À Vienne, en 2000, l’entrée du FPÖ de Jörg Haider au gouvernement avait soulevé l’indignation de toute l’Europe. Des sanctions avaient été prises contre l’Autriche et une clause d’exclusion avait été élaborée au sein de l’Union européenne. Quatre ans plus tard, ceux qui avaient crié au scandale nouent une alliance régionale avec le même FPÖ autour du gouverneur Jörg Haider. Entre temps, Ariel Sharon est arrivé au gouvernement à Tel Aviv, Jean-Marie Le Pen s’est exprimé dans Ha’aretz et Gianfranco Fini a été reçu en Israël : l’extrême droite est devenue respectable depuis qu’elle a changé de bouc émissaire.
Les partis d’extrême droite se sont développés en Europe à partir de l’élection de 1984 qui vit l’arrivée du Front national de Jean-Marie Le Pen au Parlement européen. Progressivement, le phénomène, que l’on croyait français, s’étendit à l’Allemagne avec les Republikaners et à la Belgique avec le Vlaams Block (1989) ; à la Russie avec le Parti libéral-démocrate (1993) ; puis, à l’Italie où cinq ministres néo-fascistes entrent au gouvernement de Silvio Berlusconi (1994) ; en Norvège avec la percée du Parti du progrès (1997) ; en Autriche où, le FPÖ s’empare du gouvernement sans pour autant prendre la Chancellerie (2000) ; au Danemark avec le retour du Parti du peuple (en 2001) ; enfin aux Pays-Bas avec le succès de liste Pim Fortuyn, (2002).
À partir de l’élection européenne de 1994, cette percée fut vécue comme un retour des démons du passé bien que ces mouvements ne soient pas assimilables au fascisme et au nazisme, même s’ils en sont partiellement les héritiers. Les partis démocratiques échafaudèrent des réponses d’autant plus variées que certains souhaitaient combattre des idées tandis que d’autres craignaient plus prosaïquement l’émergence de nouveaux compétiteurs électoraux. En France, cette question fut encore compliquée par le soutien apporté en sous-main par François Mitterrand au Front national, probablement pour affaiblir la droite parlementaire.
La diabolisation
Pour stopper la progression de l’extrême droite, certains préconisèrent de refuser de débattre avec ses dirigeants et de les marginaliser totalement. Cette politique de « diabolisation » s’imposa dans les grands médias. Des manifestations furent organisées systématiquement à l’occasion de chaque meeting des extrémistes de droite pour intimider les militants.
En outre, de nombreux dirigeants s’inquiétèrent de la présence de ministres d’extrême droite dans les Conseils européens. La question fut d’abord posée à propos du MSI, puis, de manière particulièrement virulente, au sujet du FPÖ.
Lors de la constitution du gouvernement de coalition des démocrates-chrétiens de Wolfgang Schuessel et du FPÖ de Jorg Haider, l’Autriche fut accusée de revenir au nazisme. Le passé de son ancien président Kurt Waldheim revint à nouveau au centre de discussions. D’amples manifestations dénoncèrent dans toute l’Europe le retour de la peste brune. Le Congrès juif mondial fit campagne pour des sanctions internationales. On s’interrogea sur l’éventuelle inscription de clauses d’exclusion dans les traités européens, tandis que des ministres des autres États refusèrent de serrer la main à leurs homologues FPÖ dans les Conseils européens. Quatorze États membres de l’Union prononcèrent des sanctions unilatérales contre l’Autriche. Elles furent levées, le 8 septembre 2000, après qu’une commission de sages eut établi que, si le FPÖ était « un parti extrémiste encourageant les sentiments de xénophobie », les ministres du FPÖ s’étaient montrés « respectueux des valeurs communes européennes ».
La normalisation
Cette stratégie a progressivement été inversée au cours des dernières années. L’extrême droite n’est plus assimilée à l’antisémitisme et sa fréquentation n’est plus jugée infamante, au point que le Parti socialiste autrichien vient de nouer une alliance régionale avec le FPÖ.
On peut dater ce revirement de février 2001 et de la chute du gouvernement Barak en Israël. En effet, l’État hébreu se dote alors d’un gouvernement de coalition intégrant des partis d’extrême droite et dirigé par un Premier ministre d’extrême droite membre du Likoud, Ariel Sharon. Aucune démocratie occidentale ne commente l’événement.
En avril 2002, à la veille de l’élection présidentielle française, Jean-Marie Le Pen, le paria, donne un long entretien au quotidien de la gauche israélienne, Ha’aretz. Le journal passe sous silence son antisémitisme d’antan et valorise son combat en Algérie contre le « terrorisme arabe ». Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Roger Cukierman, et plusieurs personnalités de la communauté juive de France déclarent s’apprêter à voter Le Pen.
Un virage identique est observable en Belgique avec le soutien inattendu de personnalités juives au Vlaams Block.
En mai 2003, les Bush, qui tirent une partie de leur fortune familiale de l’exploitation des prisonniers des camps nazis, lavent leur nom à l’occasion d’une visite d’Auschwitz II-Birkenau.
En novembre 2003, le gouvernement Sharon reçoit en grande pompe Gianfranco Fini, patron de l’Alliance nationale, une dissidence du Mouvement social italien (MSI), parti néo-fasciste revendiquant explicitement l’héritage de Benito Mussolini.
Alors même que Jörg Haider était présenté comme antisémite par la presse israélienne il y a encore quelques mois, à l’occasion de ses prises de position sur la guerre d’Irak, le voici redevenu fréquentable. Le 13 mars 2004, le Parti socialiste (SPÖ) a conclu une alliance de gouvernement avec le FPÖ pour constituer le gouvernement régional de Jörg Haider en Carinthie.
Ce bref rappel historique et les contradictions qu’il recèle appellent plusieurs observations. La démocratie est un système politique où l’on combat des idées avec des idées. Quoi qu’on en dise, et quelle que soit la manière dont on les présente, la diabolisation d’un parti, les entraves à son expression et à ses réunions, ne participent pas de la démocratie. Ce sont au contraire des méthodes qui abaissent ceux qui les appliquent au rang des idées qu’ils prétendent combattre.
Rappelons que le Réseau Voltaire, qui a participé et animé le Comité national de vigilance contre l’extrême droite, s’est toujours opposé à l’interdiction du Front national et a, simultanément, conduit des initiatives contre les pratiques extrémistes. Ainsi, le Réseau Voltaire a-t-il suscité, avec d’autres, la Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, une milice néo-fasciste. Nous avons essayé de nous placer à la hauteur de nos principes, ce qui ne signifie pas que nous y soyons toujours parvenus.
L’alliance avec les extrémistes pour partager des organes exécutifs est également déshonorante. Observons qu’elle est précisément le fait de ceux qui avaient préconisé outrageusement la diabolisation.
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