1.- Lutter contre l’image négative de l’islam et favoriser la construction de lieux de culte musulman

Beaucoup de musulmans déplorent que l’islam focalise aujourd’hui la réflexion sur la place des religions dans la société. On doit admettre que cette religion est souvent associée, dans les médias, à une image dévalorisante et que l’obligation de traiter également tous les cultes n’est pas pleinement respectée l’Etat.

M. Yvon Robert68, chef du service de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale, a été très explicite sur ce point en observant qu’on ne pourra résoudre les problèmes de l’école, avec ou sans loi, que si l’on progresse sur la question de la construction des lieux de culte musulmans. Certains membres de la mission ont fait la même remarque.

Si la religion musulmane avait les moyens d’occuper sereinement une place valorisante au sein de la société, les courants fondamentalistes et traditionalistes seraient privés du discours sur le thème de la victimisation des musulmans en France. Leur tentative d’imposer un statut personnel des musulmans aurait ainsi moins de poids.

On notera que certains organismes, comme la Ligue de l’enseignement, proposent la création d’une fondation d’utilité publique destinée à la construction des mosquées comptant trois membres désignés par les ministères pour assurer la transparence des fonds.

2.- Des aumôneries pour toutes les religions ?

On rappellera que, conformément à l’article L.141-2 alinéa 2 du code de l’Education, l’Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse.

Par ailleurs, l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, qui n’est pas intégré au code de l’Education, prévoit que peuvent être inscrites aux budget de l’État et des collectivités locales, les dépenses relatives aux services d’aumônerie pour assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels que les collèges, les lycées et les écoles.

Le ministère de l’éducation nationale est autorisé à prendre toutes mesures utiles pour assurer le libre exercice des cultes au sein d’une cité scolaire, dès lors que ni la liberté de conscience, ni l’intérêt de l’ordre public n’y font obstacle et que les dépenses correspondantes n’excèdent pas celles visées à l’article 2 de la loi de séparation des Eglises et de l’État.

Le Conseil d’État a ainsi admis69 que soit inclus dans un programme de construction scolaire, sur un terrain cédé par la ville, l’édification d’un local cultuel construit aux frais d’une association de soutien aux aumôneries.

La circulaire n°88-112 du 22 avril 1988 a précisé l’ensemble des conditions de fonctionnement des aumôneries qui peuvent être créées à la demande des parents ou des élèves et qui sont de droit dans les internats. Dans les externats il appartient au recteur de décider, après avis du conseil d’administration, de la création et des modalités de fonctionnement à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement. Si elle est créée à l’intérieur de l’établissement, un local doit lui être fourni. La circulaire précise qu’il appartient à l’établissement de concilier le respect du principe de liberté religieuse et notamment le droit de participer au culte un jour par semaine et le respect de l’obligation d’assiduité qui incombe aux élèves.

Plusieurs membres de la mission et certaines personnes auditionnées, se sont interrogés sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à favoriser la mise en place d’aumôneries pour toutes les religions, ou à l’inverse sur la nécessité de les supprimer toutes.

Ainsi, M. Michel Morineau70, membre de la commission « laïcité et islam » co-dirigée par la Ligue des droits de l’homme et le « Le monde diplomatique », s’est interrogé sur l’avenir des aumôneries en affirmant : « Nous n’avons pas encore trop de cas d’aumôneries musulmanes au sein de l’école publique, mais si cette loi interdisant le port de signes religieux devait voir le jour, comment contourner la difficulté pour qu’elle n’engage pas également l’interdiction des aumôneries ? »

A l’inverse, M. Faride Hamana1, secrétaire général de la FCPE, a déclaré en parlant des aumôneries de toute obédience : « Il faudra revoir la question des aumôneries. Si nous acceptons et tolérons l’existence de ce type « d’église » dans l’établissement, il faudra accepter d’autres cultes. Si l’on souhaite garantir la laïcité de l’école, toute manifestation de quelque culte que ce soit doit être bannie des établissements scolaires ».

