La presse occidentale a très largement repris les informations selon lesquelles 270 personnalités et sociétés opposées à la guerre contre l’Irak auraient été rémunérées par Saddam Hussein. Mais nos confrères ne se sont pas donnés la peine de vérifier leur véracité, ni même leur vraisemblance. Ils auraient pu découvrir que le journal irakien qui a publié cette accusation a été créé avec les fonds de George Soros, l’aide de la NED, un paravent de la CIA, les conseils de l’ancien patron de La Voix de l’Amérique et qu’il a bénéficié du soutien du gouverneur de l’Irak Paul Bremer lui-même. Elle a été diffusée mondialement par le MEMRI, une « agence de presse » créée par des officiers de Tsahal. Le Réseau Voltaire retrace la filière d’intoxication.
Le quotidien irakien Dar Al-Mada a publié, dimanche 25 janvier 2004, une liste de 270 personnalités et sociétés étrangères ayant été rémunérées par Saddam Hussein, depuis 1999. Elles auraient été gratifiées en millions de barils de pétrole en plein programme « pétrole contre nourriture », donc au détriment de l’alimentation de la population. Pour étayer ses accusations, le quotidien reproduit des fac-similés de documents.
Le lendemain, le Conseil de gouvernement provisoire confirme ces éléments. Abdul-Sahib Salman Qutub, porte-parole du ministère du Pétrole, annonce qu’il dévoilera prochainement une liste plus complète et poursuivra en justice les bandits qui ont spolié le peuple irakien. Sur la base de cette validation officielle, le quotidien parisien Le Monde relaye mardi ces imputations tout en reproduisant les démentis de personnalités françaises mises en cause (édition datée du mercredi). Mercredi, la presse occidentale s’empare de l’information. Certains journaux états-uniens n’hésitent pas à titrer : « Des documents du gouvernement irakien : Saddam avait acheté la France ».
Pourtant, l’accusation contenue dans cette liste ne résiste pas une minute à la réflexion : par exemple, le quotidien assure que le député britannique pacifiste George Galloway a reçu 15 millions de barils de pétrole. Pour les transporter, il aurait fallu que le parlementaire parvienne à faufiler 7 super-tankers entre les bâtiments de la Coalition anglo-américaine sans se faire remarquer. Et il aurait encore fallu qu’il les écoule secrètement sur le marché international en violation de l’embargo onusien. Il en est de même pour les autres accusés.
Le quotidien Dar Al-Mada a été créé à Bagdad en novembre 2003 par le président du Mouvement pour la paix. Celui-ci, Fakhri Karim, n’est pas un inconnu. Il fut le responsable de la propagande du Parti communiste irakien. Comme ses camarades, il s’enfuit en exil pour échapper à la répression de Saddam Hussein. Lors de la première Guerre du Golfe, en 1991, son parti fut contacté par les services secrets saoudiens qui entendaient soutenir toute forme d’opposition au raïs. Fakhri Karim dirigea la délégation reçue à Riyad. De retour à Damas, il annonça à ses camarades qu’il avait refusé l’argent de la monarchie, mais appela néanmoins à soutenir la Coalition et à bombarder son propre pays. Or, les services saoudiens ne tardèrent pas à se manifester dans l’attente d’un plus important retour sur investissement. Considéré comme traître, Fakhri Karim fut alors exclu de son parti. Quelques mois plus tard, soudain riche, il fonda une maison d’édition et un journal, Dar Al-Mada, à Beyrouth.
Fakhri Karim est revenu à Bagdad, en 2002, dans les bagages de la Coalition. L’Autorité d’occupation l’a aidé à former le Mouvement de la paix qui rassemble les Irakiens de retour d’exil, en quête de prébendes US. C’est dans ce vivier que la Coalition puisse, selon ses besoins, de nouveaux collaborateurs.
Selon nos sources en Irak, la fortune de Fakhri Karim ayant soudain décuplé, il a acheté divers locaux, importé du matériel, ouvert un quotidien et lancé une chaîne de télévision par satellite. Pour ce faire, il a bénéficié des encouragements du philanthrope George Soros, qui lui a offert des rotatives, et de la National Endowment for Democracy (NED)-vitrine publique de la CIA- qui a recruté et formé ses journalistes. Le gouverneur L. Paul Bremer en personne s’est assuré qu’il ne manquait de rien, ni de papier, ni d’électricité. Tandis que l’ancien patron de La Voix de l’Amérique (organe officiel du Département d’État) s’est déplacé à Bagdad pour lui prodiguer quelques conseils.
Dar Al-Mada est donc un quotidien « indépendant », des Irakiens tout au moins, mais pas de la Coalition.
Dans de telles conditions, on a du mal à comprendre comment un individu dénué de toute crédibilité peut intoxiquer la presse occidentale en diffusant des imputations incohérentes. D’autant que des accusations identiques ont déjà été présentées par le passé avant d’être démenties. C’est notamment le cas des prétendues largesses accordées au député britannique George Galloway.
La filière d’intoxication n’est que partiellement connue. D’après nos informations, les documents initiaux auraient été fabriqués au Royaume-Uni par un cabinet éditant une lettre financière confidentielle. Ils mêlent en une même liste les négociants autorisés dans le cadre de l’accord « pétrole contre nourriture », et donc légalement rémunérés de leurs prestations sous le contrôle du Comité des sanctions de l’ONU, et des groupes ou personnalités à diffamer. Certains noms ont été ajoutés au hasard pour masquer la logique du choix des cibles. Toutefois, l’essentiel est de discréditer, directement ou indirectement, tous ceux qui se sont opposés à la guerre.
Cette liste a été transmise par un « cabinet de relations publiques » à Dar Al-Mada qui a compris ce que l’on attendait de lui et l’a publiée sans vérification.
Puis, elle a été reprise par un site web arabe, Elaph.com dirigé par une personnalité connue pour avoir été proche du roi du Maroc, Hassan II. Elle a alors été traduite en diverses langues et diffusée par l’Institut de recherche sur les médias au Proche-Orient (MEMRI), une « agence de presse » créée par des officiers de Tsahal.
L’une des conditions du succès de cette opération est d’avoir choisi quelques cibles honnies de la presse occidentale qui pouvait ainsi régler ses comptes à peu de frais. Ainsi, pour atteindre Jacques Chirac, on a pointé du doigt ses amis Patrick Maugein, Charles Pasqua et Gilles Munier qui, pour des raisons diverses chacun, peuvent indisposer.
Dans 46 pays, des personnes et organisations mises en cause ont publié des démentis. Aucun indice probant n’a été présenté pour créditer les accusations de Dar Al-Mada, dont la rédaction se protège derrière le « secret des sources ». Rien ne semble devoir redonner la raison à nos confrères : ils ont cru qu’un avion est entré dans une porte au rez-de-chaussée du pentagone avant de se dématérialiser, puis ils ont cru que Saddam Hussein menaçait la sécurité des États-Unis avec des drones armés d’armes de destruction massive, aujourd’hui ils croient que les opposants à la guerre étaient tous corrompus.
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