Parmi les arguments entendus qui réfutent la nécessité d’une intervention législative figure l’idée qu’une telle loi serait prohibitive et répressive. Mais il est au contraire apparu que la loi pourrait avoir un caractère libérateur, notamment pour les élèves musulmanes qui sont opposées au port du voile et qui considèrent que leur identité ne se réduit pas à une appartenance religieuse.

Un autre argument favorable au statu quo consiste à dire que l’interdiction du port de signes religieux ou politiques à l’école publique rejetterait les enfants de familles croyantes vers les écoles confessionnelles. Cette crainte semble peu convaincante lorsque l’on constate qu’à l’heure actuelle, les écoles privées croulent déjà sous les demandes d’inscription motivées par les tensions et les conflits divers apparus dans les écoles publiques. M. Shmuel Trigano69, sociologue, a, notamment, évoqué ce problème en disant que l’afflux des demandes d’admission dans les écoles juives, non seulement d’élèves mais d’enseignants, ne correspond pas à un choix positif mais à un choix de sécurité.

Quant au foulard islamique, la mission a observé que s’il peut avoir une signification religieuse pour celles qui le portent, il a également bien d’autres motivations, notamment psychologiques, culturelles et politiques.

On citera Mme Françoise Gaspard, entendue par la mission2 : « En effet, il n’y a pas un seul voile mais plusieurs : le voile de l’émigrée, qui ne gêne personne ; le voile contraint de certaines petites filles qui le portent ne serait-ce que pour aller jusqu’à l’entrée de l’école ; le voile revendiqué ; le voile de protection, qui protège de la violence des garçons. (...) Par ailleurs, dans la société française, on le constate, il y a des foulards qui vont et viennent, correspondant à des périodes de tension politique, nationale ou internationale ; les foulards avancent, puis dès que le climat se détend, ils reculent - par exemple, les femmes portent plus le foulard pendant le ramadan qu’à d’autres périodes ».

M. Bruno Etienne, directeur de l’observatoire du religieux à l’IEP d’Aix-en-Provence, a, par exemple, déclaré à la mission70 que le port du foulard est négociable, parce qu’il ne s’agit pas d’une obligation canonique. Il est lié aussi à la conception de la pudeur et les enquêtes réalisées mettent surtout en valeur la dimension identitaire du port du foulard, à savoir la recherche de reconnaissance.

Le port du voile relève de stratégies hostiles à l’intégration et il n’est pas sans intérêt de ce point de vue de rappeler, comme l’ont fait différents interlocuteurs, que ces coiffures et tenues sont apparues au moment même où, en France, les jeunes filles de familles maghrébines remportaient de plus grands succès que leurs frères dans leur scolarité et que grâce à l’école, elles s’intégraient réellement, sans grands problèmes. C’est en effet précisément dans ce contexte de rentrée scolaire qu’en 1989 « l’affaire de Creil » a ouvert la polémique et déclenché le trouble dans l’opinion française.

1.- Le port du voile et la quête d’identité

Outre que le port du voile n’a pas le même sens à 10 ans, à 13 ans, à 16 ou 20 ans, il résulte de tous les témoignages qu’il est largement polysémique.

Le problème de recherche d’identité et de valorisation de l’image de soi de tous ces jeunes garçons et filles tentés par des comportements de repli identitaire est apparu d’autant plus préoccupant à la mission, qu’ils sont français à 95 %, scolarisés à l’école publique depuis leur plus jeune âge et n’ont pourtant pas l’impression d’habiter en France.

Le sentiment d’appartenance à la « vraie » culture musulmane correspond à une recherche de valorisation à travers une identité d’origine passablement mythifiée. Le discours des responsables islamistes consiste bien souvent à dévaloriser les pratiques religieuses discrètes et modérées des parents dénoncés comme analphabètes et ignorants. Le phénomène de destruction identitaire chez les jeunes provient très souvent de cette disqualification des parents propagée par les courants islamistes.

Mme Chérifi71, médiatrice nationale du voile, explique que de nombreux jeunes d’origine immigrée qui n’adhèrent ni à l’islam des parents ni à la culture de la société française, pensent avoir trouvé une identité islamique de substitution.