Votre président n’écarte pas l’idée que, permettre, dans les conditions qui ont été rappelées, l’ouverture d’aumôneries pour toutes les religions, pourrait être de nature à conforter les Français de religion musulmane dans leur appartenance à la République et à convaincre que la laïcité ne signifie pas l’hostilité aux religions.

3.- Des écoles privées de confession musulmane ?

Depuis longtemps, la loi reconnaît le droit d’ouvrir une école primaire ou secondaire à toute personne française ou ressortissante d’un autre Etat membre de l’Union européenne âgée de 21 ans dans le premier cas et de 25 ans dans le second. Cette liberté fondamentale repose sur une simple déclaration préalable. Le pouvoir d’appréciation de l’administration pour s’opposer à l’ouverture d’une école porte sur le contrôle du respect des conditions limitativement énumérées par le code de l’Education. Elles sont relatives à l’hygiène et à la sécurité des locaux ainsi qu’à la moralité et aux diplômes des demandeurs. Les conditions d’ouverture d’un établissement d’enseignement privé technique sont du même ordre.

Après une durée minimale de fonctionnement de 5 ans une école privée du premier ou du second degré peut demander à passer avec l’Etat un contrat d’association d’enseignement, si elle répond à un besoin scolaire reconnu, conformément à l’article L. 442-5 du code de l’Education.

Il semble qu’il y ait assez peu de déclarations d’ouvertures d’écoles privées de confession musulmane. Il existe toutefois un exemple à Lille et la mission a tenu à auditionner les responsables de la création de ce lycée musulman.

Elle a donc entendu, M. Makhlouf Mameche71, directeur-ajoint du lycée musulman Averroès de Lille qui a ouvert ses portes à la rentrée 2003. M. Mameche a indiqué que ce lycée est une petite structure qui compte une seule classe de seconde avec 14 élèves. Son budget annuel est de l’ordre de 150 000 euros, financé par les adhérents de l’association musulmane Averroès qui a créé l’établissement. L’objectif est de solliciter un contrat d’association à l’issue des cinq années requises. M. Mameche a précisé qu’il a refusé d’inscrire des élèves qui ne le souhaitaient pas, malgré la demande pressante des parents.

M. Lasfar Amar, recteur de la mosquée de Lille, à l’origine du projet de ce lycée et président de l’association Averroès a également été entendu1. Pour lui, le lycée Averroès ne s’inscrit pas dans une logique d’alternative pour les filles qui désirent porter le voile. Ce lycée est seulement une expérience menée par la communauté musulmane du Nord, à l’issue d’une réflexion d’une dizaine d’années, pour se doter d’une telle institution, à l’instar des autres confessions. Avec cet établissement, l’objectif de la mosquée de Lille est d’aider la communauté musulmane à évoluer et d’accompagner sa mutation et ses transformations en vue de son intégration dans notre pays.

De son côté, M. Yvon Robert72, chef du service de l’inspection général de l’administration de l’éducation nationale, s’est déclaré favorable à l’ouverture d’établissements musulmans privés de second degré en France dont il a évalué le besoin à cinq environ, en disant : « Même si ces cinq établissements étaient des lieux très fondamentalistes, ce n’est pas cela qui mettrait en péril la République française ».

Pour autant, votre Président a constaté que parmi les arguments énumérés par les personnes hostiles à une modification législative sur le port de signes religieux à l’école, la crainte de voir se développer des écoles musulmanes pour accueillir les élèves voilées revient souvent.

Force est de constater que les opinions sont très divergentes sur l’opportunité de favoriser la création de ces écoles et que la réflexion doit être poursuivie.

4.- Améliorer l’enseignement de l’histoire des religions

Selon les propos de M. Bruno Etienne73, directeur de l’observatoire du religieux à l’IEP d’Aix-en-Provence, devant la mission : « toute progression dans la connaissance mutuelle marque une avancée dans la paix sociale ».

Les membres de la mission ont souligné unanimement l’intérêt d’une meilleure sensibilisation des enseignants et des élèves au fait religieux et surtout à l’histoire des religions.

