La constitution par les députés d’une mission d’information sur la question du port des signes religieux à l’école illustre l’importance et la vigueur du débat qui traverse la société française. Les députés du groupe UDF, qui défendent la laïcité comme pilier de la République, mais aussi comme élément déterminant de l’identité personnelle de chacun et de notre vie en société, entendent y apporter leur contribution.
La laïcité est d’abord une valeur qui fonde la République, depuis les débuts du régime républicain. Jules Ferry, dans sa lettre aux instituteurs, le 27 novembre 1883, il y a plus de deux siècles, ne disait pas autre chose. Pour nous, la laïcité permet la liberté de conscience, elle autorise que s’expriment les croyances et les opinions de chacun ; en ce sens, elle rend impossible l’exclusion et le rejet ; elle est donc la garantie, le socle constitutionnel, de la tolérance et du respect dans notre pays.
Ce principe laïque est le résultat d’un long combat. Aujourd’hui, la référence à l’islam de la population immigrée qui habite sur le territoire français pose la question de l’étendue exacte des obligations qui découlent du principe de laïcité. Le principe de laïcité reste d’actualité et nous ne sommes pas favorables à l’élaboration d’une loi.
Le premier élément que nous voulons affirmer, c’est que le voile islamique n’a pas sa place à l’école de la République, pour trois raisons.
Premièrement, le port du voile signifie que la loi de Dieu est supérieure à la loi des hommes, alors que, dans notre société, la loi, dans l’espace public, a un caractère éminemment séculier. Deuxièmement, le port du voile traduit que la femme a, selon le droit islamique, un statut différent du statut de l’homme - et un statut qui, à bien des égards, est inférieur. C’est fondamentalement contraire au principe de notre République.
Troisièmement, le voile a une signification dans l’ordre du désir : il dit qu’il revient à la femme de ne pas provoquer par la seule vue du corps, la seule vue de la chevelure. Faire porter le voile à une femme, c’est donc la considérer d’abord et uniquement comme un objet de désir.
Pour ces trois raisons, le port du foulard islamique ne représente pas uniquement l’expression d’une conviction religieuse, mais, par l’intermédiaire de cette conviction religieuse, il signifie une certaine conception dégradante de la femme, de la société et de l’humanité tout entière.
Nous défendons une conception libérale de la laïcité, selon laquelle toute expression religieuse mérite respect et aucune ne doit chercher à s’imposer aux autres, plutôt qu’une conception plus rigide selon laquelle ces expressions doivent rester strictement confinées à la sphère privée, sans aucune place dans la sphère publique. Faire respecter le principe de laïcité, à l’école, et même au-delà, est donc une nécessité. Mais, selon nous, cela ne passe pas par la voie législative.
En effet, depuis que la première « affaire » du foulard est apparue, à Creil en 1989, les établissements scolaires ont plus ou moins réussi à résoudre ces difficultés, par un dialogue entre les enseignants, les élèves et leurs familles. Il faut également rappeler l’action de la médiatrice de l’Education nationale chargée d’intervenir chaque fois qu’une difficulté était signalée. Surtout, la « circulaire Bayrou », en 1994, a permis de répondre aux interrogations de chefs d’établissements parfois désorientés par la jurisprudence, en recommandant la modification des règlements intérieurs des établissements sur la base d’une distinction entre « signes discrets » et « signes ostentatoires ».
Si cet équilibre subtil entre principe de laïcité et liberté de conscience a été rompu, c’est à l’évidence à cause de facteurs qui n’ont pas grand-chose à voir avec une contestation par les musulmans du principe de laïcité. En effet, entrent en jeu l’aggravation de la crise palestinienne et les luttes d’influence que se livrent, au sein de la communauté musulmane, les modernistes et les fondamentalistes. Opposer au communautarisme identitaire le rempart radical du laïcisme, serait une illusion, de même que, par nostalgie des grands combats anticléricaux de jadis, il serait dangereux de vouloir porter le fer contre une prétendue menace intégriste.
De plus, il ne faut pas oublier que la grande majorité des citoyens d’appartenance musulmane est laïque et refuse souvent d’être désignée par son appartenance culturelle ou même cultuelle.
Un argument juridique nous incite à écarter l’hypothèse d’une loi. De nombreux textes, à commencer par la Constitution, la Déclaration de 1789 et la Convention européenne des droits de l’homme, affirment la liberté de conscience et d’expression. Ainsi la Déclaration des droits de l’homme, dans son article 10, proclame-t-elle que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ». Par conséquent, une loi qui, au nom de la laïcité, interdirait strictement toute forme d’expression religieuse, pourrait être traduite devant les juridictions françaises et internationales qui veillent au respect de ces normes juridiques supérieures, et risquerait d’être censurée, déclarée anticonstitutionnelle, ou démentie par la Cour européenne des droits de l’homme. Ne serait-ce pas une honte pour le pays des droits de l’homme ?
Un argument politique nous incite également à ne pas vouloir légiférer sur ce sujet. Nous sommes convaincus qu’il est préférable que les valeurs de la République s’expriment par le dialogue en laissant à ceux qui viennent d’un autre univers culturel le temps de s’adapter et de s’intégrer, au lieu qu’une loi les impose, sans délais et sans discussion.
