Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Inscrit à l’article 1er de la Constitution, le principe de laïcité, qui exprime les valeurs de respect, de dialogue et de tolérance, est au cœur de l’identité républicaine de la France.
La laïcité garantit la liberté de conscience. Protégeant la liberté de croire ou de ne pas croire, elle assure à chacun la possibilité d’exprimer et de vivre paisiblement sa foi, de pratiquer sa religion. Ouverte, apaisée et généreuse, elle recueille, après bientôt un siècle d’existence, l’adhésion de toutes les confessions et de tous les courants de pensée.
Pourtant, malgré la force de cet acquis républicain, l’application du principe de laïcité se heurte à des difficultés nouvelles et grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la société française. C’est en particulier le cas dans certains services publics, comme l’école ou l’hôpital.
A cet égard, la réaffirmation du principe de laïcité à l’école, lieu privilégié d’acquisition et de transmission de nos valeurs communes, instrument par excellence d’enracinement de l’idée républicaine, paraît aujourd’hui indispensable. L’école doit en effet être préservée afin d’y assurer l’égalité des chances, l’égalité devant l’acquisition des valeurs et du savoir, l’égalité entre les filles et les garçons, la mixité de tous les enseignements, et notamment de l’éducation physique et sportive. Il ne s’agit pas de déplacer les frontières de la laïcité. Il ne s’agit pas non plus de faire de l’école un lieu d’uniformité et d’anonymat, qui ignorerait le fait religieux. Il s’agit de permettre aux professeurs et aux chefs d’établissements d’exercer sereinement leur mission avec l’affirmation d’une règle claire qui est dans nos usages et dans nos pratiques depuis longtemps. Si les élèves des écoles, collèges et lycées publics sont naturellement libres de vivre leur foi, ce doit être dans le respect de la laïcité de l’école de la République. C’est bien la neutralité de l’école qui assure le respect de la liberté de conscience des élèves, le respect égal de toutes les convictions.
C’est la raison pour laquelle, à la suite des travaux menés par la commission présidée par Monsieur Bernard Stasi, des contributions de la mission de l’Assemblée nationale, des partis politiques, des autorités religieuses, des représentants des grands courants de pensée, le Président de la République a souhaité, à l’occasion de son discours du 17 décembre 2003, que soit clairement interdit, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance religieuse.
Tel est le sens du présent projet de loi, qui crée au sein du code de l’éducation un article L. 141-5-1 interdisant dans les écoles publiques les signes religieux ostensibles, c’est-à-dire les signes et tenues dont le port conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance religieuse. Ces signes -le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive- n’ont pas leur place dans les enceintes des écoles publiques. En revanche, les signes discrets d’appartenance religieuse resteront naturellement possibles.
La loi s’applique dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Elle ne concerne donc pas les établissements d’enseignement privés, qu’ils aient ou non passé avec l’Etat un contrat d’association à l’enseignement public. Elle s’applique aux élèves, sachant que les personnels de l’éducation nationale sont d’ores et déjà soumis au principe de stricte neutralité que doit respecter tout agent public. L’interdiction qu’elle institue vaut évidemment pour toute la période où les élèves se trouvent placés sous la responsabilité de l’école, du collège ou du lycée, y compris pour les activités se déroulant en dehors de l’enceinte de l’établissement (sorties scolaires, cours d’éducation physique et sportive, etc.).
La loi prendra effet à compter de la rentrée scolaire suivant sa publication. Ce délai permettra de procéder à un important travail d’explication, d’échange et de médiation, notamment avec les autorités religieuses de notre pays. Les collèges et les lycées publics le mettront également à profit pour adapter leur règlement intérieur : même si la loi est d’application directe, il est souhaitable, dans un souci de pédagogie, que ses dispositions soient transcrites dans l’acte qui rassemble les règles applicables à la vie interne de l’établissement.
La mise en œuvre de la loi devra également être assurée en usant du dialogue et de la concertation, et en recourant à une démarche fondée sur l’explication et la persuasion, soucieuse de faire partager aux élèves les valeurs de l’école républicaine.
