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CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
La cours tragique de la catastrophe en train d’émerger dans les Territoires Palestiniens Occupés doit être renversé. Il ne saurait être admis que des mesures militaires conçues pour protéger la population israélienne soient imposées d’une manière telle qu’elle mette en danger la sécurité alimentaire de l’ensemble de la population palestinienne. Il ne saurait y avoir une quelconque justification des bouclages internes impitoyables qui empêchent les gens d’avoir accès à la nourriture et à l’eau potable, l’imposition de telles mesures militaires étant constitutive, en tant que telle, de ce qui a pu être qualifié de « politique visant à affamer la population » [1]. Si le Rapporteur Spécial reconnaît que le Gouvernement d’Israël doit garantir la sécurité de ses propres citoyens résidant en Israël, il n’en affirme pas moins que les conséquences découlant de la manière dont les mesures de sécurités sont actuellement appliquées dans les Territoires Palestiniens Occupés est totalement hors de proportion, dans le sens où elle met en danger la sécurité alimentaire et hydrique de la grande majorité des Palestiniens et devient, de ce fait, constitutive d’une punition collective [totalement illégale]. Comme Amnesty International l’a relevé, il n’est pas admissible de punir l’ensemble de la population pour les actes d’une poignée de certains de ses membres [2].
La crise humanitaire est une crise découlant exclusivement de facteurs humains. De ce fait, elle est aisément réversible. Il est absurde de voir que, dans ce qui pourrait être une économie relativement florissante, grâce à des terres aussi fertiles que celles de la Palestine, de très nombreux Palestiniens, hommes, femmes et - par-dessus tout - enfants, doivent souffrir ainsi de la faim. En tant que Puissance Occupante, le Gouvernement israélien a des obligations, en vertu des droits universels de l’Homme, dont le Pacte International sur les Droits Économiques, Sociaux et Culturels, et en vertu du droit humanitaire international, vis-à-vis de tous les territoires et de toutes les populations placés sous son contrôle effectif, et il est, conséquemment, obligé de garantir au peuple palestinien son droit à la nourriture, au même titre qu’il doit garantir ce droit à ses propres ressortissants. Le Rapporteur Spécial affirme que les mesures prises par le Gouvernement israélien dans les Territoires Palestiniens Occupés violent le droit à l’alimentation. Le niveau des restrictions imposées à l’accès humanitaire des agences de l’ONU et des organisations non-gouvernementales - restrictions qui limitent la quantité d’eau et de vivres qui peuvent parvenir jusqu’aux populations palestiniennes - est tel qu’il est constitutif d’une violation du droit à la nourriture tel que stipulé par le droit humanitaire international.
Il doit être mis une fin immédiate au réel « emprisonnement » de certaines populations, comme celle de Qalqiliya, par la nouvelle barrière de sécurité / mur d’apartheid. Comme l’écrit Ethan Bronner dans International Herald Tribune, « Non seulement Qalqiliya est inaccessible depuis Israël ; à l’ouest, elle est totalement cernée par la barrière (de sécurité), si bien qu’elle se retrouvera coupée des colonies israéliennes en Cisjordanie, à l’est. Le résultat, pour Qalqiliya, est que cette ville est devenue - il n’y a pas d’autre terme - un ghetto, mot aux résonances sinistres pour des juifs dont les ancêtres furent confinés dans des quartiers de ce type dans l’ensemble de l’Europe il y a seulement quelques générations. » [3]. Mais il y a plus grave, dans l’immédiat : confiner ainsi les Palestiniens dans des « ghettos » ou dans des « bantoustans » aura pour conséquence d’aggraver encore la faim et la misère dont souffre cette population.
Le lent et insidieux processus de dépossession du peuple palestinien, tel qu’il se manifeste à travers les confiscations de terre, l’extension et la création de colonies et la construction de routes réservées aux seuls colons, ainsi que l’édification de la barrière de sécurité / mur d’apartheid, en privant des milliers de Palestiniens de leurs terres, de leurs maisons et de leurs récoltes, est constitutif d’une violation du droit à l’alimentation. Le droit à la nourriture requiert le respect des droits de l’Homme et du droit humanitaire, notamment de l’Article 49 de la Convention qui interdit les colonies. Par nature, les colonies conduisent à la confiscation de terres appartenant à des Palestiniens ainsi que d’autres ressources. Dans bien des cas, sans les colonies, il n’y aurait nul besoin de ces impitoyables barrages internes qui font obstacle aux déplacements de la population à l’intérieur mêmes des Territoires Palestiniens Occupés. Avraham Burg, honoré ancien porte-parole de la Knesset et aujourd’hui député du parti Travailliste à ce Parlement, écrit : « Il n’y a pas de troisième voie. Nous devons démanteler toutes les colonies - j’y insiste : toutes - et tracer une frontière internationalement reconnue entre le foyer national juif et le foyer national palestinien » [4].
