Le président tchadien est en visite en France, officiellement pour trouver de nouveaux partenaires économiques à ses projets pétroliers. Mais officieusement, il a ruiné son pays et a déjà vendu son avenir. Ainsi, il a perçu à l’avance les royalties des trente prochaines années d’exploitation pétrolière. En réalité, le dictateur, gravement malade, est venu négocier sa succession et le maintien au pouvoir de son clan.
Le président de la République du Tchad, Idriss Déby, et plusieurs membres de son gouvernement sont arrivés à Paris pour une visite officielle de quatre jours. Outre une réception ce jour au Palais de l’Élysée, la délégation tchadienne devrait rencontrer le ministre des Affaires étrangères et celui de la Coopération à propos du financement d’un programme hydraulique. Par ailleurs, elle vantera les opportunités d’affaires qu’ouvrent son pays au MEDEF-International. Enfin, elle se rendra à Poitiers où des anthropologues étudient les restes d’un hominidé vieux de sept millions d’années, découverts au Tchad. Fin de la version officielle.
En réalité, le président Déby n’a quitté Paris que quelques jours, où il a été longuement hospitalisé en juillet et août à l’hôpital américain. Ravagé par la maladie et l’alcool, il ne sera probablement pas en mesure de terminer son mandat et prépare activement sa succession. Arrivé au pouvoir en renversant Hissène Habré dont il était le bras droit, le général Idriss Déby s’est maintenu par la terreur, multipliant massacres et exactions. Bénéficiant au départ du soutien de la France, il n’a cessé de souffler le chaud et le froid sur Paris qui s’est montré incapable aussi bien de défendre ses intérêts sur place que de calmer la violence du régime. Conscient qu’après sa mort, ses partisans n’auraient aucune chance d’emporter des élections loyales, Idriss Déby est en train d’organiser le verrouillage de l’État par ses intimes et l’installation de son successeur. En quelques mois, il a nommé des membres de sa famille à la tête de tous les organes de répression : armée, police, gendarmerie et Garde de la République. Puis il a nommé comme Premier ministre et dauphin son propre neveu, Moussa Faki Mahamat. C’est ce nouvel organigramme qu’il va présenter à l’Élysée en exigeant le soutien de la France au nom des accords de défense.
Le Tchad suscite depuis quelques années bien des espoirs parmi les compagnies pétrolières. D’importantes réserves pétrolières y ont été découvertes par une société états-unienne. Mais pour compliquer les choses, la nappe s’étend en partie dans le sous-sol camerounais et centrafricain. En outre, il est possible qu’elle communique avec la nappe libyenne, de sorte que chacun de ces États peut théoriquement pomper le pétrole des autres. Après toutes sortes de péripéties, un accord a été signé entre le Tchad et le Cameroun et des consortiums ont été organisés pour exploiter le pétrole et le transporter au terminal de Kribi, au sud-ouest du Cameroun. Les chiffres les plus contradictoires circulent à propos de cette opération. Selon les uns, le pétrole tchadien est un véritable Eldorado de 900 millions de barils. Mais selon d’autres, ce pétrole est en quantité plus limitée et son transport vers l’océan sera extrêmement coûteux, de sorte que la rentabilité de cette opération est aléatoire. En définitive, le consortium d’exploitation est composé d’Exxon-Mobil, USA (40 %), Petronas, Malaisie (35 %) et Chevron Texaco, USA (25 %). La Shell néerlandaise et le français Total-Elf-Fina s’étant prudemment retirés du projet.
Quoi qu’il en soit, le président Déby a réussi à obtenir des prêts pharaoniques de la Banque mondiale pour forer deux mille puits et construire un oléoduc de 1070 kilomètres. Pour limiter les coûts d’installation, il n’a pas hésité à spolier les paysans expropriés et n’a pas respecté ses engagements en matière de protection de l’environnement. À l’issue de cinq ans de travaux, la région est dévastée : destruction de l’environnement, cultures impossibles, fermeture des écoles et des administrations, migration des populations. Lors d’une conférence de presse organisée cette semaine par l’association Survie, le député et principal opposant Ngarlejy Yorongar a relaté comment il avait interpellé la Banque mondiale pour faire cesser ce désastre et obtenu que l’institution envoie un panel d’inspection. Selon M. Yorongar, lors de sa dernière visite d’inspection au Tchad, le panel s’est rendu dans les villages de Miandoun, Ngalaba, Benbo et Maikeri pour enregistrer les doléances des populations. Arrivé à l’aéroport, le président du panel se serait isolé avec M. Yorongar et lui aurait proposé de financer ses campagnes électorales s’il renonçait à entraver le développement du consortium pétrolier [1].
Par ailleurs, sur la foi des estimations, pourtant controversées, des réserves de brut tchadien, le président Déby a obtenu du consortium pétrolier le paiement anticipé des royalties d’exploitation. Ainsi, en définitive, le cumul des prêts de la Banque mondiale et des avances sur royalties fait que le Tchad, pays déjà parmi les plus pauvres d’Afrique, se trouve endetté pour près de trente ans.
Dans de telles conditions, on ne voit pas pourquoi la France soutiendrait la succession planifiée d’un dictateur cruel qui a ruiné son pays au profit de compagnies pétrolières états-uniennes. Cependant Idriss Déby ne manquera pas d’évoquer des arguments géopolitiques. La levée des sanctions onusiennes contre la Libye et l’installation par l’armée tchadienne du général François Bozizé à la présidence de République centrafricaine ne permettent pas à Paris de rompre avec N’Dajmena. Une fois encore, la diplomatie française ne manquera pas de soutenir l’insoutenable parce qu’elle a choisi le mauvais cheval dès le départ et s’est elle-même placée dans un engrenage qu’elle ne maîtrise pas. Quand aux patrons du MEDEF-International, ils ont trouvé une nouvelle occasion de se compromettre avec un dictateur sanguinaire, mais ne pourront conclure aucun contrat significatif avec lui : le Tchad est déjà vendu.
[1] Interrogé par le Réseau Voltaire sur ces allégations, la Banque mondiale nous a indiqué ne jamais en avoir été informée et, en tout état de cause, ne pas exercer d’autorité sur le panel qui est un organisme de contrôle indépendant. Cependant, le panel disposait d’un bureau dans les locaux de la Banque mondiale.
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