(extrait du procès-verbal de la séance du 8 octobre 2003)
Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président
M. le Président : Merci de consacrer un peu de votre temps à une question qui nous préoccupe et vous préoccupe également. Nous souhaitons vous poser un certain nombre de questions sur l’objet de notre mission. Je renvoie parallèlement mes collègues à tous vos ouvrages édifiants, intéressants et très précis.
M. Dalil BOUBAKEUR : Merci de me recevoir. La question qui nous réunit agite effectivement depuis plusieurs années la société française et nous avons eu le temps de nous forger une opinion sur le rôle du port du voile dans la communauté et dans la société française.
M. le Président : Selon vous, le port du voile relève-t-il pour les femmes d’une obligation du Coran ?
M. Dalil BOUBAKEUR : La communauté est divisée sur l’interprétation à donner aux textes ; les théologiens ne sont pas tous d’accord. Il y a du Coran deux lectures : une lecture littérale dénommée « dhahirite » et une lecture symbolique appelée « bâatinite ». Les tenants de la lecture littérale - les radicaux, les personnes des deux écoles, le hanbalisme et le wahhabisme - tiennent à cette lecture qui repose sur deux versets, lesquels indiquent textuellement : le premier « Dis aux croyants de baisser leur regard et de rester chastes, etc. ». Le second « Ô prophète : dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de se couvrir de leur voile ». Le Coran est donc indiscutable sur cette question. Toutefois...
M. le Président : Il faut donc porter le voile ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Cette recommandation se termine par la formule suivante : « Dieu est pardonneur et miséricordieux ». Cela ne fait donc pas partie des obligations habituelles du Coran qui précise : « Dieu est terrible dans les châtiments » ou « Dieu est rapide dans ses châtiments ».
M. le Président : Si je vous entends bien, ce n’est pas une obligation absolue.
M. Dalil BOUBAKEUR : Non. Parmi, les 70 péchés de l’islam aucun ne concerne le non-port du foulard.
M. le Président : Dans ces conditions, une musulmane peut se dispenser de porter le voile sans pour autant renoncer à la foi ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Elle n’ira pas en enfer, c’est clair ! De nombreuses musulmanes ne portent pas le voile de par le monde. Depuis l’ère des Tanzimat au XIXème siècle, époque des réformes ottomanes induites par l’empire turc et concernant les vêtements masculins et féminins, avant Atatürk, l’islam s’était préoccupé de l’émancipation de la femme qui passait déjà par l’européanisation de son costume. Cela valait dans les pays musulmans, Turquie et Egypte. En Tunisie, il était interdit et au Maghreb, il se portait d’une façon atténuée ou pas du tout.
A l’étranger, il m’a été donné l’occasion d’expliquer l’interdiction française qui, loin d’être générale, ne recouvre que l’école laïque, lieu particulier où, en cas d’interdiction, par exemple par un règlement intérieur, l’élève musulmane sera déchargée de son obligation religieuse, puisque le fait ne pas porter le voile ne sera pas imputée à sa volonté et que le Coran (Sourate IV, verset152) dit bien que le Dieu « n’impose rien à une âme qui soit au dessous de sa volonté ».
M. le Président : Pour un musulman, le port du voile par une jeune fille peut-il recevoir une signification autre que religieuse ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Bien sûr ! Je l’ai écrit, je me suis plaint de cette forme de vêtement ostentatoire. Après la révolution iranienne de 1980, le tchador est apparu et des écoles fondamentalistes l’ont repris pour des raisons politico-religieuses. C’est très clair.
Mais il n’y a pas que cela. Le fondamentalisme recouvre deux aspects : le fondamentalisme piétiste, celui du Tabligh, à l’origine de ce problème, et le fondamentalisme politique. Il est vrai que le passage est aisé de l’un à l’autre.
Est-ce un signe ou un rite ? Je m’étais posé la question, car, d’un point de vue religieux, c’est très différent. S’il s’agissait d’un rite comme la prière ou le ramadan, le non-port serait grave. Pour autant non, car le verset précise « qu’elles se couvrent le visage de leur voile, c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître ». C’est donc bien un signe et la question est moins grave que s’il s’était agi d’un rite, du point de vue sacral évidemment.
M. le Président : Vous êtes attaché en tant que musulman à l’égalité entre hommes et femmes...
M. Dalil BOUBAKEUR : Oui, M. le Président.
M. le Président : Le port du voile est-il compatible avec ce principe d’égalité ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Nous nous plaçons dans le monde sémitique où, que l’on soit chrétien, juif ou musulman, l’on rencontre toujours cette société ségréguée entre hommes d’un côté, femmes de l’autre, notamment sur le plan religieux. Le caractère sémitique des trois religions monothéistes fait que la place de la femme depuis Eve a toujours été « un peu moins égale », selon la formule, que celle de l’homme, notamment dans les actes de la liturgie, dans la prêtrise ; dans le domaine religieux les femmes étaient réduites au rôle de servantes du culte. Depuis les Égyptiens - qui entrent dans ce quadrilatère sémitique -, la religion fait de l’homme un frère supérieur, injustement d’ailleurs. Depuis un siècle, toute la lutte de l’émancipation des femmes de l’islam tend à leur donner leur égalité par rapport aux hommes, notamment dans le domaine social, économique et de l’instruction. Cette période a permis aux jeunes filles de s’instruire dans les écoles. Le mouvement a commencé en Turquie et en Iran, avant de se généraliser. Aujourd’hui, à l’université égyptienne de Al-Azhar, la proportion des femmes professeurs ne cesse d’augmenter pour atteindre parfois 40 %, selon les matières enseignées. C’est la modernité de l’islam qui est à l’œuvre aujourd’hui et beaucoup d’hommes et de femmes entrent dans cette modernité en laissant à part ces archaïsmes et ces traditions aussi frustrantes pour la femme que totalement injustes.