Votre Rapporteur Spécial est convaincu qu’à court terme il est absolument vital que l’accès aux fournitures de nourriture et d’eau soit amélioré afin de soulager les Palestiniens et que l’aide humanitaire ne soit pas bloquée, ni restreinte ni qu’atteinte y soit portée [comme actuellement]. La capacité des Palestiniens à assurer leur autosuffisance doit être protégée et améliorée, afin d’éviter une dépendance totale de cette population vis-à-vis de l’aide alimentaire. A plus long terme, et dans le contexte de la Feuille de Route pour la Paix et de la solution proposée comportant deux États, il est essentiel que la plus grande considération soit accordée à la viabilité du futur État palestinien, afin de garantir que les Palestiniens ne se retrouveront pas dépendants à jamais de quelconques secours alimentaires. Actuellement, les Palestiniens dépendent presque totalement du Gouvernement israélien dans leur accès à la nourriture et à l’eau, ainsi qu’au commerce international, ce qui les place dans une situation de vulnérabilité extrême à chaque fois que les relations politiques se détériorent. Il y a un besoin urgent d’examiner des moyens qui permettraient au futur État palestinien d’avoir un accès durable à (et un contrôle indépendant sur) ses propres fournitures de nourriture et d’eau. Afin d’inscrire dans la réalité le droit à la nourriture lui-même, un État palestinien viable devra avoir la capacité de produire et de commercer de manière à créer une économie viable et des emplois solides. Cela exigera un territoire qui ne soit pas saucissonné entre plusieurs « bantoustans » séparés, et dans lequel les déplacements ne connaissent aucune restriction. Cela exigera également des frontières internationales afin de faciliter les échanges extérieurs de cet État qui disposera ainsi de son propre accès au marché international. Un futur État palestinien devra pouvoir exercer souverainement son contrôle sur ses frontières internationales afin d’être à même d’exporter (ses) fruits et légumes et d’importer des denrées alimentaires vitales.
En résumé, le Rapporteur Spécial recommandera au Gouvernement d’Israël de respecter les obligations auxquelles il est tenu en vertu du des droits de l’Homme et du droit humanitaire et de convenir que ces textes fondamentaux sont pleinement applicables dans les Territoires Occupés. Le Rapporteur Spécial recommande, en particulier, au Gouvernement d’Israël :
De mettre fin immédiatement à l’obstruction opposée aux services d’aide humanitaire. L’accès humanitaire à l’aide alimentaire doit être facilité (notamment en donnant les instructions nécessaires allant en ce sens aux soldats en faction sur les checkpoints) et le Gouvernement d’Israël doit prendre entièrement en compte les engagements pris dans le rapport Bertini en matière d’accès humanitaire de la population palestinienne aux fournitures tant en denrées alimentaires qu’en eau potable. Les engagements du rapport Bertini doivent devenir des engagements dirimants dans le cadre du processus de la Feuille de Route et leur mise en œuvre doit être placée sous le contrôle du processus international de suivi de la mise en œuvre de la Feuille de Route. Le Gouvernement israélien doit assurer un statut approprié au personnel des agences de l’ONU et non-gouvernementales afin de rendre possible l’accès humanitaire et de permettre aux organisations humanitaires d’opérer effectivement et sans contraintes excessives imposées à leurs déplacements et à leur accès aux populations palestiniennes.
De prendre immédiatement des mesures afin de renverser le cours de l’actuelle crise humanitaire, en mettant fin au régime des bouclages et des couvre-feu dès lors qu’ils ont pour résultat d’entraîner l’aggravation de la malnutrition et de la pauvreté dont souffre la population civile palestinienne. Provoquer la faim et la malnutrition, en effet secondaire pervers de mesures sécuritaires : voilà qui est totalement inadmissible, qui dépasse toute mesure, et qui est constitutif d’une punition collective.
De lever immédiatement les barrages internes à l’intérieur des Territoires, qui restreignent les mouvements de la population civile palestinienne et réduisent à néant leur accès physique et économique à la nourriture. D’autres mesures de sécurité, dont les checkpoints et les systèmes de permis de circuler doivent être immédiatement allégées partout où elles ont pour effet de limiter l’accès physique et économique des Palestiniens à la nourriture.
Il est impératif que les Territoires Palestiniens ne soient pas amenés à dépendre totalement de l’aide alimentaire internationale.
De mettre fin à la destruction exorbitante de terres palestiniennes, de sources d’eau et d’autres ressources, ainsi que de l’infrastructure des services sociaux de l’Autorité palestinienne, afin que les Palestiniens puissent devenir auto suffisants et puissent contribuer à une économie en état de fonctionner, laquelle sera vitale à un État palestinien à l’avenir.
De mettre immédiatement fin à la construction de la barrière de sécurité / mur d’apartheid ainsi qu’à l’encerclement constaté aujourd’hui, par cette barrière, de régions palestiniennes, encerclement qui transforme ces localités en « ghettos », ce qui est tout particulièrement le cas à Qalqiliya et à Tulkarem. La barrière de sécurité ne doit pas être utilisée à l’instar d’un mécanisme permettant de séparer les Palestiniens de leurs terres. Le Gouvernement d’Israël sera libre de construire une barrière de cette nature sur son propre territoire, tout au long de la ligne de démarcation de 1967, mais la construire à l’intérieur des Territoires Occupés, en séparant les Palestiniens de leurs terres et de leurs puits est constitutif d’une violation du droit à la nourriture.
