Excusez-nous du retard avec lequel nous commençons cette conférence de presse. Je sais que vous attendez depuis un moment, mais nous avions énormément de choses, vous vous en doutez, à aborder avec le Premier ministre, et avec d’autres interlocuteurs.

Je voudrais d’abord vous dire que j’ai présenté les condoléances du gouvernement français au gouvernement libanais, après le drame qui s’est produit à Cana, et, par son intermédiaire, au peuple libanais. Nous pensons aux douleurs des familles des victimes et, en particulier, à ces enfants, victimes innocentes parmi les victimes innocentes.

Ce drame de Cana me fait dire que l’on aurait pu écouter la voix de la France qui, depuis de nombreux jours maintenant, demande une cessation immédiate des hostilités. Hier, la déclaration du Conseil de sécurité a demandé la cessation des violences : c’est un premier signe positif, que nous avons enregistré. Nous aurions aimé que l’on puisse ajouter "cessation immédiate des hostilités". Sans cessation immédiate des hostilités, il y aura une répétition de drames comme celui de Cana et d’autres victimes civiles.

Je voudrais également vous dire que depuis ce matin les différents contacts que j’ai eus avec les personnalités politiques montrent à quel point nous avons une convergence de vues entre le gouvernement libanais et le plan français. Il reste du chemin à parcourir mais je peux vous dire que beaucoup de progrès ont déjà été enregistrés. Nous avons encore un certain nombre de sujets à traiter et c’est ce que je ferai dans un instant avec le Premier ministre, M. Siniora, que je vais retrouver après vous avoir quittés.

Au-delà de la cessation immédiate des hostilités, le calendrier diplomatique français est clair. C’est en trouvant les conditions politiques d’un accord que nous aurons un cessez-le-feu durable, seule condition de la France pour participer à une force multinationale sous mandat de l’ONU. Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, sera le principal acteur du déploiement de la force multinationale qui permettra à l’armée libanaise de se déployer au sud du pays. Je vois d’ailleurs que certains de nos partenaires nous rejoignent sur la nécessité d’un tel accord politique.

Il est important pour nous que les termes de cet accord politique prévoient que le gouvernement libanais soit au centre des négociations, avec le gouvernement israélien. J’évoque l’importance du rôle que doit jouer le gouvernement libanais parce que le plan français est basé sur la garantie de la souveraineté, de l’indépendance et de la liberté du Liban. C’est le message de la France, en général, et du président de la République, depuis toujours. Dans cette région du monde, en particulier, nous avons déjà montré la pertinence de ce message à plusieurs reprises récemment.

J’ajouterais que l’accord entre les différentes parties, comme le président de la République l’a déclaré, mercredi dernier, dans une interview, doit être négocié entre le gouvernement libanais et le Hezbollah, d’un côté, et entre le Liban, Israël et la communauté internationale, de l’autre. Je suis prêt à répondre à vos questions en vous disant que la France, plus que jamais, pense qu’une solution purement miliaire ne peut exister dans ce conflit israélo-libanais. Seule la voie diplomatique est possible. Il faut multiplier les contacts dans la région et tirer en permanence les fils de la négociation. Nous le ferons. Le souhait de la France est de régler au plus vite ce conflit qui n’a que trop duré.

Je voudrais également dire qu’en dehors de ces aspects politiques et diplomatiques prioritaires, mon déplacement revêt également un aspect humanitaire. En effet, le premier avion de l’armée française transportant du fret humanitaire pour les Libanais, chassés de chez eux par la violence des bombardements, vient de se poser aujourd’hui à Beyrouth. J’avais demandé dimanche dernier au Premier ministre israélien la réouverture de l’aéroport. Je vois avec plaisir et émotion que ce sont les Français qui sont les premiers Européens à se poser sur les pistes de cet aéroport avec ce fret humanitaire.

Le président de la République, Jacques Chirac, a souhaité que la France soit un des pays contributeurs les plus généreux à l’égard du Liban avec une aide humanitaire de 25 millions de dollars.

Avec la mise en œuvre d’un pont aérien et maritime, nous avons déjà pu acheminer 100.000 rations alimentaires, d’importantes quantités de médicaments, des stations d’eau potables, des matelas, du matériel chirurgical pour les enfants, ainsi que 40 groupes électrogènes permettant d’assurer le fonctionnement des établissements sanitaires, en dépit du bombardement des centrales électriques.