M. le Président : Aujourd’hui, la modernité de l’islam, sans trahir l’islam d’origine, est donc ce combat vers une égalité des hommes et des femmes et la reconnaissance du principe constitutionnel d’égalité entre hommes et femmes ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Même dans le Coran qui s’adresse également : « aux croyants et aux croyantes, aux musulmans et aux musulmanes ». Le prophète de l’islam a très vite prêché la libération totale de la société de la Mecque, d’abord de l’esclavage, ensuite de ses inégalités qui poussaient à enterrer les filles à la naissance, comme monstruosité de l’Arabie païenne.
M. le Président : Le port du voile peut-il être considéré comme une sorte d’esclavage ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Le port du voile marque une réserve, c’est un signe d’enfermement. La raison majeure tient au comportement familial qui fait de l’adultère le péché le plus grave dans les religions sémitiques. Dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, il n’y a rien de plus terrible que l’adultère qui est puni par la lapidation à mort. Le voile est en quelque sorte la préservation de tout « danger » du risque d’adultère.
M. Robert PANDRAUD : Pas dans le christianisme !
M. Dalil BOUBAKEUR : Depuis que Jésus a répondu « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre », il n’y a plus de problème de lapidation dans le christianisme ! L’islam a maintenu cette règle, en vertu de quoi, la fille doit être tenue enfermée, la femme mariée ré-enfermée ; dans la rue, on ré-enferme avec le voile. Pour moi, c’est totalement psychanalytique et lié à une crainte forte de l’adultère.
M. le Président : Seriez-vous favorable ou non à une loi interdisant le port du voile à l’école, puisque celle-ci traite de façon identique les garçons et les filles ? Les textes actuels vous paraissent-ils suffisants ou ne faudrait-il pas, pour éviter certaines dérives, une loi précisant que le port visible de tout signe religieux, donc le voile, mais pas uniquement le voile, est interdit à l’école ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Une proposition de loi de M. Ernest Chenière et de M. François Grosdidier, dès 1996, proposait l’interdit des signes ostentatoires, exprimant manifestement une appartenance religieuse ou politique.
Cette loi n’est pas passée, alors même qu’à l’époque nous connaissions de gros problèmes. Oui, j’aurais souhaité que mes sœurs en islam entrent vivement et de tout cœur dans cet islam tolérant, libéral, moderne que j’essaie de prôner. C’est avec beaucoup de tristesse qu’il me semble qu’interdire le foulard entrerait dans le cadre d’une politique beaucoup plus vaste. Ce ne serait qu’un élément d’une attitude nationale beaucoup plus large, contre toutes les formes de fondamentalisme. Y sommes-nous prêts ? Hélas non !
Il y a dix, voire quinze ans, il aurait fallu prendre les premières mesures et ne pas attendre. Le Conseil d’Etat est resté ambigu dès 1989 ; la loi de M. Jospin s’est contentée de réglementer les conditions de l’enseignement. Périodiquement, nous assistons au retour de cette espèce d’exaspération, de lassitude, à un énervement du corps enseignant sur ce problème qui ne se présente que comme la part émergée d’un iceberg.
Faire une loi, comme l’a indiqué M. le ministre Sarkozy, ce serait victimiser, montrer du doigt, créer des réactions des personnes intéressées, compliquer le problème par des troubles à l’ordre public et donc accroître le sentiment d’appartenance communautariste et, par là même, le nombre des écoles confessionnelles. Aujourd’hui, il faut remarquer que les écoles catholiques recueillent très facilement les filles au foulard.
Je suis médecin et je crois la contagion bien avancée. Nous n’aurions pas les moyens de faire face à cette réalité que dans la communauté musulmane, le problème a fait son chemin. Hélas ! Nos fondamentalistes ont réussi à convaincre beaucoup de monde, non pas d’une lecture du coran comme celle que je vous ai faite, mais qu’il s’agit là d’un acte rituel important de l’islam. Le rapport de forces ne me serait pas favorable si je vous disais que, de tout cœur, je le souhaite.
M. le Président : Que représentent les fondamentalistes en France ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Peu de personnes, mais le mouvement est en progrès et ses idées passent et pas seulement chez les jeunes « beurs » de banlieue ; on a vu aussi des jeunes d’origine chrétienne se laisser séduire par une forme de fondamentaliste, celui du Tabligh, c’est-à-dire celui des piétistes, ceux qui, par l’exemple, par une espèce de ritualisme sincère et misérabiliste, essaient d’attirer et de séduire les jeunes en déserrance, en désarroi ou en situation psychologique fragile.