Le Rapporteur Spécial réaffirme l’Article 49 de la 4ème Convention de Genève, qui stipule que toutes les colonies dans les Territoires Palestiniens Occupés son illégales et doivent par conséquent être démantelées.
De mettre un terme à la pente dangereuse actuellement constatée conduisant inexorablement à la « bantoustanisation » des Territoires Palestiniens, et donc afin de mettre un terme aux confiscations et de terres et aux expropriations, procédés utilisés pour ériger la barrière de sécurité / mur d’apartheid, et aussi afin de construire les routes réservées aux colons, les sas de sécurité et d’assurer l’agrandissement des colonies existantes et la construction de nouvelles colonies.
Le Gouvernement israélien devra condamner les actes criminels perpétrés par des colons contre des Palestiniens, en particulier lorsque ces agissements visent à empêcher ou à entraver les récoltes, afin de faire en sorte qu’une véritable culture de l’impunité ne soit pas perpétuée.
La Cour Suprême israélienne doit reconnaître la 4ème Convention de Genève adoptée en 1949, texte faisant partie constituante du droit international reconnu, qui devrait être d’application dans les Territoires Occupés Palestiniens au même titre que les Règlements de La Haye (adoptés en 1907).
Une nourriture et une eau de boisson correctes doivent être garanties à tous les prisonniers et détenus en Israël ainsi que dans les établissements pénitenciers palestiniens, et ces prisonniers ne devraient plus être détenus pour de longues périodes sans que des peines n’aient été prononcées à leur encontre dans le cadre de procès en bonne et due forme.
Procéder à l’examen, conjointement avec l’Autorité nationale palestinienne, de l’opération menée à bien par l’Autorité Conjointe de l’Eau et visant à s’assurer d’un partage équitable des gisements hydriques du sous-sol des Territoires Palestiniens, conformément au droit international. L’accès des Palestiniens à l’eau des aquifères souterrains ne saurait trouver un substitut acceptable dans un transport inefficace d’eau dessalée provenant de la Mer Méditerranée, en particulier dans un contexte de bouclages de territoires et de manque de liberté de circulation des camions citernes chargés d’acheminer cette eau.
Dans le cadre du processus défini par la Feuille de Route, une estimation urgente du potentiel permettant d’établir un État palestinien viable doit être entreprise. Il convient de s’assurer que le futur État de Palestine aura un territoire viable et le contrôle sur ses ressources propres, afin qu’il ait la capacité d’assurer à la population palestinienne son droit à l’alimentation. Cette estimation doit aussi prendre en compte les frontières internationales de l’État palestinien futur, afin d’en faciliter les échanges commerciaux, et en particulier l’importation et l’exportation de denrées alimentaires.
Un suivi international des engagements pris dans le cadre de la Feuille de Route, doit être effectué par tous les membres du Quartette qui ont mis au point ce plan de paix - notamment l’ONU et l’Union européenne - afin de s’assurer que le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne fassent ce à quoi ils se sont engagés. Ce suivi intégrera un organisme d’observation du respect des droits de l’Homme, chargé d’enregistrer les - d’enquêter sur et de rendre compte des - violations alléguées des droits de l’Homme et du droit humanitaire, dont le droit à l’alimentation.
Le Gouvernement d’Israël devra continuer à coopérer avec le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le Droit à l’Alimentation dans le futur, en s’engageant à observer les violations du droit à la nourriture et la mise en œuvre de ces recommandations sur le long terme. Le Rapporteur Spécial encourage également le Gouvernement d’Israël à recevoir d’autres Rapporteurs Spéciaux désireux de le rencontrer à l’avenir.
Enfin, la plupart des atteintes au droit à la nourriture découlant de l’occupation par le Gouvernement israélien des Territoires Palestiniens, l’occupation doit prendre fin et le Gouvernement israélien doit retirer ses forces armées en deçà des frontières de 1967. Comme Ilan Pappe, Directeur de l’Institut des Recherches pour la Paix et maître de conférence à l’Université de Haïfa l’a fait observer ; « La vérité pénible et mille fois rebattue reste que la fin des violences de toutes sortes (y compris la violence perpétrée sans discrimination envers des innocents) n’adviendra qu’après que l’Occupation (qui en est la cause) aura elle-même pris fin » [5].
[1] Toufic Haddad « The Age of No Illusion » [L’époque de l’absence d’illusions] in Between the Lines, août 2002.
[2] Amnesty International 2003
[3] Ethan Bronner, « Israel’s barrier stokes conflict » in International Herald Tribune, 09.08.2003.
[4] Avraham Burg, La Révolution sioniste est morte, Le Monde (Paris), 11.09.2003.
[5] Ilan Pappe, « The Language of Hypocrisy », in News from Within, juin 2003.
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