Paris, Place du Châtelet, le 13 avril 2002.
" Voilà huit ans que le régime " ethniste " du président Habyarimana mettait à exécution son plan d’extermination systématique des Tutsi, précipitant dans la mort les Hutu démocrates. Le gouvernement intérimaire mis en place après la mort du président achèvera ce dessein. Voilà maintenant huit ans que le Rwanda, saigné à blanc, est confronté au problème majeur de la justice, préalable à toute idée de réconciliation.
Après le séisme de 1994, le Rwanda a dû, entre autre priorité, remettre sur pied un système judiciaire anéanti au cours des trois mois de folie qui ont ensanglanté ce pays. Des procès ont eu lieu, des condamnations ont été prononcées, des sentences de mort exécutées. Mais les prisons rwandaises restent à ce jour surpeuplées, des victimes côtoient leurs bourreaux tous les jours sur les collines : il faudrait plus d’un siècle pour mener à son terme le jugement de tous les présumés génocidaires. C’est la raison pour laquelle les autorités actuelles du pays ont réhabilité un système de justice traditionnelle, la " gacaca ", pour les génocidaires qui n’appartiennent pas à la première catégorie, celle des planificateurs. Des juges élus et formés pour l’occasion seront amenés à se prononcer sur la culpabilité de personnes appartenant à leur environnement immédiat. Ce système ne présente certes pas que des avantages, des dérives peuvent se produire : il faut en particulier noter le décalage qui existe entre la nature de l’institution (régler des disputes entre voisins, à l’origine) et le caractère absolument inouï du crime de génocide. Mais c’est malgré tout un moindre mal : des prisonniers seront disculpés et libérés ; d’autres personnes, actuellement en liberté seront confondues par leurs proches et devront purger une peine. Soulignons enfin, à propos d’Agacaca, le courage des Rwandais à vouloir écrire leur douloureuse histoire dans leur propre langage , à vouloir prendre en charge collectivement ce drame qui les a frappés et surtout à trouver une issue vers la réconciliation.
Sur le plan international, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), qui siège à Arusha en Tanzanie, poursuit aussi depuis plusieurs années des génocidaires de première catégorie, ceux qui ont planifié et fait exécuter le génocide. Mais les procédures de ce tribunal sont longues et coûteuses, les débats lointains ne sont suivis que par des spécialistes et n’ont donc que peu d’impact sur l’opinion internationale ; sans oublier les pressions que le Conseil de Sécurité exerce sur le TPIR afin que ses travaux s’arrêtent à l’horizon 2007, ce qui signifierait un nouvel abandon du Rwanda par la communauté internationale. De plus, des événements récents sont venus ternir l’honorabilité de ce Tribunal. En effet, une femme qui avait eu le courage de venir témoigner contre celui qui l’avait violée a provoqué le rire et les sarcasmes des juges eux-mêmes qui prenaient un malin plaisir à lui faire raconter son drame dans les détails les plus scabreux, allant même jusqu’à poser des questions intolérables dans un prétoire. Le témoin s’est trouvée une nouvelle fois humiliée, mais cette fois par ceux-là mêmes qui étaient chargés de la défendre. D’autres témoins accepteront-ils désormais de venir témoigner devant cette juridiction ? Dans la négative, quel est l’avenir d’une justice qui ne pourrait plus compter sur des témoins ? Les principaux bénéficiaires en seraient les bourreaux eux-mêmes : cette pensée est intolérable.
Après le génocide, de nombreux présumés génocidaires ont trouvé refuge dans les pays occidentaux où ils résident actuellement, parfois sous de fausses identités, cherchant souvent à obtenir un statut de réfugié politique. Certains d’entre eux ont bien été remis au TPIR pour être jugés, mais il s’agit d’une toute petite minorité et nous ne saurions nous satisfaire de cette mesure. La Belgique a pris ses responsabilités en adoptant une loi dite de " compétence universelle " qui l’autorise à juger des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger, dans quelque territoire où ils se trouvent : au printemps dernier, quatre Rwandais ont été condamnés pour crime contre l’humanité. En France, pour l’instant, seuls trois dossiers ont été regroupés sur le bureau d’un Juge d’Instruction parisien et attendent d’être traités. Il faut reconnaître que les responsables politiques français n’ont pas montré beaucoup d’empressement à faire juger ces présumés génocidaires, pas plus d’ailleurs qu’à poursuivre ceux qui sont recherchés soit par le Rwanda, soit par le TPIR, et contre lesquels des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés. On peut cependant difficilement accepter que des criminels coulent des jours presque heureux sur le sol français.
En ce jour où nous commémorons le souvenir de plus d’un million de victimes, nous demandons instamment à la France de tenir ses promesses. En visite à Kigali en août dernier, le Ministre des Affaires Etrangères, monsieur Hubert Védrine, a déclaré que " tous ceux qui ont été accusés de génocide doivent être traduits devant la justice et (qu’) il ne saurait y avoir d’exception à ce principe. " Plus de sept mois se sont écoulés et aucune avancée significative ne s’est produite. Cette inertie ne peut venir à bout de notre détermination. Le " Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda ", créé en novembre dernier, et la Communauté Rwandaise de France n’auront de cesse de réclamer que la France se décide enfin à juger les présumés génocidaires qui ont choisi le sol français comme terre d’asile. La France est-elle prête à prendre sa part dans la manifestation de la vérité et à juger des criminels qui ont sali le nom même de l’humanité ? Les rescapés, les familles des victimes ne pourront retrouver la paix que si justice leur est rendue, ailleurs et ... ici. "
Marcel KABANDA, vice-président de la Communauté Rwandaise de France.
Alain GAUTHIER, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda
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