Le mouvement antimondialiste s’est fait connaître par sa lutte contre l’AMI, un accord économique que les États-Unis voulaient imposer à leurs « partenaires ». Cet accord leur aurait permis d’exploiter sans entraves les pays qu’ils ont libéré en 1945. Le mouvement a réussit à le mettre échec. Mais les négociations se poursuivent à nouveau au sein de l’Organisation mondiale du commerce. C’est dans cette enceinte que se joue, en ce moment même, l’acceptation ou non de la domination US. À l’heure actuelle, les États-Unis y rencontrent peu de résistance. Car le flou qui entoure le Forum social européen ne permet pas de poser la question essentielle, à savoir la domination impériale états-unienne dans son ensemble, à la fois idéologique et juridique, économique et militaire.
Le Forum social européen (FSE), qui vient de se réunir en région parisienne, illustre le développement d’un courant de pensée d’abord désigné comme anti-mondialiste, puis comme alter-mondialiste. Ce dernier se présente comme une contestation de l’évolution économique mondiale, sans référence marxiste, plutôt comme une version contemporaine de ce que furent les mouvements tiers-mondistes à la fin de l’époque coloniale.
Le premier fait d’armes du mouvement : l’échec de l’AMI
Son premier fait d’armes aura été la mise en cause des négociations secrètes qui se sont déroulées au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Cette institution, basée à Paris au château de la Muette, regroupe les États ayant bénéficié du Plan Marshall et ayant accepté en contrepartie la tutelle économique et financière des États-Unis. L’OCDE examinait un projet de traité, l’Accord multilatéral d’investissement (AMI). Il s’agissait de garantir aux investisseurs internationaux la certitude qu’ils ne pouvaient être spoliés par les États. Ce qui revient à dire qu’il s’agissait d’obtenir des États qu’ils renoncent au droit de nationaliser des entreprises ou des secteurs économiques. Bien entendu, quand on parle ici d’investisseurs internationaux, on parle principalement des multinationales états-uniennes, et quand on parle d’États, on parle de tous les pays sauf des États-Unis. L’AMI se présentait donc comme l’acte de décès de l’utopie communiste et le triomphe du camp capitaliste. Ou plutôt comme le triomphe des États-Unis qui auraient pu enfin exploiter sans entraves les pays qu’ils avaient libérés en 1945. L’AMI ne visait à rien d’autre qu’à consacrer le droit des compagnies états-uniennes à spéculer n’importe où dans le monde sans qu’aucun gouvernement ne puisse s’opposer à leur prédation. Poussée jusqu’au bout, cette logique impliquait aussi le renoncement par les États à considérer certains secteurs économiques comme non-concurrenciels et certains services comme des services publics.
En définitive, le mouvement antimondialisation a fait échec à ce projet de l’OCDE. Les négociations se sont alors poursuivies au sein de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, notamment au travers de l’Accord général sur les services (AGCS).
L’OMC pour détruire l’ONU et les droits des peuples
L’OMC est une organisation intergouvernementale qui s’est constituée en dehors de l’ONU, car les Nations unies, divisées par le conflit Est-Ouest de la Guerre froide, étaient dans l’impossibilité de déterminer une politique économique mondiale. S’étant développée hors de l’ONU, l’OMC s’est dotée de ses propres règles juridiques, qui sont parfois en contradiction avec celles des Nations unies. Progressivement, deux droits internationaux parallèles et contradictoires ont appris à coexister. Les Accords de Marrakech, qui fondent l’OMC sont incompatibles avec les Pactes de l’ONU relatifs aux droits sociaux et aux droits politiques.
Tant que le monde était divisé en deux blocs Est-Ouest, on n’a pas mesuré l’ampleur de ces contradictions et de leurs conséquences. Maintenant que l’Union soviétique a disparu et que le monde, sous l’effet du progrès des communications, se globalise, on doit affronter ce problème. Curieusement, il n’est jamais posé clairement.
L’OMC est marquée par les théories économico-religieuses anglo-saxonnes du XVIIIe siècle, comme celle d’Adam Smith pour qui ce n’est pas l’État, mais la Providence divine, qui doit réguler le marché. Les lois doivent donc consacrer la concurrence et le libre-échange, laissant à une main invisible le soin de tout organiser. L’OMC est aussi marquée par les théories plus récentes de Friedrich von Hayek, Prix Nobel d’économie en 1974, et de Milton Friedman, Prix Nobel d’économie en 1976. Par des raisonnements forts différents, l’un et l’autre ont contribué à décrédibiliser l’intervention de l’État en matière économique. Et si l’État n’a pas son mot à dire en économie, c’est que les citoyens n’ont pas à se prononcer sur ces sujets. D’ailleurs pourquoi consulter des masses ignorantes, dont la misère prouve en elle-même l’incompétence économique ? Mieux vaut laisser les multinationales qui savent faire de l’argent définir les règles.
Dans la pratique, l’OMC, en créant ses propres règles juridiques et son propre tribunal arbitral, se prétend source de droit à égalité et en concurrence avec l’ONU. Pourtant l’OMC est à l’économie ce que l’OTAN est à la paix : une alliance de circonstance de vassaux autour d’un suzerain. La réalité, est que l’OMC viole le droit international et est instrumentalisée par l’administration Bush pour détruire l’ONU.
Poser la question de la domination impériale états-unienne
Dès lors, pour promouvoir une solution aux déséquilibres économiques mondiaux, le mouvement altermondialiste devrait aujourd’hui poser la question de la domination impériale états-unienne dans son ensemble, à la fois idéologique et juridique, économique et militaire. Il devrait développer une analyse de la privatisation des institutions politiques états-uniennes dans le cadre desquelles le cabinet Bush peut être presque exclusivement formé de dirigeants d’entreprises multinationales du pétrole, de l’armement et de la pharmacie.
Malheureusement, le mouvement altermondialiste est victime de son succès. Il a attiré à lui de très nombreux syndicats, partis politiques et groupes de pression aux objectifs disparates, allant des plus progressistes aux plus réactionnaires. Sa composition et sa définition ont évolué. Chacun a tenté de le récupérer pour des causes plus étroites. Le Forum social européen a été grassement subventionné aussi bien par le gouvernement néo-thatchérien de Jean-Pierre Raffarin que par les mairies socialiste de Paris et communiste de Saint-Denis. Il s’est transformé en une sorte de liturgie où l’on a redit de manière incantatoire ce que l’on avait déjà dit au précédent Forum, à Florence. Il a buté sur la volonté des organisateurs de maintenir le flou sur leurs intentions pour « ratisser large ». Cependant, si ses débats ont perdu leur saveur, le Forum s’est imposé comme lieu de contact entre militants d’organisations et de pays différents et participe ainsi à l’émergence d’un sentiment d’appartenance collective.
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