LE MONDE | 18.12.03 | 13h49
Le FBI est persuadé que le réseau d’Oussama Ben Laden possède encore une structure de commandement
New York de notre correspondant
A en croire les responsables de la lutte antiterroriste du FBI (police fédérale) citant des interrogatoires de détenus d’Al-Qaida, des interceptions de communications et d’autres sources, non seulement le réseau d’Oussama Ben Laden possède une structure de commandement opérationnelle, mais il est déterminé à frapper à nouveau sur le sol américain.
« C’est clair : ils veulent commettre des attaques ici et cherchent les moyens de réaliser un nouvel attentat catastrophique », souligne un spécialiste à Washington, qui souhaite conserver l’anonymat.
Il y a trois semaines, le FBI et le ministère de la sécurité intérieure ont attiré l’attention des forces de l’ordre locales sur la sécurité autour des avions cargo et des usines chimiques. Les services secrets américains ont multiplié les rapports, soulignant la fascination d’Al-Qaida pour les avions détournés transformés en bombes et les armes chimiques et biologiques - les seuls moyens permettant d’égaler ou de surpasser l’ampleur des attaques du 11 septembre 2001.
Mais, depuis deux ans, la sécurité a été considérablement renforcée dans les aéroports. Et il n’existe pas de preuves de la capacité technique et opérationnelle d’Al-Qaida dans le domaine des armes chimiques et bactériologiques. Il n’est pas non plus évident que l’organisation, dont de nombreux membres ont été capturés, tués ou dispersés après la chute des talibans en Afghanistan, possède encore une organisation très structurée.
Plus personne ne doute qu’Oussama Ben Laden soit en vie et se cache dans les montagnes du Waziristan, une région pakistanaise à la frontière de l’Afghanistan. Mais sa cavale permanente a grandement réduit sa capacité à diriger son organisation. La capture de nombreux responsables du réseau et leurs interrogatoires ont permis au FBI d’en apprendre beaucoup sur la présence, sur le sol américain, de cellules et de sympathisants. Après un millier d’enquêtes et le démantèlement de cinq à six groupes, la police fédérale estime aujourd’hui qu’une éventuelle attaque serait sans doute le fait de terroristes venus de l’étranger. Certains spécialistes estiment que le renforcement des mesures de sécurité aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux explique que les derniers attentats attribués à Al-Qaida ou à des réseaux affiliés se soient produits en Turquie, en Arabie saoudite et en Irak.
« COMME EN 1917 »
« Qui aurait pu penser que les terroristes islamistes s’en prendraient à des travailleurs arabes étrangers en Arabie saoudite ou à une banque anglaise à Istanbul ? », s’interroge Bruce Hoffman, expert en terrorisme de la Rand Corp. « Al-Qaida saisit les occasions où elles se présentent. L’organisation exploite les faiblesses en Indonésie, en Turquie, en Tunisie, au Maroc. Il est impératif pour l’organisation de continuer à exister dans les médias et à susciter des sympathies. »
« Il n’est pas étonnant que des attaques aient eu lieu au Maroc, en Arabie saoudite et en Turquie, des pays où le niveau de haine contre les Etats-Unis a explosé depuis la guerre en Irak », dit Jessica Stern, spécialiste du terrorisme à Harvard et ancienne membre du Conseil national de sécurité. « Al-Qaida a pour ambition ultime de renverser les pouvoirs en place afin d’établir des régimes islamistes et faire renaître le califat. Leurs principaux adversaires sont les pays musulmans qui cherchent à adapter l’islam à la modernité. Il s’agit pour eux d’un sacrilège. Ce qu’ils appellent "purifier" l’islam est au moins aussi important que punir l’Occident », ajoute-t-elle.
Les attaques les plus virulentes, dans les derniers messages d’Oussama Ben Laden, ne sont pas réservées aux Américains, mais à Hosni Moubarak, le président égyptien, à la famille royale saoudienne et à la Turquie laïque.
« Les attentats à Istanbul ont été menés pour fragiliser la Turquie et créer un doute dans le pays sur l’intérêt de rester un allié des Etats-Unis, de continuer à combattre le terrorisme et de vouloir se rapprocher de l’Occident », explique Daniel Benjamin, responsable du contre-terrorisme au Conseil national de sécurité sous la présidence de Bill Clinton et aujourd’hui membre du Centre d’études stratégiques internationales.
« De là à dire, ajoute-t-il, qu’il s’agit d’un changement de stratégie d’Al-Qaida, cela me semble un peu simpliste. Depuis des années, l’organisation d’Oussama Ben Laden mène deux stratégies parallèles. L’une avec des attaques spectaculaires contre l’Occident et plus particulièrement les Etats-Unis, l’autre en menant des opérations via des groupes affiliés contre les régimes musulmans dits modérés. Je pense que nous avons aujourd’hui tout simplement des réseaux en plus grand nombre. Al-Qaida est, toute choses égales par ailleurs, un peu comme le mouvement communiste international au début de l’année 1917. Avec une stratégie gagnante de conquête idéologique et une autre de déstabilisation et, qui sait, de prise du pouvoir là où l’occasion se présente. »
Eric Leser
• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 19.12.03
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