Je veux remercier tous ceux qui, par leur générosité, leur compétence, leur solidarité au service des plus démunis et des plus faibles - je pense aux personnes âgées, aux enfants et aux femmes -, permettent d’obtenir les moyens de les soigner, de soulager leur douleur et de les secourir le plus rapidement possible. Nous savons que les besoins sont immenses et que cet effort doit continuer tant que chacun n’aura pas retrouvé un foyer et les moyens de subvenir aux besoins de sa famille.

C’est pourquoi il est impératif et urgent de continuer à demander aux autorités israéliennes des couloirs humanitaires sûrs, et, au-delà, permettre aux organisations non-gouvernementales, que je tiens à saluer, d’acheminer le fret humanitaire sur tout le territoire.

Enfin, avant de répondre à vos questions, je tiens à vous annoncer que la France va affréter très prochainement un bateau humanitaire pour le Liban qui partira de Marseille dès qu’il sera prêt. Il acheminera des dons de particuliers, de Français, d’entreprises privées, de collectivités locales : mairies, départements et régions. Cette opération est coordonnée par le ministère des Affaires étrangères.

Q - S’agissant des conditions d’un cessez-le-feu

R - Sur la question du cessez-le-feu - j’ai développé cette thèse à Rome, à plusieurs reprises -, je me suis aperçu que la majorité des personnes qui étaient à la réunion de Rome plaidaient pour une cessation immédiate des violences. Il se trouve, et je l’ai regretté, que cela n’a pas été retranscrit dans la déclaration présidentielle. Il n’en reste pas moins vrai qu’aujourd’hui nous pensons qu’il faut le plus rapidement possible une cessation des hostilités ; non pas rapidement mais immédiatement.

On n’arrivera pas à un cessez-le feu durable s’il n’y a pas un accord politique dont j’ai abordé les termes ce matin et que je peux d’ailleurs vous exposer.

Il s’agit en particulier de la question de la libération des prisonniers libanais et israéliens, de la mise en œuvre de l’accord de Taef, de l’extension de l’autorité du gouvernement libanais sur tout son territoire, du règlement de la question des fermes de Chebaa - dont les frontières devraient être délimitées et qui pourraient être placées dans l’intervalle sous juridiction des Nations unies -, du respect de la souveraineté du Liban et d’Israël, et d’un plan qui envisagerait la création d’une force de stabilisation internationale - uniquement, comme je l’ai dis tout à l’heure, lorsque toutes les parties seront d’accord.

Il ne peut y avoir une force internationale qu’après ce cessez-le-feu durable et il ne peut y avoir de cessez-le feu durable que si il y a, à un moment donné, un arrêt des hostilités.

Sur la deuxième question, concernant le fret humanitaire, nous pensons qu’il y a, en effet, comme toujours, plusieurs phase dans le déroulement des opérations d’aide humanitaire.

Premièrement, il y a la phase d’évaluation qui est en train d’être réalisée - et si, par exemple, on analyse les problèmes de santé, c’est essentiellement le problème des maladies chroniques qui se pose pour des personnes déplacées qui ne peuvent plus se soigner parce qu’elles n’ont plus de domicile et plus de médecin.

Deuxièmement, il y a la question de la sécurisation de l’acheminement de l’aide humanitaire. Il faut des corridors humanitaires sécurisés pour aller d’un point à un autre et distiller cette aide sur tout le territoire ; aujourd’hui ces itinéraires sécurisés n’existent pas. Le Programme alimentaire mondial nous le dit, l’UNICEF nous le dit, et c’est ce que nous demandons aux autorités israéliennes.

Q - S’agissant de l’accord politique et du déploiement d’une force internationale

R - C’est fondamental. Pour nous il est important qu’un accord politique soit passé entre toutes les parties et, donc, bien évidemment, avec Israël. C’est bien le sujet aujourd’hui ; le règlement du conflit passe par un accord politique et, une fois l’accord politique trouvé, par un cessez-le-feu durable et le déploiement d’une force internationale, dans laquelle nous sommes prêts à participer, et qui aura comme principale mission de surveiller le cessez-le-feu de part et d’autre.