La grande majorité des personnalités entendues par la mission ont considéré que la revendication des jeunes filles qui portent un voile est plus identitaire que religieuse. D’ailleurs, aucun des représentants de la religion musulmane auditionnés, n’a considéré le port du foulard par les femmes comme une obligation religieuse impérative. De son côté, Mme Chérifi a été catégorique en disant : « Le voile n’est pas un signe religieux, il n’y a pas de signes religieux dans l’islam ».

Mme Dounia Bouzar72, chargée de la mission « islam et action sociale » à la protection judiciaire de la jeunesse, a fourni une explication particulière en parlant du « mythe de l’âge d’or » de l’islam. Les jeunes d’origine musulmane ont de plus en plus tendance à penser que l’islam a été précurseur, ce qui entraîne une « sublimation des textes et renforce une vision apologétique qui conduit certains à dire que le Prophète était féministe avant l’heure et à chercher qui, le premier, a défendu telle ou telle valeur ».

Ce qui ressort majoritairement de toutes les auditions réalisées sur le sens du port du foulard, c’est d’une part, une profonde ignorance des élèves musulmans, comme des autres, des fondements de leur propre religion, et des religions en général, et d’autre part, pour les jeunes musulmanes, le désir de faire reconnaître par la société française une religion trop ignorée et trop invisible.

Par ailleurs, le fait de se manifester comme appartenant à une confession peut en fait tenir lieu d’identité, à un moment donné de l’évolution de la personnalité.

Les adolescentes, parfois très jeunes, concernées par le port d’un foulard sont tiraillées entre de multiples contradictions. Celles liées à leur âge, celles liées à leur environnement familial et social et celles découlant de leurs obligations scolaires.

La mission a souvent eu le sentiment qu’un interdit clair et précis pourrait être ressenti comme un soulagement, car, comme l’a souligné Mme Wassila Tamzali73, présidente du forum des femmes de la Méditerranée-Algérie, le voile est un obstacle à l’égalité des chances entre les filles et les garçons.

Ainsi, le port de signes religieux privilégie, et parfois même réduit, l’identification de soi à la composante religieuse, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il constitue, dans l’espace scolaire, une atteinte à la laïcité.

2.- Le port du voile, la ghettoïsation et la montée de la violence

M. Dominique Borne, doyen de l’inspection générale de l’éducation nationale, et M. Yvon Robert, chef de service de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, ont été chargé d’une mission de réflexion sur l’idée républicaine, la laïcité et la lutte contre le communautarise. Auditionné par la mission74, M. Borne a indiqué que lorsqu’il y a croissance du nombre de jeunes filles portant le voile au sein d’établissements scolaires, elle se situe dans des lieux très particuliers, ghettoïsés, proches de cités où la non mixité sociale entraîne des problèmes forts dans les collèges et les lycées.

Beaucoup de témoignages relèvent une montée de la violence des garçons à l’égard des filles et celles-ci expliquent que le port du voile est une protection contre les comportements masculins agressifs et sexistes dans certains quartiers. Le voile et l’appartenance communautaire serviraient ainsi de bouclier protecteur.

Mme Françoise Gaspard75, co-auteur de l’ouvrage « Les foulards de la République », fait également ce constat et aborde un autre aspect du phénomène de ghettoïsation en observant que les problèmes naissent souvent dans les établissements situés dans des quartiers socialement difficiles, où il y a une très forte rotation des enseignants et où ces derniers arrivent le matin pour repartir le soir. Ils n’ont, par conséquent, aucun lien avec le quartier, ils ne rencontrent pas les familles comme c’était, explique Mme Gaspard, « le cas de mon temps quand le professeur de mathématiques s’inquiétait auprès de ma mère, sur le marché, de l’évolution de mes études ».