Les manquements à l’interdiction fixée par la loi seront passibles de sanctions, comme tout manquement aux obligations des élèves. Conformément aux principes qui régissent la procédure disciplinaire, toute sanction sera proportionnée à la gravité du manquement.
La loi s’appliquera aux établissements scolaires français à l’étranger dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des Etats étrangers.
Elle a vocation à s’appliquer à l’outre-mer dans des conditions qui dépendent de la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités concernées.
La loi s’appliquera de plein droit aux départements et régions d’outre-mer, conformément au principe d’identité législative posé par l’article 73 de la Constitution. Elle s’appliquera également, dans les mêmes conditions, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en vertu de la loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel.
A Wallis et Futuna et à Mayotte, l’Etat exerce la compétence en matière d’enseignement, et ces deux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution sont soumises au principe de spécialité législative : il y a donc lieu de prévoir une mention expresse d’application de la loi.
En Nouvelle-Calédonie, la loi s’appliquera dans les établissements publics d’enseignement relevant provisoirement de la compétence de l’Etat en application du III de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
En Polynésie française, en revanche, la loi ne pourra pas s’appliquer dès lors que les établissements qu’elle vise relèvent de la compétence des autorités territoriales en vertu du statut d’autonomie de cette collectivité d’outre-mer.
Ce texte s’inscrit dans le droit fil de l’équilibre qui s’est construit patiemment depuis des décennies dans notre pays autour du principe de laïcité. Il ne s’agit pas, par ce projet de loi, de refonder la laïcité, mais de permettre, en rappelant les principes et les valeurs de l’école, de la faire vivre dans la fidélité aux idéaux de la République.
Projet de loi
Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche,
Vu l’article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat, sera présenté à l’Assemblée nationale par le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, qui est chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.
Article 1er
Il est inséré dans le code de l’éducation, après l’article L. 141-5, un article L. 141-5-1 ainsi rédigé :
" Art. L. 141-5-1.- Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. "
Article 2
I.- La présente loi est applicable :
1° Dans les Iles Wallis et Futuna ;
2° Dans la collectivité départementale de Mayotte ;
3° En Nouvelle-Calédonie, dans les établissements publics d’enseignement du second degré relevant de la compétence de l’Etat en vertu du III de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
II.- Par voie de conséquence du I ci-dessus, le code de l’éducation est modifié comme suit :
1° Au premier alinéa de l’article L. 161-1, les termes : " L. 141-4, L. 141-6 " sont remplacés par les termes : " L. 141-4, L. 141-5-1, L. 141-6 " ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 162-1, les termes : " L. 141-4 à L. 141-6 " sont remplacés par les termes : " L. 141-4, L. 141-5, L. 141-5-1, L. 141-6 " ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 163-1, les termes : " L. 141-4 à L. 141-6 " sont remplacés par les termes : " L. 141-4, L. 141-5, L. 141-6 " ;
4° L’article L. 164-1 est ainsi modifié :
a) Dans le premier alinéa, les termes : " L. 141-4 à L. 141-6 " sont remplacés par les termes : " L. 141-4, L. 141-5, L. 141-6 ".
b) Il est ajouté un deuxième alinéa ainsi rédigé :
" L’article L. 141-5-1 est applicable aux établissements publics d’enseignement du second degré mentionnés au III de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui relèvent de la compétence de l’Etat. "
III.- Dans le texte de l’article L. 451-1 du code de l’éducation, il est inséré, après la mention de l’article L. 132-1, la mention de l’article L. 141-5-1.
Article 3
Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur à compter de la rentrée de l’année scolaire qui suit sa publication.
Fait à Paris, le 28 janvier 2004.
Signé : Jean-Pierre Raffarin
Par le Premier ministre :
Le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche
Signé : Luc Ferry
Source : Assemblée nationale (France)
Référence : Projet de loi 1378, 12e législature.
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