M. le Président : Cela vous inquiète-t-il ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Cela m’inquiète considérablement.
M. le Président : Faut-il les laisser gagner du terrain, s’insérer dans les écoles et y faire du prosélytisme ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Que non ! Il faut reprendre le problème d’une façon beaucoup plus vaste, affirmer la laïcité et ses valeurs. Où est-elle enseignée ? Pendant que nos instructeurs de banlieue ont tout le champ d’agir du fait du laxisme à l’œuvre en France comme dans tout l’Occident, où enseignons-nous les vertus de la laïcité ? C’est pourtant à mes yeux un impératif catégorique, car la laïcité est le fruit d’une exigence de rationalité moderne dans l’organisation de la société et, à l’évidence, elle reste un modèle de valeur universelle, alors que le foulard ne l’est pas.
M. Jean-Pierre BRARD : Chacun ici aura apprécié le courage de vos propos.
Nous avons intérêt à protéger le recteur en gardant pour nous ses propos. Il nous sera plus utile en menant sa bataille à sa façon que si nous l’utilisions comme un étendard. Je m’exprime sous ma seule responsabilité.
Un propos toutefois m’étonne ; vous nous dites, M. le recteur, qu’une loi aurait été possible voilà dix ans, mais qu’elle ne le serait plus aujourd’hui au regard du terrain gagné par les fondamentalistes. Pourtant, l’expérience montre que quand on ne cède pas, que l’on va au combat, l’on tient. Si nous rédigeons une loi, vous serez interrogé. Que direz-vous ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Je ne serais pas le seul. L’ensemble des organisations qui a rédigé le protocole de mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM) a signé, sans exception, un préambule qui précise qu’elles s’engagent à respecter les valeurs de la République et à les faire respecter en tout lieu. S’il y a une loi, elle s’imposera à moi comme aux autres et comme aux filles au foulard. C’est là l’engagement de toutes les organisations. Certes, il s’agit d’un engagement théorique et formel. Au fond, certains ne sont pas favorables à une loi, mais ils ont dit qu’ils laisseraient la société française prendre ses responsabilités, sans la dénigrer. Ils ont travaillé leur dialectique.
M. Jean-Pierre BRARD : Hélas !
M. Dalil BOUBAKEUR : Oui, hélas ! Ils disent toutefois qu’ils accepteront cette loi. Comment ? Je ne crois pas qu’ils le feront avec le sourire.
M. Jacques MYARD : M. le recteur, ce qui m’étonne un peu, c’est que vous considériez le mal trop profond et notre réaction trop tardive. C’est inacceptable, nous ne pouvons laisser se poursuivre cette dérive et cette montée politico-communautariste, ethno-religieuse qui est contraire aux lois de la République et qui entre en flagrante contradiction avec l’esprit de tolérance de l’islam. Dans ces conditions, une loi sur la laïcité, pas seulement à l’école et sans montrer du doigt le foulard qui n’est que la partie visible de l’iceberg, alors que derrière se profile une montée plus radicale des situations, une telle loi donc, réaffirmant les principes forts de la laïcité pour tous les lieux publics et tous les services publics de la République, a-t-elle une chance d’opposer un arrêt net à l’hypocrisie d’un certain nombre de fondamentalistes ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Bien entendu, elle est non seulement utile, mais aussi nécessaire. Notre problème aujourd’hui est d’affirmer la laïcité, convaincre plutôt que contraindre. Nous évoluons dans un système qui n’est pas celui des intégristes qui légifèrent à tout bout de champ et qui, passant du permis à l’interdit, font tomber des têtes et couper des mains.
Dans notre système de rationalité, oui, il faut convaincre, très tôt, de l’exigence de neutralité religieuse dans l’école et des avantages de la laïcité prise, non pas comme un simple système d’organisation de l’école et de la société, mais comme l’aboutissement d’une évolution de l’humanité et comme le devenir de l’humanité qui tourne le dos aux archaïsmes, aux partis pris religieux et philosophiques pour laisser la liberté de penser et faire pour tout individu. C’est cela le système français d’avant-garde. Il faut en être fier, le défendre bec et ongles ; même si c’est trop tard, rien n’empêche d’affirmer la laïcité. C’est important. Essayer de convaincre les filles qu’elles font fausse route me paraît être un moindre mal.
Il convient de trouver les moyens de défendre la laïcité qui offre trois lectures. La première est pluraliste : l’Etat est neutre, il laisse faire la liberté et veille à l’équilibre. La deuxième est stricte : on n’accepte que ce qui est commun à tous. Le troisième concept est celui d’une laïcité ouverte. Dans cette dernière vision de la laïcité, l’affirmation identitaire devient une requête du statut personnel. Or, le statut personnel, à l’évidence, est une négation du statut général de l’identité nationale et immanquablement une ouverture au communautarisme. Nous ne pouvons pas accepter de dérogation à l’identité nationale. Nous sommes Français, quelles que soient nos convictions sur la mort ou la pré-vie.
Au surplus, une petite fille de 5 ou 6 ans conduite à l’école avec un foulard revient à complètement dénaturer le sens que le Coran assigne, lui-même, au foulard qui est un simple objet de pudeur et de protection de la femme, mais à partir de la puberté seulement !