Mais ils considèrent, à l’instar de M. Régis Debray dans son rapport sur « l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », qu’il ne faut pas promouvoir l’enseignement de l’histoire des religions dans le cadre d’une discipline spécifique. Tout d’abord parce que les programmes sont déjà surchargés et qu’une contrainte supplémentaire ne pourrait se faire qu’au détriment de la nouvelle matière. En second lieu et surtout, parce que cet enseignement ne doit pas devenir une affaire de spécialistes ou de théologiens mais doit apporter, dans les matières qui s’y prêtent, un éclairage particulier, afin d’aider les élèves à mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Comme l’ont fait remarquer plusieurs membres de la mission, en qualité d’anciens professeurs d’histoire, les religions et notamment l’islam ne sont pas absents aujourd’hui des programmes scolaires, notamment depuis la révision des programmes d’histoire et de français en 1996.

Il a été rappelé qu’en sixième, on enseigne les dieux de l’Egypte, la mythologie grecque et romaine, la naissance du christianisme ; en cinquième, l’islam.

Si les faits religieux ne sont pas absents des programmes, c’est beaucoup plus, semble-t-il, sur la façon d’inclure un aspect religieux dans une analyse que les difficultés apparaissent. Comment montrer que dans un poème de Victor Hugo ou dans un texte de Descartes, il peut y avoir une dimension sociale mais aussi une dimension religieuse ?

Il faut apprendre aux élèves à repérer l’influence des croyances, l’importance des symboles religieux dans l’art et le rôle des religions ou d’une religion dans le fonctionnement des sociétés. Les religions font partie du patrimoine de l’humanité et c’est en transmettant cela que l’on fera reculer certains préjugés qui considèrent qu’il faut appartenir à une culture pour pouvoir en parler. L’étude du statut social des femmes dans les diverses religions pourrait ainsi aider les élèves - garçons comme filles - à comprendre l’apport de la laïcité dans l’émancipation de celles-ci.

La démarche devrait être de même nature pour l’éducation civique, il ne faut pas en faire une discipline supplémentaire que les élèves vivent comme une surcharge, mais selon les propos de M. Jean-Paul de Gaudemar74, directeur de l’enseignement scolaire, instiller une culture de la citoyenneté tout au long de la vie scolaire et à travers les divers enseignements.

Il y a tout lieu également de penser qu’un retour sur le temps, à travers l’apprentissage d’une langue, d’un poème ou d’un territoire géographique, aiderait les élèves à sortir de la culture de l’instant, du direct et de la suprématie de l’image sur tout autre mode d’accès à la connaissance.

La formation des enseignants concernés est essentielle pour atteindre ces objectifs. Face à des questions qui touchent à l’identité profonde des élèves il est apparu, en effet, que les enseignants ne sont peut-être pas suffisamment armés pour réussir à dépassionner le sujet et même à le banaliser.

Certains proposent une évolution dans le fonctionnement des IUFM. Par exemple, le tutorat qui existe pour les stagiaires pourrait se prolonger après la titularisation, afin que les jeunes enseignants, souvent affectés en premier poste dans des établissements difficiles, ne soient pas livrés à eux-mêmes. L’enseignement de la pédagogie pourrait se faire en situation, sur le terrain, notamment en ce qui concerne la capacité à gérer la violence où l’indiscipline.

Les enseignants ne sont pas suffisamment préparés à aborder ces questions de même qu’ils sont souvent démunis pour transmettre les valeurs de la laïcité. Ces thèmes devraient être plus présents dans la formation des enseignants comme dans celle des chefs d’établissement.

M. Mohamed Arkoun75, spécialiste en islamologie, a regretté devant la mission, une certaine réticence, au nom de la laïcité, à aborder les questions religieuses : « La laïcité est une attitude fondamentalement intellectuelle devant le problème de la connaissance. D’abord connaître, tout connaître et comment connaître et ensuite comment enseigner ce que l’on connaît sans conditionner qui que ce soit : c’est cela la laïcité, ce n’est pas un combat contre quelque chose ».


Source : Assemblée nationale française