" Depuis son premier procès en 1997, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a introduit des mesures pour protéger l’identité de la plupart de ses témoins. Cependant, le gouvernement rwandais, des associations de rescapés du génocide et le procureur du TPIR ont exprimé leur inquiétude que le Tribunal ne protège pas les témoins comme il le faut. Des groupes de rescapés du génocide et des associations de femmes au Rwanda s’agitent à la suite d’informations selon lesquelles des juges du TPIR ont ri au cours de la déposition d’une jeune femme victime de viol, désignée par les lettres"TA" pour protéger son identité. Jeudi dernier, un autre témoin de l’accusation, l’ancien journaliste à Radio Rwanda, Agnès Murebwayire, a quitté précipitamment le prétoire, se sentant insultée par la défense qui l’accusait de mentir. Elle a finalement accepté de regagner la salle d’audience, après avoir été rassurée par la Cour.
Ces deux incidents ont suscité un débat sur la façon dont les témoins sont traités devant la Cour. "Quand je viens ici, j’assiste aux audiences" a indiqué le procureur du TPIR, Carla del Ponte, lors d’une conférence de presse tenue à Arusha. "Et ce qui m’a surprise, c’est que toutes sortes de questions sont autorisées. Je viens d’un système de droit civil et je sais que c’est différent en common law (droit anglo-saxon), mais quand je demande à mes substituts du common law s’il est normal ou utile d’agresser un témoin de cette manière, je dois dire que la réponse que je reçois est non."
Del Ponte a qualifié de "scandaleux" l’incident du 31 octobre au cours duquel trois juges de la deuxième chambre ont ri au cours de la déposition du témoin TA. Le procureur s’étonne de la passivité du juge président, mais pense que le parquet doit aussi faire plus pour prévenir de tels incidents. "Il est important que le procureur en audience essaye de protéger un témoin de toute agression," a dit le procureur. Del Ponte a indiqué aux journalistes qu’elle allait organiser un séminaire pour tous ses substituts "et le sujet principal," a-t-elle dit, "sera la pratique des plaidoyers pour que les représentants du procureur sachent comment réagir lors des contre-interrogatoires des témoins. Je pense que ce sera un exercice très utile". S’exprimant après que Murebwayire eut quitté le prétoire jeudi, l’avocate britannique Diana Ellis a soutenu que les interruptions du procureur au cours de son contre-interrogatoire avaient été "inappropriées" et avaient davantage énervé le témoin. La défense croit, a poursuivi Me Ellis, que certains témoins viennent à Arusha pour mentir, et les avocats doivent donc avoir la possibilité de tester la crédibilité de ces témoins. L’avocate a souligné qu’il revient aux juges d’interdire des questions si elles sont inappropriées.
S’exprimant devant la presse lundi de la semaine dernière, le représentant du Rwanda au TPIR, Martin Ngoga, a indiqué que son gouvernement "s’associe aux inquiétudes du public" concernant l’incident du 31 octobre durant la déposition de TA. Il a déclaré que le Rwanda va se servir des enregistrements (vidéo, audio et transcriptions), "pour voir ce qui s’est passé". Martin Ngoga a lancé un appel au TPIR pour qu’il revoie entièrement ses priorités en matière de protection des témoins, en aidant ceux-là qui meurent du SIDA. "Notre avis est que l’article 34 (du Règlement de procédure et de preuve), qui concerne la protection des témoins, n’a pas été appliqué dans son entièreté," a-t-il dit. "Et priorité a été donnée à la partie la moins importante. A mon avis, si vous me demandez le système que je préfère, je ne pense pas qu’il soit important pour les témoins de déposer à huis clos. Au Rwanda, ces audiences se déroulent en audience publique, et il n’y a pas de situations où des témoins ont été assassinés." Beaucoup de femmes et de filles ont été violées durant le génocide, a affirmé Ngoga, et beaucoup d’entre elles ont été infectées par le VIH, le virus qui cause le SIDA. Selon lui, de plus en plus de ces femmes et filles contractent ou meurent du SIDA, et à moins que le TPIR n’accélère les procès et n’aide ces témoins, ces derniers ne vont pas survivre pour déposer.
"Ironiquement, les accusés qui ont le virus VIH bénéficient d’une assistance médicale," a indiqué Ngoga aux journalistes. "Nous avons des condamnations pour des crimes de viol au TPIR [..] Il ne nous semble donc pas clair qu’on puisse apporter une assistance médicale à un suspect ou à un condamné pour viol [..] tout en ne tenant pas compte du fait que la victime du viol en question est probablement séropositive elle-aussi. Ainsi, dans ce Tribunal où les procès durent très longtemps, si vous laissez mourir ces témoins, vous tuez aussi la preuve. Et comme je le dis, ces témoins meurent aujourd’hui en grand nombre". Martin Ngoga a souligné que le TPIR a enregistré de tels cas, et qu’il devrait publier des statistiques pour montrer l’ampleur du problème. Il a dit que le Rwanda a une politique globale d’aide aux victimes du SIDA, mais qu’il n’a pas de politique spécifique d’aide aux témoins du TPIR. "Je pense donc", poursuit-il, "que l’aspect le plus important de la protection est celui qui doit s’assurer que ces témoins peuvent vivre jusqu’à ce qu’ils viennent ici pour témoigner, plutôt que de s’occuper d’eux pendant un ou deux jours quand ils viennent ici et les abandonner ensuite. Si vous demandez aux autorités du TPIR des nouvelles des deux témoins qui se sont évanouis en cours d’audiences, elles ne sauraient probablement même pas dire où se trouvent ces témoins-là. Cependant, l’article(34 du Règlement)parle de mesures de protection des témoins à court et à long terme. [..] Nous ne disons pas que le système actuel de protection des témoins n’est pas nécessaire, nous disons qu’il n’est pas aussi important que cet aspect-là qui n’est pas couvert." 12 Novembre 2001 Publié sur le web le 12 Décembre 2001 Julia Crawford Arusha
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