Remettre les choses en place me paraît urgent, et nécessite une grande fermeté. Il n’y a pas, comme je le dis souvent, de petit ou de grand fondamentalisme. Il y a une vision de la société qui se fonde sur la raison ; une autre sur la religion et la politique. Tous mes travaux et toutes les lectures sur la pensée actuelle de l’islam me montrent qu’il suffirait de rompre le lien entre politique et religion. Tous les penseurs de l’islam moderne du Maroc à l’Indonésie, de l’Egypte à l’Algérie, tous ceux qui ont souffert de cette politisation de l’islam, réclament une rupture « à la hache » entre la religion et la politique. L’islam n’est pas malade de la laïcité, il meurt de la politisation de la religion. En France, le foulard entre en plein comme un étendard de ce combat qui se portera ensuite sur les piscines et sur les consultations hospitalières, sur l’enseignement ségrégué. Il faut donc affirmer la laïcité, sinon c’est le dérapage.
M. le Président : Il faut donc être très ferme et éviter que le foulard se développe à l’école.
M. Dalil BOUBAKEUR : Il est certain que le foulard n’est pas acceptable à l’école ; mais comment le contenir ? C’est toute la question.
J’ai reçu le ministre des cultes, des religions et de l’enseignement du Luxembourg qui me disait avoir rencontré le problème d’une organisation musulmane venue lui proposer un contrat, à condition que l’Etat Luxembourgeois accepte le port du foulard. Au Luxembourg, l’école est chrétienne, religieuse ; ils sont donc ennuyés. Nous avons la chance d’avoir une école laïque, neutre du point de vue religieux. Théoriquement, la neutralité s’impose aux enseignants, non aux usagers. Peut-être conviendrait-il de spécifier que les usagers y sont aussi assujettis car, à l’école, ils doivent acquérir les valeurs de la laïcité. On ne peut acquérir les valeurs de la laïcité si l’on se place à côté de celles-ci.
M. le Président : N’y a-t-il pas là un élément paradoxal ? Nous vous suivons sur la laïcité de l’école, à laquelle vous êtes pleinement favorable, mais vous nous demandez aussi de ne pas la défendre par une loi qui risquerait de poser des problèmes. Si ceux qui défendent la laïcité de l’école renonçaient, ne serait-ce pas une lâcheté ou une faiblesse ?
M. Dalil BOUBAKEUR : J’ai réfléchi à cette interrogation. Pour moi, la loi reste l’arme absolue. Dans un premier temps, nous allons nous faire plaisir à légiférer, mais quelles en seront les conséquences ? Notre intérêt, à mes yeux, est de traiter et non de choisir l’arme à utiliser. Comment éradiquer le problème ? Il est préférable d’agir par l’intelligence que par la force. Si l’on sort de cette impasse, ce qui n’est pas certain, la laïcité s’en trouvera renforcée car, si elle s’en sort, ce sera par sa force de conviction, par sa vérité. La laïcité est l’avenir, c’est une donnée universelle.
M. le Président : Avez-vous le sentiment de former les imams en ce sens ?
M. Dalil BOUBAKEUR : J’y veille.
M. le Président : Partagent-ils tous votre point de vue ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Totalement en ce qui concerne ceux qui sont sous ma responsabilité - une centaine. Au niveau politique, j’ai exigé d’eux la réserve et je leur ai demandé de former les jeunes à l’esprit civique.
M. le Président : Le font-ils ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Ils le font mais n’oublions pas qu’il y a 1 400 lieux de culte musulman en France.
M. le Président : Ils forment à la laïcité.
M. Dalil BOUBAKEUR : Oui, intervenant sur la pointe des pieds, avec réserve, dans le domaine public.
M. le Président : Partagent-ils tous votre point de vue sur le port du foulard ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Sur le port du foulard, ils disent tout au plus qu’il s’agit d’un engagement religieux, mais personnel. Que les femmes portent le foulard dans la rue, personne ne les en empêche. Mais les religieux doivent être formés à la compréhension de l’école laïque pour bien comprendre la différence entre la voie publique et l’école laïque qui, à mes yeux, est sacrée. Je suis un enfant de l’école laïque, je sais de quoi je parle. Il faut donc former. L’école, un temps, enseigna l’éducation civique. On apprenait aux enfants à respecter les valeurs de la Nation et à la laïcité. A cette époque, la révolution française composait le principal chapitre de nos études d’histoire. Avec Combes, nous comprenions ce qui avait pu faire de l’école de Jules Ferry l’école du peuple : obligatoire, gratuite, mais laïque !
Mme Martine DAVID : Je rends hommage à votre très grand état d’esprit laïque. Nous aimerions entendre plus souvent dans notre société le discours que vous tenez ici. Nous serions moins en butte au problème qui nous rassemble aujourd’hui.
J’ai l’impression que nous n’avons pas cerné les vrais chiffres relatifs de port d’insignes religieux à l’école et plus particulièrement du port du voile. Je continue à penser qu’à ce titre nous sommes dans le brouillard. On nous a dit tout et n’importe quoi ! Je continue à être dans l’incertitude. J’ai lu le compte rendu de l’audition du ministre de l’intérieur devant la commission Stasi, précisant que les cas sont peu nombreux au contraire d’autres qui disent qu’il y en a beaucoup.
