1.- Le régime juridique de l’exercice d’une liberté : une compétence du législateur

L’intervention du législateur est justifiée sur le plan juridique et nécessaire sur le plan des principes.

Le régime juridique de l’exercice d’une liberté fondamentale relève de la compétence du législateur. En effet, en vertu de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Par conséquent, l’encadrement juridique du port de signes religieux relève bien de la compétence du législateur. Celle-ci résulte également de l’article 9 de la Convention européenne des droits et de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.

A titre d’exemple, une position analogue a été retenue par le juge constitutionnel allemand. La compétence exclusive du législateur pour encadrer le port de signes religieux à l’école a ainsi été récemment rappelée par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe dans une décision du 24 septembre 2003. Dans une affaire concernant le port de signes religieux par une enseignante, la Cour a affirmé qu’il « n’incombe pas à l’exécutif de donner une réponse à des phénomènes de société en pleine mutation, c’est au législateur qui jouit de la légitimité démocratique de fournir la réglementation nécessaire. » L’éducation étant du ressort des Länder, elle a conclu que c’est au pouvoir législatif des Länder qu’il appartient de décider s’il convient, ou non, d’interdire le port du foulard.

La publication d’une nouvelle circulaire visant à préciser le cadre juridique existant, comme cela est proposé par ceux qui sont hostiles au recours à la loi, ne serait donc pas suffisante : ou bien elle reprendrait la lettre de la jurisprudence du Conseil d’État et serait considérée comme purement interprétative et dépourvue de valeur normative, ou bien elle se montrerait plus restrictive sur la liberté de porter des signes religieux à l’école, et risquerait la censure du Conseil d’État.

De même, inscrire dans la loi, une disposition obligatoire, devant figurer dans les règlements des établissements scolaires et imposant que les élèves ne se présentent pas dans l’enceinte de l’établissement la tête couverte, ne semble pas pleinement satisfaisant car le règlement du problème resterait local. De plus, cette disposition risquerait de provoquer des discriminations entre les différents signes d’appartenance religieuse.

Surtout, l’intervention du législateur est nécessaire pour permettre une réaffirmation politique et symbolique du principe de laïcité à l’école.

L’école n’est plus un milieu protégé. Elle apparaît de plus en plus comme un lieu d’expression de toutes les difficultés de notre société : incivilités, violence, discriminations, prosélytismes, ce qui n’est pas son rôle.

A l’issue de ces auditions, votre Président a acquis la conviction, partagée par tous les membres de la mission, qu’il est impératif d’agir rapidement en interdisant le port des signes religieux et politiques à l’école. La plupart des membres de la mission ont le sentiment que le silence du législateur, ses hésitations, ses divisions sur ce sujet seront interprétés par une large part de l’opinion comme un aveu de faiblesse et un signe d’impuissance qui ne fera qu’accentuer l’attractivité des thèses extrémistes et les dérives communautaristes.

La question de la laïcité dépasse le cadre de l’école car, si celle-ci est aujourd’hui en première ligne en matière de laïcité à cause de son rôle spécifique de formation des citoyens, et s’il convient donc d’agir de façon symbolique sur cet aspect primordial du problème, celui-ci s’étend maintenant à d’autres secteurs, tels que les services publics, mais également le monde des entreprises.

2.- L’interdiction du port « visible » de signes religieux et politiques dans les établissements scolaires

L’intervention du législateur apparaît nécessaire pour définir un cadre juridique permettant une application cohérente du principe de laïcité dans les établissements scolaires. Celle-ci marquera la volonté de la représentation nationale d’affirmer que l’école est une communauté spécifique où les principes de neutralité et de laïcité doivent être garantis.

Dans ce but, il est proposé d’introduire une disposition législative, brève, simple, claire, le moins possible sujette à interprétation, posant le principe de l’interdiction du port visible de tout signe religieux et politique dans l’enceinte des établissements scolaires.

Dans l’espace scolaire, la liberté d’expression reconnue aux élèves par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 (article L. 511-2 du code de l’éducation) doit, en effet, trouver ses limites dans le respect du pluralisme et du bon fonctionnement des activités d’enseignement et les limites de cette liberté, au regard du bon fonctionnement du service public, doivent être précisées.

L’interdiction du port « visible » des signes religieux et politiques dans les établissements scolaires signifie que ne seraient plus seulement prohibés les signes « ostentatoires », dont il était, jusqu’à présent, très difficile de circonscrire le périmètre, mais tout signe que l’œil peut voir.

Après de nombreux débats - et sensibles aux difficultés résultant du régime juridique en vigueur, telles qu’elles ont été précédemment développées -, les membres de la mission ont considéré qu’il fallait non seulement réaffirmer le principe de laïcité dans la loi mais également trouver un critère objectif, qui ne maintienne pas les incertitudes actuelles liées au caractère « ostentatoire » de certains signes religieux.

Par la solution retenue, les membres de la mission ont également souhaité éviter tout critère susceptible de provoquer des discriminations entre signes religieux.

Le qualificatif de « visible », parfaitement objectif, permettra une application plus aisée de la règle par les chefs d’établissement, sans pour autant exclure le port de signes, dès lors qu’ils ne sont pas apparents. Il écarte également toute distinction entre les différents signes religieux.

L’extension de cette interdiction au port des signes politiques répond, par ailleurs, au souci, d’une part, de prendre en compte le fait que le port de signes religieux peut parfois revêtir une signification politique, comme on l’a vu, et d’autre part, de viser d’autres comportements également perturbateurs et contraires à la neutralité de l’espace scolaire. De plus, il est apparu nécessaire d’interdire tout port de signes religieux qui constitue une atteinte aux droits de la femme, et qui révèle, dès lors, une certaine conception politique de la place de la femme dans la société.

L’interdiction est destinée à s’appliquer dans l’« enceinte » des établissements, c’est-à-dire dans tout l’espace scolaire, sans distinction de zones. Cette question a fait l’objet de discussions au sein de la mission, certains témoins ayant envisagé d’établir une distinction entre la salle de classe, où tout port de signes religieux aurait été interdit et d’autres zones comme la cour, où il aurait été autorisé.

La mission a considéré qu’on ne peut faire de distinctions entre la salle de classe et les autres espaces de l’école lorsque est en cause la neutralité de l’espace scolaire. Par ailleurs, une interdiction à l’ensemble de l’établissement - règle simple et claire - est nécessaire pour permettre une application plus aisée par les chefs d’établissement.


Source : Assemblée nationale française