Mme Fadela Amara76, présidente de l’association « Ni putes ni soumises » a expliqué à la mission que des mouvements intégristes contribuent fortement à ce que les jeunes filles des cités portent le voile, souvent sans l’assentiment des parents mais avec le renfort des grands frères qui, depuis les années 90, se substituent aux pères et imposent leur autorité. Selon elle, les dérives des ghettos sont un véritable terreau qui nourrit toutes les formes d’intégrisme, qui renforce le sentiment d’injustice et d’exclusion perçu dans les cités et qui empêche une partie de la jeunesse de s’inscrire notamment dans ce que l’on appelle « le sentiment d’appartenance à la nation ».

Enfin la mission a entendu avec émotion le témoignage de Mlle Kaïna Benziane77, sœur de Sohane Benziane, morte brûlée vive au pied de la tour où elle vivait à Vitry-sur-Seine, le 25 mars 2002. Lors de la reconstitution des faits, des applaudissements ont accueilli la sortie de la fourgonnette de police du petit « caïd » de 19 ans, suspecté d’avoir aspergé Sohane d’essence.

Melle Benziane a indiqué que de plus en plus de jeunes filles avec lesquelles elle a grandi se tournent vers le voile, non pas par conviction religieuse, mais pour se protéger ou montrer qu’elles sont les « vraies femmes musulmanes ». En effet, pour bon nombre de garçons, une femme est avant tout une musulmane. Pour eux, quels que soient leur pays, leur civilisation ou leur culture, les femmes doivent porter le voile. Elle a précisé qu’elle est musulmane et fière de l’être, mais que cela ne suffit pas à constituer sa personnalité, contrairement à certains qui considèrent qu’être musulman est la seule composante d’un individu. Elle a ajouté « Je ne veux plus entendre ce que me disent certains garçons à chaque fois que je les rencontre, à savoir que si ma soeur avait choisi son statut de jeune fille musulmane et avait porté le voile, elle ne serait pas morte ».

3.- Le port du voile et le statut des femmes dans la société

Certaines jeunes filles affirment que le port du voile constitue pour elles une forme d’émancipation et de liberté.

Pourtant, beaucoup d’interlocuteurs de la mission, et surtout des femmes, ont affirmé que le conditionnement social des femmes et leur enfermement dans un statut d’infériorité par rapport aux hommes est à la base de l’exigence ou de la « recommandation » du port du voile formulée par certains prédicateurs. Nombreux sont ceux qui pensent qu’imposer le voile aux petites filles à l’école est un obstacle à l’égalité des chances.

Par exemple, M. Patrick Gonthier78, de l’UNSA-Education, considère que « l’institution scolaire se doit de rester neutre et laïque, la manifestation des convictions religieuses de quelques-uns pouvant aussi porter atteinte aux droits et libertés d’autres. Ainsi, certaines jeunes filles disent ne plus pouvoir supporter d’être considérées, dans l’école, comme l’antithèse de celles qui portent le foulard. La liberté des uns ne peut ni porter atteinte à celle d’autres, ni à la mixité et à l’égalité de tous ».

Comme toutes les formes d’endoctrinement, il s’agit de faire un détour par une référence valorisante à la religion et à la pudeur, afin que les femmes s’approprient cet instrument de leur propre aliénation.

Leur parcours scolaire peut en subir de graves conséquences hypothéquant leur avenir social et surtout, les femmes qui persistent dans leur volonté de porter le voile s’interdisent toute possibilité d’accéder à la fonction publique où il est clairement interdit. Si l’objectif proclamé des partisans du voile n’est pas de maintenir les femmes dans un statut social d’infériorité, c’est en tout cas le résultat qui est obtenu.

Mme Chérifi79 a rappelé que, pour les fondamentalistes, la société devrait être gérée en séparant les hommes et les femmes. Pour que cette séparation, au nom de la préservation de la pudeur des femmes, soit effective, il faut, si l’on ne peut pas la mettre en pratique comme dans les pays qui appliquent la charia, trouver d’autres formes de séparation. Le voile est une forme de négation de la mixité dans la société.

Mme Annie Sugier80, présidente de la Ligue internationale des droits de la femme, considère que le port du voile est à la fois un signe religieux et un signe de ségrégation envers les femmes. Pour les fondamentalistes, la femme serait, par sa sexualité, source de désordre social. Si elle sort de la maison, elle doit être couverte. Mme Sugier a cité le sport comme exemple du mécanisme de l’exclusion des femmes par le voile. Dans les pays où le port du voile est obligatoire, aucune femme ne participe aux compétitions sportives, notamment aux Jeux olympiques. On retrouve le même phénomène avec l’exclusion des élèves des piscines et des terrains de sport.