Deux questions. Vous semblez croire que si nous légiférions sur le port de signes religieux à l’école, cela entraînerait la radicalisation d’un certain nombre de jeunes filles et les tourneraient vers des réseaux fondamentalistes. J’estime que depuis quinze ans les faits prouvent le contraire. Dans la plupart des cas, la médiation, le dialogue ont permis, à partir des circulaires évoquées, que les jeunes filles ne portent plus du tout le voile, soit le transforment, mais il n’y a pas eu radicalisation. Peut-être une loi durcirait-elle les positions. Toutefois, il semblerait que la voie du dialogue et de la médiation ait permis d’éviter beaucoup de cas d’exclusion de ces jeunes filles.
A partir du moment où vous dites qu’il est trop tard pour légiférer de cette façon, convient-il, selon vous, de remettre à plat la loi de 1905 ? Faut-il toucher à cette « cathédrale » avec le risque d’ouvrir la boîte de Pandore ? Vous donnez l’impression de penser que la laïcité pose un problème en France et qu’il conviendrait donc de légiférer sur ce grand dossier, mais par quelle voie, si ce n’est par une révision de la loi de 1905 ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Merci madame, vous abordez le cœur du problème. Je n’ai pas dit que j’étais contre une loi, j’aurais préféré une loi intelligente...
M. Pierre-André PERISSOL : Ce n’est pas impossible !
M. Dalil BOUBAKEUR : Un traitement qui ne soit pas une contrainte, qui aille au fond du problème, qui atteindrait le but que nous désirons. Tel est l’objectif à mes yeux essentiel. Dans un premier temps, des réactions de rejet et des manifestations interviendront certainement ; dans un deuxième temps, peut-être une déprime ; enfin, viendra le temps d’une acclimatation sociale des deux côtés.
Je pensais sincèrement qu’après le 11 septembre 2001, l’ensemble de l’intégrisme musulman violent, qui s’attaque à beaucoup plus fort que lui, connaîtrait un changement radical, les musulmans se rendant compte que l’on ne peut aller jusqu’au choc des cultures au nom du fondamentalisme. Je pensais aussi que les sociétés occidentales se réveilleraient et extirperaient les racines de l’intégrisme dont les réseaux fonctionnent, y compris en territoire occidental.
J’ai été déçu des deux côtés. En effet, les musulmans furent peu réactifs. Ils souffrent de régimes tellement anti-démocratiques qu’il n’y a pas de réactions rationnelles à attendre de ces pays. Parallèlement, l’Occident est restée aussi inerte. En réalité, rien n’a été fait et le fondamentalisme continue tranquillement de progresser avec plus ou moins de visibilité. Je doute de notre capacité à être efficaces dans ce domaine.
Pour exemple, je vous parlerai du Conseil français du culte musulman, que j’ai l’honneur de présider. Très vite, je me suis rendu compte que les élections allaient donner en France la part belle aux associations plus ou moins teintées de radicalisme - je ne nomme personne. J’ai même constaté que le gouvernement acceptait cette perspective car le constat est tel de l’état de la France, qu’il convient de le prendre ainsi. Je ne comprends pas la permissivité qui sévit en France comme en Angleterre ou en Allemagne.
Dès lors, comment défendre une loi strictement française ? Devant les institutions européennes, nous risquons d’êtres contrariés et comment faire pour s’opposer à ceux qui voudront imposer le foulard dans les institutions ?
Cela dit, si loi il y a, je la soutiendrai. Je l’ai dit, écrit et je risque gros tous les jours pour le répéter. Bien entendu, je ne suis pas favorable au port du foulard qui me rappelle trop les tchadors iraniens. Le foulard sera présenté autrement. On vous expliquera que c’est un vêtement religieux. Dès lors, votre loi apparaîtra anti-religieuse. C’est un peu gênant de faire en France une loi ad religionem. Nous n’avons pas la tradition de légiférer en matière de religion. Toute action qui aboutirait au même effet emporterait aussi mon soutien. Votez une loi qui réaffirme la laïcité et rappelons que la laïcité scolaire n’a nul besoin d’une loi calquée sur celle de 1905, mais au contraire d’une loi qui la renforcerait.
M. Pierre-André PERISSOL : Je rends hommage à votre combat. Croyez bien que je suis conscient de la difficulté de défendre un islam tolérant et ouvert comme vous le faites.
Vous soulignez deux dangers : celui de faire une loi qui risque de stigmatiser et donc de provoquer des réactions pro-fondamentalistes ; celui de constater que, même sans loi, le fondamentalisme progresse.
Dès lors, je me permets une suggestion. S’il y a une loi, elle ne sera pas ad religionem, contre le port du voile, mais évoquera tout signe religieux comme ces croix chaldéennes portées ostensiblement en signe de provocation. La loi pourrait réaffirmer la laïcité, laquelle interdirait de mettre en avant une appartenance religieuse, mais également d’introduire une différence entre garçons et filles ou toute action prosélyte à caractère politique. Le voile répond à ces trois critères : un critère religieux, même si les interprétations peuvent varier. C’est aussi un signe qui introduit une différence entre garçons et filles. C’est enfin un signe utilisé à des vues politiques. Tous les intervenants qui vous ont précédé ici soulignent une relation entre la courbe du port du voile et l’actualité politique plus ou moins tendue. La loi pourrait rappeler les différents principes de la laïcité, dont la religion est un élément, mais non le seul. Par ailleurs, cette loi pourrait intégrer la nécessité de l’enseignement des valeurs laïques, dont la Nation charge l’école de transmettre à ses enfants. Un tel dispositif vous paraîtrait-il répondra à ces deux volets ?