Les chefs d’établissement souhaitent-ils réellement ajouter à leurs obligations, nombreuses, celles de gardien de la laïcité ? Il serait faux de croire que ce sont eux qui espèrent une loi, puisqu’ils ont déjà le droit - et ils l’exercent - de prohiber tout signe religieux de nature à perturber les enseignements, en particulier le voile. C’est une bonne mesure, qui nous semble suffisante.
Une loi risque par ailleurs d’aller contre l’intégration, en enflammant une exigence d’écoles musulmanes, au risque d’isoler les jeunes filles musulmanes, alors que l’école publique les intègre. Il pourrait en aller de même chez des chrétiens intégristes et des juifs ultra-orthodoxes. Une loi risquerait surtout de contourner l’essentiel, qui est la difficulté véritable des populations arabes, musulmanes ou non, généralement très peu pratiquants, à s’intégrer en France. Le voile et son interdiction ne sont en réalité que les symptômes de l’échec de notre politique d’intégration : le problème n’est, dans le fond, pas tant religieux que culturel et économique.
Enfin, se pose la question des établissements privés sous contrat. Comment pourrait-on supprimer les signes religieux dans les écoles confessionnelles ? Faut-il considérer que les établissements privés sous contrat rendent un service public, puisqu’ils sont financés par l’Etat, de sorte que les enseignants et les élèves doivent respecter le principe de neutralité ? Les élèves de l’enseignement privé sous contrat ne pourraient-ils donc pas afficher leurs convictions religieuses ? Une loi sur la laïcité s’appliquerait-elle à tous les élèves, par souci d’équité envers les religions - dans la mesure où les musulmans n’ont pas encore d’écoles privées sous contrat -, ou bien serait-elle limitée à l’enseignement public ? Une autre difficulté surgit alors : que faire du régime spécifique des départements d’Alsace-Moselle ? Par conséquent, une loi sur les signes religieux dans les établissements scolaires poserait plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait.
Nous préconisons tout d’abord de dresser un bilan, afin de connaître, à l’unité près, la situation dans les établissements scolaires. Il est manifeste que très peu d’élèves affichent des symboles religieux dans les écoles. Un interdit ne ferait-il pas croître le nombre d’écolières voilées ?
Ensuite, il faut donner aux équipes pédagogiques le soutien dont elles ont besoin ; nous devons être fermes sur les principes, pour que les chefs d’établissement puissent être souples sur le terrain. Il est essentiel que le texte élaboré soit pratique, c’est-à-dire qu’il soit aisément applicable, pour que les équipes enseignantes ne soient pas désemparées.
Enfin, nous voulons privilégier le règlement plutôt que la loi : il suffirait de reprendre la circulaire Bayrou de 1994, au besoin en y faisant quelques ajouts. Il y était déjà indiqué que les signes ostentatoires étaient en eux-mêmes des actes de prosélytisme. On pourrait ajouter que certains d’entre eux contreviennent en eux-mêmes aux principes qui fondent l’école de la république.
Ainsi la question des signes religieux à l’école pourrait-elle être résolue par l’élaboration d’un code de la laïcité, qui reprendrait, sous une forme simplifiée et solennelle, tous les textes qui fondent l’architecture juridique de la laïcité dans notre pays. Nous excluons en tout cas toute modification de la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’État : ce serait prendre le risque d’ouvrir une nouvelle période de tensions et d’affrontements. Parce que cette loi a représenté un véritable choc dans la société, il ne faut pas toucher à cette loi, ce qui reviendrait à rouvrir l’abcès. Ces sujets sont toujours aussi passionnels, explosifs et brûlants qu’en 1905, et peut-être même qu’au temps des guerres de religion.
C’est dans le cadre de ce code que nous pourrons trouver des adaptations à la législation, mais qui doivent se limiter à des adaptations. Nous redoutons l’idée d’une loi, qui serait à la fois inutile et dangereuse : il s’agit d’un domaine explosif, qui demande de la réflexion et de la prudence. Le remède risque ainsi d’être pire que le mal.
Sur cette question des signes religieux, toute action doit, selon nous, faire référence à trois principes : le respect conjoint du principe de la laïcité et du principe de la liberté de conscience, le respect de toutes les communautés et le refus du communautarisme, l’affirmation de la non-discrimination et de la primauté de la loi dans l’espace public et notamment à l’école, tout en refusant autant l’intégrisme laïque que l’intégrisme islamiste. Ainsi pourrons-nous réaffirmer à la fois la mission de l’école républicaine, qui n’est pas d’exclure, mais d’intégrer, et le principe de laïcité conçu comme le fondement de notre société et de notre régime républicain.
Enfin, faut-il souligner qu’une fois de plus la France résiste mal à l’idée que par une loi on peut tout régler. Comme s’il suffisait de légiférer pour résoudre un problème. Une fois encore notre pays s’attaque aux conséquences d’un mal plutôt qu’à ses causes. Or c’est sur la cause qu’il faut concentrer toute notre énergie. Le « creuset républicain » est aujourd’hui un mot de tribune pour les hommes politiques en mal d’idées plus qu’une réalité. Il nous appartient de redonner à la France sa capacité d’intégration ; de redonner à chacun un espoir, une place, un horizon dans la société française. Alors la question du voile sera en voie d’être réglée.
Source : Assemblée nationale française
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter