(procès-verbal de la séance du jeudi 27 mars 2003)
Mme Marie-Noëlle DOMPÉ : Avant d’être avocat, j’ai été magistrat et j’ai travaillé pendant huit ans à la cob où j’ai dirigé le service juridique. À cette époque, M. Alain Viandier avait déjà réalisé pour la cob une étude sur la class action. Je comprends le medef. Si la class action doit être mise en place, il faut s’interroger sur les raisons qui commandent une telle réforme. Un actionnaire minoritaire, pour trouver des preuves, se heurte à d’importants problèmes. Mais il ne faut pas que cela soit une class action à l’américaine. Ce serait peut-être un remède à la pénalisation du droit des affaires. Il n’existe pas de juge d’instruction civil. Il faudrait pouvoir permettre au juge civil de mener une enquête : cette procédure n’est jamais utilisée. C’est regrettable, car cela pourrait être utile. Les juges d’instruction mettent des années à enquêter. Il est certain qu’il faut poser des limites à la pénalisation à outrance des affaires à laquelle sont contraints des actionnaires minoritaires pour obtenir réparation de leur préjudice.
Il faut définir quelles associations représentatives pourraient agir au nom des actionnaires minoritaires, sur le modèle, par exemple, des associations d’investisseurs agréées par la cob après avis de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (dgccrf). Il existe très peu d’associations de ce type aujourd’hui. L’adam n’est pas une association agréée ; elle possède seulement une action de chaque société cotée qui lui ouvre le droit à agir. Il faut définir les cas dans lesquels une class action pourrait intervenir et définir ce qui protégerait le mieux à la fois les entreprises et les actionnaires minoritaires. Les frais de justice de telles procédures pourraient être élevés. La notion de préjudice devient importante, de même que la notion de causalité entre faute et préjudice. Le préjudice direct serait exigé, la relation de causalité entre la faute et le préjudice devrait être avérée, alors même qu’aujourd’hui, ce lien se distend, ce qui restreindrait par nature la class action et l’empêcherait de dériver vers le modèle américain.
M. Jean-Jacques CAUSSAIN : La sas a été réservée aux grands groupes, puisque seuls pouvaient être associés les entreprises ayant au moins 1,5 million de francs de capital. La loi du 7 juillet 1999 a ouvert ce champ, permettant à tout à chacun de devenir associé dans une sas. Ce fut une véritable révolution. Depuis lors, cette forme sociale connaît un succès considérable. On crée aujourd’hui plus de sas que de sa.
Les statuts contractuels offrent une grande liberté. Il n’y a pas eu de dérive avérée. En conséquence, il n’existe pas de jurisprudence sur des difficultés liées des clauses statutaires. Une difficulté néanmoins a surgi, relevé par les commentateurs de la loi et les greffes : c’est la question de la direction générale. En application du livre II du code de commerce, la SAS est représentée par le président et par lui seul, en tant que mandataire social ayant le pouvoir d’engager le pouvoir de la société. Puisqu’on peut créer des mandats sociaux, les dirigeants peuvent être constitués par le conseil d’administration, des comités exécutifs, des conseils. Le poste de directeur général peut-il être créé par une clause des statuts ? Certains greffes ont refusé l’inscription de sociétés qui avaient prévu d’être dirigées non seulement par le président mais aussi par un directeur général auquel les statuts avaient donné les mêmes pouvoirs. D’autres ont accepté. Dans le cadre d’un organisme central, les greffes ont adopté une position pragmatique : rien n’interdisait de désigner un mandataire chargé de pouvoirs étendus auquel on pouvait accorder le titre qu’on voulait, sans que cela soit véritablement un directeur général. Restait un doute. La Cour de cassation, dans un arrêt récent, a souligné que le seul représentant légal de la SAS était le président, et que lui seul pouvait détenir les pouvoirs légaux.
Classiquement, les représentants légaux sont des mandataires dont les pouvoirs sont issus de la loi. Dans les sa, c’est le cas des membres du conseil d’administration. Dans les sociétés dualistes, les membres du directoire qui ont des pouvoirs légaux portent le titre de directeur général. Un amendement présenté par M. Marini a introduit la réforme de la direction des sas dans le projet de loi de sécurité financière.
Le président Pascal CLÉMENT : Il existe des pays où il n’existe qu’une seule forme sociale.
M. Jean-Jacques CAUSSAIN : Au Royaume-Uni, il n’existe, en effet, qu’une seule forme sociale pour les entreprises qui font appel public à l’épargne, la limited company. Des statuts type peuvent être utilisés, après une inscription auprès du panel. Ce qui est remarquable est qu’on peut constituer une telle société avec une seule actionnaire et une seule livre sterling de capital.
M. Sébastien HUYGHE : Puisqu’on utilise très largement la sas, ne peut-on pas faire disparaître certaines autres formes de sociétés, très peu usitées aujourd’hui ? On pourrait adapter la forme de société à la taille de l’entreprise.
M. Jean-Jacques CAUSSAIN : La question de la conservation de la société en commandite par actions a, par exemple, été posée à plusieurs reprises. Cette forme a néanmoins été conservée. C’est un moyen de défense anti-offres publiques d’achat (opa) efficace. Le groupe Lagardère, mais aussi Michelin et Casino, sont constitués sous cette forme. Avec la sas, les entreprises ont découvert les vertus contractuelles. Cela ne veut pas dire qu’il faut se débarrasser des autres formes. Les chefs d’entreprise sont déjà écrasés par les charges administratives. La suppression de certaines formes les engagerait dans de nouvelles procédures. Beaucoup de sociétés ont changé de forme seulement pour régler des problèmes de transmission de pouvoir, pour suivre les changements de l’actionnariat. L’émergence des sociétés à directoire correspond ainsi, pour partie, à un passage de générations. Il y a quelques années, un projet de loi avait été préparé par le ministère de la justice. Ce projet rationalisait le système français à l’excès : les très petites entreprises devaient adopter la SARL, les petites et moyennes entreprises la sas et les grandes sociétés la sa. Il faut du sur-mesure et laisser de la souplesse.
Mme Marie-Noëlle DOMPÉ : Je souhaiterai, pour ma part, évoquer le problème de la double sanction, administrative et pénale, à laquelle peuvent être soumis certains comportements. Depuis les manquements boursiers qui ont été créés par la loi d’août 1989 et précisés par les règlements de la cob de 1990, la double sanction est critiquée par la doctrine. Les partisans de la double sanction avancent trois types d’arguments. D’abord, le Conseil constitutionnel a admis la possibilité d’une double sanction. Mais il s’agit d’un critère purement formel qui ne répond pas au problème de fond. Ensuite, depuis la réforme de 1996, les éléments constitutifs des manquements boursiers sont identiques, quel que soit le type de sanction. Il n’y aurait donc plus lieu de s’interroger sur l’imprécision de la définition des manquements susceptibles d’être sanctionnés administrativement. Enfin, pour être respectée sur la place de Paris, la cob - et bientôt l’amf - doit disposer de l’intégralité de ses pouvoirs.
Il reste que cette double sanction se heurte au principe du non bis in idem proclamé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Mais il faut s’interroger sur les raisons qui ont poussé le Conseil constitutionnel à valider le mécanisme créé par la loi de 1989 précitée et à admettre qu’il était possible de cumuler les deux sanctions. Le Conseil s’est en réalité fondé sur le fait que la France avait émis une réserve sur le principe « non bis in idem » inclus dans la convention. Or, sur le fondement de la convention de New York, ratifiée par la France, le principe de la double peine peut être utilement contesté. En outre, s’agissant de l’autorité de régulation des télécommunications, le Conseil constitutionnel a pris une position inverse à celle qu’il avait prise en 1989.
On pourrait donner satisfaction aussi bien à l’amf qu’au parquet en appliquant l’article 40 du code de procédure pénale relatif à l’opportunité des poursuites. Lorsque la première a terminé une enquête et qu’elle a déterminé si des délits sont susceptibles d’être caractérisés, elle pourrait transmettre tous les éléments au parquet, qui disposerait d’un mois pour se prononcer. En cas d’absence de poursuite, la procédure pourrait reprendre son cours devant l’amf. Après la première lecture devant le Sénat, le projet de loi de sécurité financière contient le principe de la double poursuite, codifié à l’article L. 621-15 nouveau du code monétaire et financier... On passera alors d’un système de double poursuite possible à un dispositif de double poursuite obligatoire.
Le président Pascal CLÉMENT : Cela ne règle pas le problème des constitutions de partie civile ?
Mme Marie-Noëlle DOMPÉ : Dans ce dispositif, si un actionnaire se constitue partie civile, le parquet ouvrirait une procédure pénale, qui dessaisirait l’amf.
Le président Pascal CLÉMENT : Le seul moyen pour éviter le système de la double procédure, c’est de régler le problème de l’action civile. L’amf n’a pas autorité pour ordonner le versement de dommages-intérêts.
Mme Marie-Noëlle DOMPÉ : Dans beaucoup d’actions pénales, engagées par le seul parquet sur le fondement d’un délit boursier, vous n’avez que rarement une constitution de partie civile. Le préjudice pour un actionnaire est plus souvent constitué sur le fondement de la mauvaise information que sur celui du délit d’initié. Si l’actionnaire n’a pas subi de préjudice, il ne se constitue pas partie civile, surtout si l’action publique est engagée par ailleurs.
Certains évoquent le parallèle avec l’abus de biens sociaux. Or, ce dernier constitue d’abord un préjudice pour la société. Quant au délit d’initié, c’est d’abord un préjudice pour le marché, parce qu’il porte atteinte à l’intégrité dudit marché, marché considéré comme plaque institutionnelle d’échanges des titres. Il doit être distingué du marché particulier du titre. Or, le marché, ce n’est pas le marché du titre, c’est réellement une plaque institutionnelle d’échanges. Cette confusion est née en 1990. Quand le règlement 90-08 de la cob a défini le « marché » comme les transactions portant sur un titre coté. On est alors passé du respect d’une égalité « réelle » sur le marché boursier à une égalité « idéale ». À compter de 1990 (manquements), puis de 1996 (délit), deux initiés qui s’échangent hors marché un ou des titres côtés, qui donc ne créent aucun préjudice à quelque actionnaire que ce soit, tombent sous le coup de textes répressifs, y compris par voie de constitution de partie civile.
Source : Assemblée nationale française
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