Nous sommes, comme vous, très attentifs à ne pas stigmatiser les jeunes filles qui portent le voile et à ne pas les condamner à se retrouver dans un établissement plus contraignant pour elle. Mais nous sommes également attentifs aux jeunes filles qui ne portent pas le foulard, qui sont soumises à des pressions et que nous devons protéger pour qu’elles conservent leur un libre arbitre. Si nous ne faisons rien, nous les exposerons également.
M. Dalil BOUBAKEUR : Effectivement, il faut mener une œuvre pédagogique, y compris dans le domaine de l’islam. J’ai reçu des jeunes filles de Mantes-la-Jolie qui voulaient savoir pourquoi je n’étais pas très favorable au port du foulard. Je leur ai demandé ce qu’était le foulard ; elles m’ont répondu que c’était un pilier de l’islam ! Il a fallu que je leur enseigne qu’il y en avait cinq, que le foulard n’en faisait pas partie. Elles ont réagi en avançant que ce devait être le sixième pilier !
J’ai poursuivi, en leur demandant en quelle année de l’Hégire nous étions. Elles croyaient être au XVIIIème siècle de l’islam. Je leur ai recommandé de commencer par faire leurs ablutions et leurs prières. J’ai poursuivi en indiquant que s’il y avait des Sainte-Thérèse d’Avila parmi elles, je les défendrais, mais que, si tel était le cas, l’école laïque n’était pas leur place et encore moins l’école mixte avec leurs blue-jeans. Elles ignorent trop souvent leur propre religion et encore plus les valeurs de leur école : la laïcité entre autres.
M. le Président : Vous voulez dire que ces jeunes filles sont des otages et qu’il convient de les protéger ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Bien sûr. Elles se font les adeptes plus ou moins conscientes d’un militantisme islamique.
M. Jean-Pierre BRARD : Qui leur avait dit de venir vous voir ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Je m’étais rendu à une réunion de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) où j’avais tenu des propos sur la faible importance du port ou du non port du voile dans la religion musulmane où seule compte l’intention (niyah) du « bien-faire » (ihsan) devant Dieu compatissant et miséricordieux. Le Coran (Sourate II, verset 256) dit « point de contrainte en religion ».
Les aventures du voile n’ont pas fini de faire parler d’elles en France. Il faut convaincre les jeunes filles, et l’ensemble de la société, que nous sommes dans le vrai, que la laïcité est une valeur du présent pour la société française, mais aussi pour l’islam. Les défis de l’islam ont trois noms : laïcité, modernité, fondamentalisme. Si nous voulons un islam fondamentaliste, laissons faire ; si nous voulons un islam moderne qui accepte la laïcité et se départisse du problème politique, alors il nous faut lutter à visage découvert avec le fondamentalisme et ne pas faire semblant de l’accepter d’un côté et de le combattre de l’autre.
M. le Président : Vous nous incitez donc à faire une loi.
M. Dalil BOUBAKEUR : Je la souhaite de tout mon cœur. Je suis trop passionné de la France et de la société française pour ne pas examiner toutes les conséquences mais quand je choisis un médicament, j’en mesure tous les avantages et inconvénients.
M. le Président : Vous avez peur des effets secondaires.
M. Dalil BOUBAKEUR : C’est cela.
M. Jacques MYARD : Si nous tardons trop, les effets secondaires ne seront-ils pas pires après-demain ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Certainement. Si l’on s’oriente vers une loi, il vaut mieux aujourd’hui que dans cinq ans. Le facteur temps peut jouer pour ou contre nous. Nous pouvons l’utiliser à former de nouvelles générations. Le foulard recèle des risques. Que faire contre un tel mal sinon des traitements psychologiques ? C’est une véritable obsession, une véritable paranoïa, une fixation. Il n’y a pas à discuter avec des personnes aussi obsédées et formées au fanatisme, au rejet de toute rationalité. Nous avons pour nous la rationalité ; essayons de l’utiliser au maximum pour convaincre, pour former de nouvelles générations et introduire progressivement la fermeté dans l’interdit.
Une loi, oui, pour l’affirmation de la laïcité, au surplus revenons à la loi de 1912-1913 relative aux vêtements scolaires.
M. le Président : Nous la rechercherons.
Vous m’incitez à être plus ferme que je ne le pensais. Vous avez tenu un propos terrible : « Aujourd’hui plutôt que dans cinq ans ». C’est dire que plus nous attendons, plus nous devenons les complices de ce que nous voulons empêcher. La grande faiblesse est d’avoir jusqu’à présent attendu. Dans la mesure où la jurisprudence laisse une interprétation à des personnes qui l’utilisent pour progresser, les défendeurs de la laïcité ne doivent-ils pas, aujourd’hui, juger qu’il est temps de prendre leurs responsabilités et de rester fermes ? Il est peut-être difficile de légiférer ; nous serons sans doute confrontés à des effets secondaires, mais si nous attendons cinq ans, ces effets secondaires risquent de devenir des effets primaires.
M. Robert PANDRAUD : Je me fais l’avocat du diable. Vous voulez protéger les jeunes filles, mais elles font dire par leurs représentants qu’elles ne prennent le voile dans les cités que pour se protéger du harcèlement sexuel, des tournantes et autres. Il est difficile d’avoir une réponse nette sur un problème complexe. Certaines indiquent que quand elles auront vingt ans, elles l’enlèveront, mais qu’elles souhaitent le garder avant leur mariage pour se protéger.
Si nous légiférions, ne donnerions-nous pas l’impression - fausse bien entendu - que nous interférerions dans les problèmes internationaux ? A votre sens, y aura-t-il des interférences internationales qui n’iraient pas dans le sens que nous souhaitons donner à la politique mondiale ?
M. Dalil BOUBAKEUR : C’est très important, M. le ministre.
Dans les cités, je vous répondrai que nul n’interdira quiconque de porter un sari, un voile. Le problème posé est celui de l’école.
M. Robert PANDRAUD : L’école est mixte.
M. Dalil BOUBAKEUR : Nous ne demandons aux filles d’enlever leur foulard qu’à l’école, pas dans la rue.
M. le Président : Bien sûr.
M. Dalil BOUBAKEUR : Nous ne demandons d’enlever le voile qu’à l’entrée de l’école ou, au minimum, à l’entrée en classe. C’est un minimum qui n’est pas ségrégatif. Il faut éviter ce que les Allemands appellent une « démarcation culturelle » à l’intérieur de la classe.
M. Robert PANDRAUD : Etes-vous pour la mixité dans les écoles ? Ce n’est pas là un principe laïque.
M. Dalil BOUBAKEUR : De mon temps, la mixité n’était en vigueur qu’à l’université.
M. le Président : Nous n’allons pas remettre en cause la mixité de l’école publique !
M. Dalil BOUBAKEUR : Le malheur de l’islam est de trop féminiser la femme, de ne voir dans la femme qu’un être faible. Je m’excuse, mais la femme est surtout un être humain au sens fort, si j’ose dire ! Lui attribuer tous les péchés du monde, non ! Les principes d’évolution ont commencé avec le Tanzimat au XIXème siècle et la nahda du XXème siècle. Dans les pays musulmans, ils ont permis aux femmes de prendre de plus en plus part à la vie sociale, scientifique, etc.
M. Jean-Yves HUGON : A la suite du Président et de M. Périssol, j’avais perçu dans vos propos une sorte de contradiction qui s’est estompée au fil de vos déclarations. Je comprends mieux maintenant.
Pensez-vous qu’il y ait aujourd’hui chez les fondamentalistes une volonté de tester la République ?
Que répondez-vous à ceux qui prétendent qu’en interdisant le port du voile, on interdirait l’accès au savoir à ces jeunes filles ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Ce serait faux. La demande de scolarisation des filles musulmanes a été l’une des toutes premières revendications du mouvement féministe de l’islam, illustré par les combats de Houda Sharawi, de Qasim Amine et tant d’autres, comme Tahtaoui en Tunisie. La scolarité est obligatoire. Nous sommes confrontés à deux problèmes : une conviction et l’obligation de scolarisation qui trouverait une solution dans les écoles privées en cas de refus de l’école publique ; or, il n’est pas souhaitable d’augmenter le nombre d’écoles musulmanes ou confessionnelles.
Qu’on le veuille ou non, le foulard est un signe de communautarisme et l’accepter c’est accepter une différence, c’est favoriser les regroupements, c’est favoriser le communautarisme comme en Angleterre. Cela violerait un deuxième principe, celui de la République. Notre République vit sur un principe d’intégration des individus et de non-reconnaissance des communautés, bref du « vivre ensemble ».
J’ai défendu cette vision de la France quand M. Debré était ministre. Je m’étais alors rendu en Malaisie avec l’autorisation et l’appui des Affaires étrangères où les produits français étaient boycottés au prétexte que la France interdisait le foulard et qu’elle était, de ce fait, suspectée d’être anti-musulmane. J’ai expliqué et répété que la France est le pays des droits de l’homme, des libertés et de la non-ségrégation, que tout le monde peut porter le foulard en France, sauf à l’école qui présente un cas particulier. L’histoire de notre pays est ainsi faite. Au surplus, la majorité des musulmans est de sensibilité laïque et reste indifférente au problème du voile. L’écrasante majorité de nos filles n’est pas concernée.
La solution passerait donc par la loi. A mon avis, c’est le dernier recours quand on a utilisé tous les autres. Nous sommes face à une opinion publique française qui, sur ce sujet, risque de se déchaîner. N’avons-nous pas encore un petit peu de marge de manœuvre avant d’utiliser cette arme absolue ?
M. le Président : Nous avons des marges de manœuvre, mais vous le précisiez vous-même : mieux vaut aujourd’hui que dans cinq ans. Cette phrase sonne dans ma tête comme un gong.
Mme Martine DAVID : Il eût été préférable d’intervenir en 1989 !
