Les États-Unis n’ont jamais paru à la fois si puissants et si fragiles. Ils disposent d’une capacité militaire gigantesque. Leur budget en la matière étant égal aux budgets cumulés des vingt-cinq États les plus puissants du monde après eux. Et ceci sans compter la rallonge budgétaire consentie par le Congrès pour financer l’attaque de l’Irak. Pourtant, ils sont fragiles car cette puissance militaire n’est pas garantie par leur économie, mais par leur monnaie.
La doctrine zéro risque
À y regarder de plus près, leur puissance militaire brille par son inefficacité. Au cours des dernières années, les États-Unis n’ont livré aucune bataille importante et ont au contraire montré qu’ils n’acceptaient d’engagement que contre des adversaires particulièrement faibles. Le général Colin Powell, lorsqu’il était chef d’état-major interarmes, a même théorisé cette crainte : ce que l’on appelle désormais la « doctrine Powell » consiste à ne livrer bataille que lorsque l’on est certain de gagner. En d’autres termes, contrairement au discours officiel, les États-Unis refusent de prendre des risques pour défendre des idées et n’acceptent le combat que s’il ne présente aucun danger pour eux. Ainsi, avant l’Irak, l’Afghanistan et le Kosovo, le général Powell a-t-il commandé l’opération « Juste cause » contre le Panama, un État 180 fois moins armé. Mais, « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », disait Corneille.
De même, après la débâcle de Somalie, les États-Unis ont développé la théorie dite de la « guerre zéro mort ». Il s’agit de concevoir la stratégie en évitant tout combat rapproché, de manière à n’éprouver aucune perte, tout en éliminant le maximum de forces ennemies. Le Pentagone est ainsi devenu le champion des bombardements à haute altitude. Ses pilotes prennent soin de ne pas s’exposer à la défense antiaérienne. En conséquence, ils n’ont aucune maîtrise de leurs cibles et s’en remettent à des munitions intelligentes, c’est-à-dire des bombes guidées par écho ou par laser. Elles sont d’une extraordinaire précision, tout en étant peu fiables. Pour neuf d’entre elles qui touchent leur cible au mètre près, la diziéme se perd dans la nature, explosant n’importe où. La « guerre zéro mort » est donc particulièrement cruelle pour les civils.
George W. Bush vient de livrer deux guerres. La première, en Afghanistan, n’a pas opposé l’armée US aux Talibans, mais des chefs de guerre afghans entre eux. Les États-Unis se sont contentés d’acheter tel ou tel chef de guerre à coup de millions de dollars et de fournir les armes. Ils ont aujourd’hui installé une base importante à Bagram, banlieue de Kaboul, dont leurs troupes n’osent pas sortir, au point que l’autorité du président Karzaï, qu’ils ont mis en place, s’arrête aux portes de la ville.
La seconde guerre de Bush, en Irak, n’est pas plus brillante, militairement parlant. Les États-Unis ont bombardé le pays avec des milliers de missiles, faisant, selon leurs propres estimations plus de cinquante milliards de dollars de dégâts. Puis, ils sont entrés sans rencontrer de résistance notable grâce à la complicité de généraux de Saddam Hussein qu’ils avaient corrompus.
Échec de la puissance états-unienne
Au-delà de ces guerres d’agrément, la puissance des États-Unis est tenue en échec là où elle veut s’imposer. L’armée US doit aujourd’hui affronter non plus les forces de Saddam Hussein, mais le peuple irakien. Chaque jour elle essuie des pertes. En six mois, plusieurs centaines de morts et des milliers de blessés, soit beaucoup plus que pendant la guerre elle-même. Hier un attentat contre le numéro 2 du Pentagone, Paul Wolfowitz lui-même. Le moral des GI’s est au plus bas. Le taux de suicide dans les rangs n’a jamais été aussi élevé. Aussi a-t-on accéléré la rotation des troupes et organisé des permissions avec transport aérien gratuit vers l’Europe. Mais cela aura été pour constater des désertions nombreuses.
Les GI’s n’ont plus la foi dans leur mission. Abreuvés de propagande, ils croyaient être accueillis en libérateurs en Irak et découvrent l’hostilité de la population. L’ambition impériale des États-Unis les oblige à prévoir l’engagement de plusieurs dizaines de milliers d’hommes au cours des cinq prochaines années. Mais où les trouver quant la moitié de ceux qui servent sous les drapeaux refusent de rempiler ? Alors, on engage des latinos-américains avec la promesse de leur donner à terme la nationalité états-unienne. Et l’on recourt massivement aux armées privées. Un dizième des hommes de la Coalition en Irak est un mercenaire et non un soldat régulier.
Cette semaine, le secrétaire à la Défense, Donald Rusmfeld a adressé une note à ses quatre principaux collaborateurs pour leur demander de réfléchir à quelques questions avant d’en débattre avec eux. Ce mémo secret est parvenu au journal USA Today qui l’a publié. On y lit le désarroi de Rumsfeld qui se demande si les États-Unis sont ou non en train de gagner la « Guerre au terrorisme », s’ils éliminent plus d’adversaires qu’ils n’en créent. Il se demande si l’armada états-unienne, avec ses chars, ses porte-avions, ses missiles et ses bombes nucléaires, peut efficacement combattre ceux qui lui résistent. Constatant, qu’au fond, tout cet attirail conçu pour écraser l’Union soviétique ne sert pas à grand-chose aujourd’hui, et que personne ne sait comment l’adapter à la situation, il propose de créer un autre ministère de la Défense à côté du Pentagone.
Guerre contre le dollar, pillier de la puissance états-unienne
Quoi qu’il en soit, Washington ne peut plus reculer. En effet, la survie des États-Unis est menacée. Non pas par un ennemi extérieur, mais par une faiblesse économique intérieure et des tensions entre communautés. Beaucoup en sont conscients maintenant, la puissance des États-Unis repose sur un mirage : le dollar. Ce ne sont que des morceaux de papier qu’ils impriment, autant que de besoin, et que le reste du monde se croit obligé d’utiliser.
Depuis trois ans, Jacques Chirac et Gerhard Schöder ont engagé la France et l’Allemagne dans une guerre sans merci contre les États-Unis. Ils ont envoyé des émissaires dans le monde entier pour convaincre d’autres États de convertir leurs réserves monétaires en euros. Les premiers à avoir accepté ont été l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord. C’est-à-dire précisément les États que George W. Bush a alors qualifiés d’« Axe du Mal ».
De son côté, Vladimir Poutine a entrepris de restaurer l’indépendance économique de la Fédération de Russie. Il a remboursé par anticipation les dettes que Eltsine avait contractées auprès du Fonds monétaire international. Et il devrait rembourser, également par anticipation avant la fin de l’année, les dettes restantes au Club de Paris.
Poutine vient d’annoncer tranquillement qu’il entendait reprendre le contrôle étatique des richesses naturelles de son pays. Il a rappelé que la fortune des oligarques s’est faite en une nuit, en s’appropriant avec la complicité de Elstine, tous les biens de l’URSS. Et a déclaré que l’État pouvait reprendre aux oligarques ce qu’il n’aurait jamais dû leur confier.
Recevant Gerhard Schroëder, au début du mois, Poutine a indiqué qu’il commencerait par récupérer le contrôle du gaz et du pétrole, et qu’il convertirait ces marchés, actuellement en dollars, en euros.
De son côté, le Premier ministre malais, le docteur Mahatir Mohammad, a expérimenté l’abandon du dollar dans les échanges internationaux, mais au profit de l’or. Il a signé des accords bilatéraux avec ses partenaires commerciaux. Les exportations et importations malaises se règlent désormais en or.
Fort de cette expérience, il a proposé à la Banque islamique de développement un plan pour en finir avec les États-Unis. S’inspirant du cartel arabe qui provoqua le choc pétrolier de 1974, il a proposé de provoquer un choc monétaire décisif. L’idée est de faire basculer le marché mondial du pétrole en or et de provoquer instantanément la chute du dollar et l’effondrement de l’économie US.
Au départ opposée à ce plan, l’Arabie saoudite, qui est en butte aux menaces des néo-conservateurs de Washington, l’a finalement rallié.
La Banque islamique de développement l’a présenté au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui vient de se réunir en Malaisie, sous la présidence du docteur Mahatir Mohammad.
Il a été convenu que des accords bilatéraux de passage à l’étalon or allaient être mis en place entre États islamiques au cours de l’année prochaine. Et que, lors du prochain sommet, qui se tiendra au Sénégal, les cinquante sept États membres de la Conférence islamique seront invités à signer un accord multilatéral.
Vladimir Poutine, qui était présent à la Conférence islamique car une immense population russe est musulmane, a encouragé ce plan.
L’abandon du dollar sera long et difficile, aussi bien pour les Européens que pour les États musulmans. Une campagne internationale a été lancée contre le docteur Mohatir Mohammad accusé de ressusciter l’antisémitisme. Henry Kissinger et Condoleezza Rice ont fait appel à l’oligarque Mikhail Khodorkovsky pour neutraliser Poutine. Mais celui-ci l’a fait arrêter et incarcérer ce week-end.
Quoi qu’il en soit, la guerre monétaire est déclarée. La domination états-unienne est menacée à moyen terme.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter