Nous avons déjà eu l’occasion d’exposer dans la rubrique Tribunes et décryptage combien la vision de la Russie dans la presse occidentale restait emprunte des représentations de la Guerre froide. La plupart des actions du Kremlin n’est pas analysée comme le serait celle de n’importe quel État mais en fonction d’une grille de lecture atlantiste, la question des Droits de l’homme en Russie reste un objet de suspicion bien plus intense que pour beaucoup d’autres États, à la politique tout autant contestable, et chaque action renforçant le poids de l’État est perçue comme une re-soviétisation. Toutefois, ces commentaires ne sont pas toujours d’ordre politique et s’accompagnent aussi de la vision d’une « identité » russe caricaturale qui fait « du » Russe un être rustre, primitif et souvent alcoolique.
A l’occasion de la « fête de l’homme » russe, jour férié célébré en Russie et auquel le Kremlin donne un nouveau souffle en raison du problème démographique posé par le manque d’hommes en Russie comparé au nombre de femmes, les correspondantes des journaux français Libération et Le Figaro à Moscou, se livrent à un concours de stigmatisation.
Lorraine Millot, journaliste de Libération, journal français classé à gauche, dépeint grâce à une série de citations soigneusement sélectionnées, un « homme russe » infantile, macho et alcoolique (« Le nouvel homme russe en mal de reconnaissance », par Lorraine Millot, Libération, 22 février 2006). Toutefois, elle affirme que le modèle est en mutation et qu’il se rapproche de l’homme des « pays civilisés » (sic). Irina de Chikoff, journaliste du Figaro, journal français classé à droite, empire encore le tableau (« Poutine relance la "fête des hommes" », par Irina de Chikoff, Le Figaro, 23 février 2006). Pour elle, l’homme russe est également un macho alcoolique mais il n’y a pas d’évolution possible car « l’homme russe est resté médiéval » et reste fondamentalement « un moujik ». Bref, le Russe reste le paysan crasseux, alcoolique et analphabète des représentations européennes, au point que la journaliste se demande : « l’homme russe est-il un Européen ? ». Cet article, publié sur la version papier du quotidien conservateur français n’a pas été repris sur le site du journal.
Cette lecture essentialiste d’une nationalité n’est pas un phénomène rare dans la presse mainstream et on trouve, malheureusement, une logique similaire derrière la présentation des identités supposées de croyants de certaines religions, d’habitants de certains pays ou même de concitoyens d’une autre région ou d’une autre classe sociale. Dans le cas de la Russie, cette énumération de lieux communs, énoncés par les correspondantes locales de Libération et du Figaro, censées être de fines connaisseuses du pays où elles se trouvent, illustre le prisme au travers duquel le monde russe est perçu dans ces quotidiens. Identifier ces schémas mentaux permet de mieux relativiser la fiabilité des informations fournies par les deux journaux concernant la Russie.
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