Mme Martine AURILLAC : Je ne suis pas tout à fait de l’avis de M. Hugon. La relative contradiction qui émaillait le début de vos propos ne s’est pas totalement estompée. Nous sommes tous d’accord sur le diagnostic, mais je ne vois guère la thérapie que vous souhaitez, ou plutôt, je vois la marque d’une très grande tolérance mais aussi le souci de ne pas compliquer la situation.
Le facteur temps présente un caractère ambigu, vous prônez la pédagogie mais celle-ci prend du temps et vous dites aussi qu’il est trop tard. Etes-vous alors très favorable à une loi immédiate ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Comment vous dire non, chère madame ! Mais réfrénons nos envies. Il convient de parler en termes de responsabilité plus qu’en termes de velléités ou de volontarisme. Où en sommes-nous ? Depuis des années, je suis aux prises avec les problèmes de l’islam en France. L’introduction insidieuse des fondamentalistes est ancienne ; j’ai vu le premier bureau de la Ligue islamique se constituer dans les années 75-76 avec l’aval des autorités. La ligue islamique mondiale s’est installée en France avec le soutien de l’Arabie ; or l’Arabie est un Etat considérable du point de vue politique, financier, pétrolier, militaire, etc. Que peuvent faire les libéraux qui hurlent contre le wahhabisme, forme anachronique, rétrograde et inacceptable ? On tue des gens, on décapite ou coupe des mains, on pratique l’esclavage, on épouse des petites filles de huit ans ! Moyennant quoi, ces gens ont pignon sur rue et signent des traités internationaux et de beaux livres sur les droits de l’homme, ils financent des congrès sur la tolérance et finiront par être dépassés par d’autres plus extrémistes qu’eux !
La réalité est telle que je crains pour la France une stigmatisation, une désignation du doigt. Car ces gens sont puissants et sont partout : en Europe, en Amérique, en Angleterre, pour ne parler que des pays occidentaux. Mon souci est de préserver un pays que j’aime, ses lois, sa structure, sa laïcité contre un tollé. Nous avons à faire face à un rapport de forces qu’il faut évaluer. Sommes-nous sûrs que notre opinion est pour une loi ferme ? Nous aurons la presse contre nous.
M. le Président : Je vous entends. Toutefois, les grandes lois n’ont-elles pas été faites par des législateurs courageux ? Nous avons tous conscience des difficultés mais il y a un moment où il faut réagir, sinon nous nous faisons complices d’une désagrégation de l’Etat.
Mme Michèle TABAROT : Ne pensez-vous pas que c’est là un premier signe fort vis-à-vis des fondamentalistes ? Après le 11 septembre, vous espériez une réaction et une prise de conscience. A partir de ce premier texte, nous pourrions déjà émettre un signe fort sur la volonté de la République.
M. Dalil BOUBAKEUR : Je serai le premier à le défendre. En filigrane, mon vœu est que nous arrêtions cette mascarade religieuse qui s’étend artificiellement sur le monde de l’islam et qu’enfin une réflexion en France rejoigne le rationalisme.
M. Éric RAOULT : Nous avons de la chance d’avoir quelqu’un comme M. Dalil Boubakeur à la tête du CFCM. Il nous faut l’aider pour que les musulmans s’aident eux-mêmes.
L’opinion française croit qu’avec une loi, il y aura moins de voiles à l’école et dans la rue. L’ambiguïté est là. N’est-il pas possible de faire porter le message selon lequel on peut porter le voile dans la rue et pas à l’école ? Il faut aider le recteur, mais il faut aussi que les musulmans fassent passer ce message à l’intérieur du comité.
Pour reprendre votre thème, M. le recteur, pouvons-nous convaincre plutôt que contraindre et, à côté de la loi, peut-il y avoir une information dans la communauté en train de se construire ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Le CFCM s’est réuni à partir d’un problème de voile posé à Lyon. L’ensemble du comité est monté au créneau et seules deux voix sur une trentaine ont considéré que le voile n’était guère important.
Un problème ainsi posé risque de faire éclater le conseil. Voilà pourquoi, parce que nous avons voulu maintenir le conseil dans sa forme actuelle, nous n’avons pas voulu avec le ministre aborder le fond du problème. Mais je connais la position des principales organisations du conseil, à savoir le FNMF et l’UOIF. M. le ministre Sarkozy est simplement venu rappeler qu’il fallait enlever le voile pour la photo sur la carte d’identité, et ce faisant il a soulevé un tollé ! De là, le problème du voile s’est à nouveau posé - et avec quelle virulence ! -, parce que l’on assiste à la notoriété, à la « notabilisation » d’organisations, qui ne savaient pas jusqu’alors ce qu’elles représentaient. Elles représentent un terrain majoritaire de par les critères que l’on a mis en place. Je me lamente terriblement d’une évolution dont je suis la première victime.
M. le Président : Si jamais nous interdisions le port de signes religieux à l’école publique, faudrait-il étendre cette interdiction aux écoles privées sous contrat ?
M. Dalil BOUBAKEUR : Si elles reçoivent de l’argent de l’Etat, ce dernier est tout à fait en droit de le demander.
M. le Président : Monsieur le recteur, je vous remercie.
Source : Assemblée nationale française
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