Votre Président rappelle, à ce sujet, qu’une question a été posée (le 4 novembre 2003) par notre collègue M. Damien Meslot, au ministre des sports, sur la montée du communautarisme et des dérives qui frappent aujourd’hui certains milieux associatifs et sportifs, avec notamment les pratiques ségrégatives dans les piscines et les gymnases. M. Jean-François Lamour a répondu en confirmant que certains clubs sportifs sont devenus des lieux de repli identitaire et communautaire, voire de prosélytisme et qu’un groupe de travail a été mis en place pour mieux décrire les mécanismes qui empêchent les jeunes femmes d’intégrer les clubs sportifs et aider les dirigeants bénévoles et les élus à mieux comprendre ces mécanismes et à trouver des solutions.

Toutes ces analyses ont été confirmées par M. Slimane Zeghidour81 journaliste, auteur de l’ouvrage « Le voile et la bannière », qui a dénoncé l’aspect aliénant du voile, lequel est pour le moins, l’une des expressions de l’infériorité juridique de la femme, inscrite dans les textes coraniques comme dans les textes du talmud.

4.- D’autres signes d’appartenance religieuse expriment également un repli identitaire

Le port de la kippa dans les établissements scolaires semble mieux toléré que le voile par les enseignants, mais surtout il est beaucoup moins fréquent dans les écoles publiques en raison de l’existence d’un nombre non négligeable d’écoles juives sous contrat où ce port est largement répandu. Pour autant, le port de la kippa pose les mêmes problèmes que les autres signes religieux ou politiques du point de vue du respect de la laïcité.

M. Olivier Minne82, proviseur du lycée Bergson à Paris, a abordé le port de la kippa en soulignant qu’il ne pose généralement pas de problème dans son établissement, sauf en période d’examens. En ces occasions, il arrive qu’un élève, voire un correcteur, appartenant à un établissement privé de confession israélite, tente d’imposer à son jury le port de la kippa. M. Olivier Minne a relaté que « le 14 mai, un candidat de section professionnelle passant des épreuves d’éducation physique et sportive (EPS) a refusé d’ôter sa kippa malgré la pression forte du jury et de mon adjoint qui gérait le centre d’examen. Il nous a fallu consulter le Service interacadémique des examens et concours (SIEC). Il a été considéré que le règlement intérieur de l’établissement n’était pas opposable en la circonstance, parce que l’examen se passait sous l’autorité du SIEC et non sous celle du chef d’établissement et, qu’au nom du principe d’égalité, l’élève devait être a admis à passer les épreuves, ce qui s’est passé sans encombre ».

Mme Chérifi83 a, par ailleurs, fait état de différentes sortes de manifestations identitaires qui tendent à remettre en cause le fonctionnement laïque de l’école. Elle a constaté la montée du problème du port de la barbe, comme signe d’appartenance religieuse, par les jeunes gens. Par référence au Prophète des garçons arrivent avec des djellabas ou des calottes. D’autres refusent de s’asseoir à côté d’une jeune fille. Certains adultes, des pères ou des grands frères, refusent de serrer la main de la chef d’établissement parce qu’elle est une femme. On voit également des jeunes filles arrivées le visage voilé aux examens.

A propos de la croix catholique à l’école, Mme Linda Weil-Curiel84, avocate de la Ligue internationale des droit de la femme, répondant à une question a indiqué qu’elle doit être interdite si elle est ostentatoire c’est-à-dire si elle est se voit à l’extérieur ou est agressive. Elle a complété sa réponse dans les termes suivants : « Puisque le voile, le foulard, la calotte, la barbe des musulmans ou les bouclettes des juifs orthodoxes expriment une appartenance religieuse qui n’échappe pas aux regards, il est nécessaire de les interdire indistinctement à l’école ».


Source : Assemblée nationale française