Le 31 octobre 2006, Guillaume Dasquié et Jean-Charles Brisard signaient dans plusieurs grands titres de la presse européenne des pages d’excuses à la famille Bin Mafhouz pour l’avoir injustement mise en cause dans leur livre La Vérité interdite et dans le rapport Le Financement du terrorisme (cette fois ci signé par le seul J.-C. Brisard). Ces pages permettaient aux auteurs, au terme d’un protocole d’accors entre avocats, d’échapper à de lourdes condamnations pour diffamation. Le Réseau Voltaire a alors fait le choix de donner un écho à ces excuses et de remettre en perspective les travaux des deux auteurs, experts médiatiques du terrorisme dont les affirmations, aujourd’hui officiellement démenties, ont largement contribué à la représentation du « péril islamiste » dans la presse dominante occidentale. Nous démontrions que loin d’être une erreur isolée, la diffamation contre les Bin Mafhouz entrait dans le cadre d’un plan média mettant en scène un prétendu financement saoudien des attentats du 11 septembre 2001.
Mais très vite, la relativisation de ces excuses a commencé. Le 3 novembre 2006, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) s’est insurgée contre leur publication. Le secrétaire général de RSF, Robert Ménard, a déclaré : « C’est une première inquiétante (…) Cela signifie que vous allez pouvoir poursuivre des gens dans un pays ayant une législation qui vous est favorable. Que vous pourrez ensuite acheter de l’espace dans les journaux d’un pays où il n’y a jamais eu de poursuite, ni de condamnation. Il y a 20 ans que je dirige RSF, je n’ai jamais rien vu de pareil ». Bref, faisant fi de la question de fond que représentait la remise en cause de tout un pan des informations sur « le terrorisme international », RSF préfère présenter l’affaire comme une atteinte grave à la liberté de la presse. Par la suite, c’est sous cet angle que les excuses de MM. Dasquié et Brisard ont été commentées dans la presse dominante.
A ce stade de mauvaise foi, il semble nécessaire de rappeler certains éléments de l’affaire. Tout d’abord, notons que contrairement à ce qui a été dit, les principes du droit de la presse sont identiques en France et au Royaume-Uni (hormis sur la question du respect de la vie privée, mais ce n’est pas là le sujet), comme d’ailleurs dans tous les pays signataire de la Convention européenne des Droits de l’homme. Cependant, l’application de ces principes est nettement plus sourcilleuse au Royaume-Uni, où les procès sont à la fois beaucoup plus rares et beaucoup plus longs. Les sanctions britanniques sont également beaucoup plus lourdes. Si MM. Dasquié et Brisard ont été condamnés sévèrement par la justice britannique, ce n’est pas pour une formulation malheureuse ou une information secondaire, mais parce que la thèse de leur ouvrage est diffamatoire. Celle-ci est résumée ainsi sur la jaquette de l’édition française de leur livre : « [Cette enquête] plonge en profondeur dans la galaxie d’Oussama Ben Laden et de ses alliés, faisant émerger la figure de puissants financiers [les Ben Mahfouz], à la fois partenaires de l’Occident et argentiers de la terreur ». Or, les auteurs se sont montrés incapables d’étayer leur accusation et de prouver que les Ben Mahfouz aient financé Al-Qaïda.
Par ailleurs, les deux auteurs n’ont pas été condamnés par un tribunal d’exception dans une dictature, mais par un tribunal ordinaire britannique. Or, si on en croit l’association RSF elle-même, le Royaume-Uni offre plus de garanties aux journalistes que la France (dans le classement des pays respectant le mieux la liberté de la presse, RSF classe le Royaume-Uni en 27ième position tandis que la France n’est que 35ième). En outre, notons que le Royaume-Uni dispose d’accords avec de nombreux États anglo-saxons afin qu’une décision de justice britannique dans une affaire de diffamation soit exécutoire dans ces pays et réciproquement. Enfin, la famille Bin Mafhouz ayant des possessions sur le sol britannique, le livre y étant en vente et ayant suscité de nombreux commentaires dans la presse nationale, il n’était pas insensé de voir cette famille intenter un procès à Londres.
Invité dans l’émission J’ai mes sources, sur la radio d’État France Inter, le 6 novembre 2006, le co-auteur de La Vérité interdite a pu affirmer que sa condamnation n’était due qu’à des particularités du droit britannique et qu’il n’était ni l’auteur ni le payeur des encarts publicitaires, occultant le fait qu’il en était cependant le signataire. A entendre M. Dasquié, il ne fallait pas croire ou prêter attention au contenu du texte d’excuses et n’y voir qu’un caprice d’une famille de milliardaires troubles. Ne doutons pas que cette façon de voir fera fureur chez tous ceux qui ont intégré à leur propre analyse les diffamations de MM. Dasquié et Brisard et qui préféreront cette présentation des évènements à une remise en cause de la doxa de la « guerre au terrorisme ». Après tout, bien que déjà condamné par la justice française pour diffamation après la publication de son pamphlet contre L’Effroyable imposture de Thierry Meyssan, Guillaume Dasquié n’avait pas perdu son statut d’« expert » auprès des médias, qui ne tinrent pas compte de cette première décision de justice.
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