essayer d’apporter quelque chose de plus dans la cohérence de la politique européenne de défense.
Alors, vous parlez de Saint-Malo. Naturellement, l’esprit de Saint-Malo n’est pas pour autant oublié. Je voudrais tout de même vous le rappeler, l’Europe est une affaire complexe, difficile, parfois ingrate. Mais il y a quand même une vraie volonté de la part des différents acteurs de progresser. Je voudrais vous faire remarquer qu’au moment même où la différence entre l’Angleterre et la France s’affichait de la façon la plus évidente en ce qui concerne l’Irak, nous nous sommes retrouvés pour un sommet franco-britannique au Touquet. Je sais bien qu’une information chasse l’autre et qu’on oublie vite les choses, mais que s’est-il passé au Touquet, il y a un mois ? Nous avons dit : nous sommes en complète divergence de vues sur l’Irak, ce n’est pas la peine d’en parler plus longtemps puisque c’est un fait et que nous ne nous convaincrons pas mutuellement. Cela ne veut pas dire qu’il faut naturellement arrêter nos efforts. Et, dans le domaine de la défense, qui était l’un de ceux qui figuraient à l’agenda pour la part la plus substantielle, nous avons arrêté un ensemble de décisions sur des domaines essentiels qui permettaient d’aller fortement de l’avant. Cela a d’ailleurs été souligné, je veux dire que cela n’a pas fait la une, naturellement, mais enfin, tout de même, vos confrères s’en sont aperçus, n’est-ce pas. On a progressé sensiblement dans l’esprit de Saint-Malo qui reste, pour nous, toujours une priorité.
Je le répète, les choses ne sont pas noires et blanches, dans la vie. C’est rare, en tous les cas. Et elles supposent un effort permanent des uns et des autres pour atteindre un objectif qui nous est commun, qui est une Europe cohérente et moderne.
Q - Monsieur le Président, les troupes américaines et britanniques avancent en Irak. Comment le gouvernement de Chirac peut-il défendre ses intérêts énergétiques dans la région ?
R - Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait en toute hypothèse le moins de dégâts possibles. Une guerre coûte déjà beaucoup d’argent alors que nous savons très bien à quel point nous sommes pauvres pour ce qui concerne des actions, pourtant moralement et humainement prioritaires, comme l’aide au développement.
Les destructions s’ajoutent à ces coûts et, dans le cas particulier, il est évident que la mise en cause du patrimoine irakien, du patrimoine des Irakiens, dans le domaine du pétrole ne ferait que coûter encore plus d’argent. Je souhaite que les choses se passent le plus vite possible, je l’ai déjà dit, et naturellement de la façon la moins meurtrière possible. Mais aussi avec le moins de destructions possibles.
Q - M. Blair a dit ce matin, j’imagine que vous en avez parlé entre vous, que, lors de ce sommet, il y a eu un clair engagement dans le domaine européen pour la reconstruction de l’Irak. J’aimerais savoir si la France, elle, est disposée à payer les factures d’une guerre qu’elle ne voulait pas, et dans quelles conditions ?
R - Je me demande jusqu’à quel point vous n’avez pas interprété sa déclaration. Parce que nous n’avons pas parlé de la reconstruction au sens économique. Car il n’y avait pas lieu d’en parler. Nous sommes en train de détruire, attendons que ce soit fait pour voir ce qu’il y aura à reconstruire. Donc, nous n’avons pas parlé de cela. Ce n’était pas à l’ordre du jour et cela ne pouvait pas l’être.
Donc, si le Premier ministre britannique a parlé de reconstruction, j’imagine qu’il voulait parler de la reconstruction politique, c’est-à-dire de l’accord unanime qui a été donné par les Quinze aux propositions faites par la Présidence sur les principes que j’évoquais tout à l’heure, principes que j’ai évoqués et sur lesquels je ne vais pas revenir.
Q - Monsieur le Président, le Premier ministre britannique a dit aujourd’hui qu’il soutient une nouvelle résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour gérer l’Irak post-Saddam. Alors, quelle est la position de la France ? Vous désirez aussi une nouvelle résolution quant à l’administration civile de l’Irak et pour autres projets ?
R - J’ai entendu parler de cette résolution qui m’apparaît comme un moyen, après coup, de justifier l’intervention militaire et qui n’est donc, pas de mon point de vue, adaptée à la situation actuelle. La France, par conséquent, n’acceptera pas une résolution de cette nature, de celle que vous avez évoquée, c’est-à-dire une résolution tendant à légitimer l’intervention militaire et à donner aux belligérants américains et anglais les pouvoirs d’administration de l’Irak.
Q - Vous nous avez dit que la construction européenne n’était pas un lit de roses mais, là, cela ressemble quand même de plus en plus à un lit de douleur. Parce qu’on ne voit pas très bien ce qu’il peut encore y avoir de commun en matière de politique étrangère et de sécurité commune entre, à peu près, dans la grande Europe, quinze pays qui sont alignés sur les Etats-Unis et une petite dizaine de pays qui veulent faire entendre une voie différente en Europe. Imaginons par exemple que la PESC se décide à la majorité qualifiée, aujourd’hui, la France et l’Allemagne seraient mises en minorité.
R - Oui mais, enfin, la PESC n’est pas décidée à la majorité qualifiée et ne pourra l’être que le jour où les liens entre les pays européens seront tels, où la conscience d’appartenir à un ensemble sera telle qu’il sera légitime et normal de pouvoir en tirer les conséquences que vous dites.
Ce n’est pas un lit de roses. Ce n’est pas non plus un lit de douleur. Je vous rappelle que l’Europe a toujours évolué en allant de crise en crise. Il est même un temps où le général de Gaulle avait pris l’initiative de la chaise vide, c’est-à-dire qu’il ne venait plus ; la France ne venait plus aux Conseils. C’est encore plus grave. Bien. Je n’ai pas du tout le sentiment que les divergences que nous connaissons actuellement, s’agissant de l’affaire irakienne, soient de nature à mettre en cause la poursuite de l’intégration européenne. J’ai même la certitude contraire. Et l’histoire nous départagera. Mais j’ai une conviction très profonde. Et, quant aux convictions prêtées aux uns et aux autres, les ayant écoutées, votre arithmétique me paraît tout à fait douteuse.
Q - Il y a eu des manifestations qui se sont poursuivies contre la guerre en Irak. Certains manifestants mettent sur le même plan George Bush et Saddam Hussein. Est-ce que vous auriez quelque chose à leur dire, peut-être pour éclairer leur confusion ?
R - Je leur dis d’abord que, quand la guerre est en jeu, quand les bombes tombent, quand des hommes, des femmes, des enfants meurent ou peuvent mourir, la dignité s’impose. La manifestation se comprend, elle est même tout à fait légitime. C’est une expression de la démocratie. Mais la dignité s’impose.
Et, donc, les excès sont à réprouver. Parce que les excès, finalement, diminuent l’impact et le sérieux des arguments de ceux qui veulent profondément apporter leur contribution à une amélioration de la situation.
Je vous remercie./.
Source : présidence de la République française
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