Question : Le chancelier fédéral Gerhard Schröder a été invité en France pour participer aux cérémonies de commémoration du débarquement des troupes alliées en Normandie en 1944, conjointement avec les chefs d’État des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie. Quelle est l’importance de cet événement pour l’Allemagne ?

Joschka Fischer : C’est un événement très important. L’invitation adressée au chancelier fédéral symbolise le fait que le débarquement des alliés, début juin 1944, a permis le retour de la liberté en Europe et cela au prix de lourds combats. Dans la perspective de l’Histoire, cela signifiait également la liberté pour l’Allemagne. Personne n’ose imaginer ce qu’il serait advenu, surtout pour ma propre génération dont la biographie est encore liée à cette époque, s’il en avait été autrement. Que cette invitation soit devenue possible aujourd’hui en même temps que le processus d’unification de l’Europe et que ce geste de générosité de la part du président de la République française mais aussi du peuple français, que tout cela soit devenu possible montre l’ampleur des progrès que nous avons réalisés en Europe.

Est-ce une façon de renouer avec les grandes valeurs communes que le conflit au sujet de la guerre en Iraq avait fait passer au second plan l’année dernière ?

Joschka Fischer : Les relations transatlantiques, qui sont nées en ce mois de juin 1944, reposent précisément sur des valeurs et des intérêts communs. Quand on regarde les choses de plus prêt, on voit que même dans les questions où nous avons des divergences de vues, ce sont les points communs qui prévalent, dans les valeurs comme dans les intérêts. Toutefois, la véritable amitié exige qu’un ami dise les choses franchement lorsqu’il est d’avis que l’autre a fait un pas dans la mauvaise direction ou peut-être même qu’il commet une erreur plus grande. C’est ce que nous avons fait. Mais nous n’avons jamais pour autant remis en cause l’importance fondamentale des relations transatlantiques.

Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont présenté un nouveau projet de résolution pour l’Iraq au Conseil de sécurité de l’ONU. Approuvez-vous ces propositions ?

Joschka Fischer : Elles constituent une bonne base de travail et les discussions ont déjà commencé. J’ai eu plusieurs fois l’occasion au cours de ces derniers jours, et hier encore (mercredi 2 juin, note de la rédaction), de parler en détail de la résolution avec mon collègue américain. La résolution qui vient d’être présentée constitue un bon point de départ, un pas dans la bonne direction, et les discussions au sein du Conseil de sécurité peuvent désormais se poursuivre dans un esprit constructif. La désignation d’un gouvernement intérimaire iraquien constitue également un pas important sur la voie qui mène à la souveraineté de l’Iraq. Il est dans notre intérêt à tous de voir se dégager une sorte de consensus interne en Iraq, de voir le gouvernement intérimaire saisir la chance qui lui est offerte et le processus politique faire des progrès.

Avez-vous confiance dans les personnalités politiques qui forment le gouvernement intérimaire iraquien nommé cette semaine ?

Joschka Fischer : Dans l’intérêt de toutes les parties concernées, il faut souhaiter un maximum de réussite à ce gouvernement intérimaire. Ceci est valable surtout pour la population iraquienne mais aussi bien sûr pour la stabilité régionale et internationale.

Jusqu’à quel point la souveraineté du pays doit-elle aller dans l’avenir proche ?

Joschka Fischer : C’est un point qui devra être abordé en détail dans le cadre du projet de résolution. La question de la souveraineté est avant tout une question de légitimité et, par conséquent, la souveraineté doit être très large. Ce sera l’un des points essentiels dont il faudra tenir compte dans le texte final de la résolution.

Combien de temps les forces d’occupation devront-elles encore rester en Iraq ?

Joschka Fischer : Cela aussi, c’est une question qui est abordée dans le cadre de la résolution, et ce au sein du Conseil de sécurité, non pas dans une interview.

N’est-il pas d’une importance capitale que les Européens parviennent cette fois à se mettre d’accord sur l’Iraq, contrairement à l’année dernière ?

Joschka Fischer : Le plus important est de parvenir à un consensus au sein du Conseil de sécurité. Là aussi, la question de la légitimité joue un rôle important. Si la cohésion est telle qu’elle permet de définir un mandat fort et d’aboutir à une légitimité aussi large que possible également dans le cadre international, tant mieux. Je ne vois pas de divergence de vues sur ce point parmi les États membres de l’Union européenne.

Source : ministère fédéral allemand des Affaires étrangères