Q - S’agissant de l’unité nationale libanaise derrière un plan de règlement du conflit

R - J’ai souligné auprès du Premier ministre libanais l’importance de l’unité nationale derrière ce plan. Je pense que c’est tout à fait nécessaire en termes d’efficacité et en termes de crédibilité internationale. Je ne m’en suis pas caché.

Concernant mes entretiens, je vous l’ai dit, des progrès sont actuellement en train d’être faits. Nous devons encore en faire. Du chemin reste à parcourir, mais j’observe une convergence importante entre les positions du gouvernement libanais, dont vous venez de rappeler qu’elles étaient le fruit d’un consensus entre les différentes composantes, et les différents partis politiques libanais.

En ce qui concerne le plan français que je viens de rappeler. J’ai rencontré ce matin le président du Parlement, le Premier ministre et mon homologue. J’ai également rencontré, lors du déjeuner, des ministres représentant les différentes composantes de la vie politique libanaise, y compris celle avec laquelle le gouvernement libanais doit trouver un accord.

Q - A propos de la question des prisonniers

R - Nous avons demandé, comme vous le savez, la libération sans condition des deux prisonniers israéliens qui ont été enlevés le 12 juillet. Nous avons également - et cela figure évidemment dans la résolution que la France présente au Conseil de sécurité des Nations unies depuis quelques heures - parlé du règlement nécessaire de la question des prisonniers libanais, qui sont aujourd’hui détenus dans les prisons israéliennes.

Q – S’agissant de la présence de membres du Hezbollah au déjeuner de travail et du rôle de l’Iran

R - Concernant la présence de membres du gouvernement à ce déjeuner, je la confirme. J’ai rencontré à plusieurs reprises - c’est la troisième fois que je viens à Beyrouth - les membres du gouvernement. A participé à ce déjeuner un membre de ce mouvement, le ministre du Travail, avec lequel nous avons pu aborder en effet ces sujets, et qui a pris la parole de manière, j’ai trouvé, très intéressante.

Concernant l’Iran, c’est en effet un grand pays, un pays qui joue un rôle très important dans la région, et comme vous le savez par ailleurs, nous avons une discussion avec l’Iran concernant le dossier nucléaire iranien. Le 1er juin à Vienne, puis le 12 juillet au Quai d’Orsay à Paris, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, associés à l’Allemagne, se sont réunis pour formuler une proposition positive sur le plan nucléaire civil, politique et économique. Mais, si la réponse de l’Iran était négative, des possibilités de sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies existent, sous le chapitre VII de la Charte, article 41.

Outre ce dossier nucléaire iranien, je réponds à votre question, en disant qu’il me semble en effet important de pouvoir aborder avec les autorités iraniennes le sujet qui nous importe aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que c’est un acteur incontournable de la région. C’est un grand peuple, une grande civilisation, qui a toujours joué un rôle important, et nous n’avons d’ailleurs de cesse de dire aux autorités iraniennes que l’idéal pour elles est de rentrer dans, je dirais, le cercle de confiance de la communauté internationale, que nous devons renouer la confiance avec elles, et que ceci est évidemment une des clés, parmi d’autres, de cette région.

Q – S’agissant de savoir si des contacts sont noués actuellement avec l’Iran

R - Ecoutez, aujourd’hui au moment où je parle, pas obligatoirement. Mais il y a beaucoup de ministres des Affaires étrangères occidentaux qui parlent avec leurs homologues, y compris iranien. Moi-même je l’ai eu au téléphone à plusieurs reprises, cela fait partie des choses qui sont tout à fait normales entre nous. Javier Solana récemment d’ailleurs, sur le dossier nucléaire iranien, était allé à Téhéran deux fois.

Q – S’agissant d’un cessez-le-feu

R - Je crois qu’on peut très bien comprendre qu’après avoir eu un drame comme celui de Cana, on réponde en demandant d’abord et avant tout l’arrêt des hostilités. Il n’en reste pas moins vrai que ce qui importe, c’est un cessez-le-feu durable. Et je crois qu’il n’y a aucun Libanais, aucune Libanaise, ni d’ailleurs aucun Israélien, qui ne peut dire le contraire. Pour avoir un cessez-le-feu durable, il faut un accord politique. Pour avoir un accord politique, il faut une négociation. Cette négociation doit impliquer toutes les parties, y compris, peut-être, tous les acteurs de la région./.

Source
France (ministère des Affaires étrangères)