La terrible mort des 6 recrues suisses à la « Jungfrau », qui a provoqué un grand désarroi, soulève un certain nombre de questions. Des questions qui sont dans l’air depuis longtemps et qui demandent des réponses. Quelle politique mènent le conseiller fédéral Samuel Schmid et le DDPS ? Veulent-ils nous habituer peu à peu à de tels événements ? Faut-il interpréter la déclaration de Christophe Keckeis, selon laquelle « l’armée doit pouvoir être engagée partout » de cette manière ?
Depuis plus de 10 ans la Suisse est membre du prétendu Partenariat pour la Paix (PPP) et est devenue ainsi un simple appendice de l’OTAN. Ce qui était totalement exclu pour la Suisse au XXe siècle – à savoir de servir une grande puissance quelconque – fait, depuis 1996 au plus tard, partie du passé. Avec l’adhésion au PPP la Suisse se rapproche toujours plus de l’OTAN et des USA bellicistes et se rapproche ainsi inévitablement de plus en plus des régions en guerre. Un coup d’œil sur le site du nouveau centre de compétence du DDPS pour les engagements à l’étranger, domicilié à Stans sous le nom de Swissint, suffit pour réaliser que l’armée suisse a des soldats stationnés dans 13 pays étrangers et a ainsi, au moins dans ce domaine, abandonné la neutralité. Comme il s’agit de régions en guerre, notamment l’Afghanistan ou le Proche-Orient, le Tchad ou la République démocratique du Congo, il est apparent que le DDPS prend le risque que des soldats y meurent. L’exigence de Christophe Keckeis, chef de l’armée, d’envoyer des soldats suisses au Soudan [1] fait partie précisément de cette catégorie.
La fâcheuse approbation par le Conseil national, lors de la dernière session d’été, de l’augmentation du contingent de soldats suisses à l’étranger de 250 à 500 hommes a suscité l’opposition de personnes qui étaient jusqu’à présent peu critiques face au changement au sein de notre armée. Le fait que, dans le même contexte, Samuel Schmid ait répété qu’il fallait absolument se procurer un avion de transport pour ce contingent pour être apte à des engagements dans le monde entier soutient l’hypothèse que le ministre de la Défense prévoit d’enfoncer la Suisse encore plus dans les régions en guerre au côté du monstre belliciste états-unien.
S’exercer à quoi ?
Le drapeau suisse hissé à côté de celui des Etats-Unis lors d’un rassemblement de troupes à Kaboul prouve au monde entier dans quelle direction l’armée suisse s’est dirigée au cours de ces dernières années. Même si ce ne sont jusqu’à ce jour que deux officiers suisses qui font leur service dans le cadre de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) conduite par les USA, la Suisse fait à présent partie des nations qui participent à la guerre. Car la FIAS et l’OTAN sont depuis longtemps déjà perçues par les populations civiles comme puissance occupante étrangère – par conséquent la Suisse est partie prenante de cette occupation.
La mort tragique de ces jeunes recrues – chacun avec ses plans, ses désirs, remplis d’espérances et de buts pour la vie – des jeunes gens actifs, orientés vers l’avenir, prêts à s’engager, doit être considérée aussi sous l’angle de ces évolutions. La tentative de Samuel Schmid de garder le sujet à petit feu ressemble au comportement qu’il a eu à la suite du crash récent d’un Tornado allemand dans la vallée de Lauterbrunnen. Là aussi, le DDPS a contourné toutes les questions embarrassantes en renvoyant à l’enquête menée par les autorités allemandes. Dans le cas des 6 recrues cela ne sera pas si facile. Beaucoup de questions sont déjà soulevées, et pour empêcher que de tels accidents se reproduisent, elles doivent être minutieusement analysées et les réponses doivent être trouvées.
Outre la question de l’exacte origine du drame et des responsabilités, il y a encore une autre question centrale qui a déjà été posée dès le début : Quelle est la raison pour de tels exercices ?
Des engagements à l’étranger en tête ?
Il y a plusieurs années déjà, Samuel Schmid a dissout les troupes de montagne qui auraient été capables, suite à leur expérience de longue durée et leurs effectifs, de défendre la région stratégiquement importante des Alpes avec l’argument qu’elles n’étaient plus d’actualité et que, vu les menaces actuelles, on pouvait s’en passer. Ce qui en est resté, c’est un bataillon de 400 spécialistes du service alpin de l’armée. Et le divisionnaire Alfred Heer de déclarer à Radio DRS : « C’est une unité spéciale. » Mais quels devoirs doit assumer cette « unité spéciale » ? Défendre la région des Alpes suisses avec 400 hommes, bien qu’avec la réforme Armée XXI la défense des Alpes ait été définitivement classée ? Selon le divisionnaire Heer le but de ces exercices en haute montagne est d’apprendre « comment mener une cordée dans la roche ou, comme ici, dans la glace et la neige, d’avancer dans un terrain difficile. »
Mais pourquoi s’exercer à cela ? On parle de « Défense dynamique » qu’on fait avec avantage sur le territoire de l’adversaire ; au pire des cas, il faudra défendre des objets stratégiquement sensibles, mais certainement pas dans la région des Alpes.
Le commandant de cette unité spéciale, Andreas Bardill, décrit les devoirs de cette unité de la manière suivante : Nos soldats sont spécialement formés pour guider d’autres troupes sur un terrain difficile, pour conseiller leurs commandants, et ils sont aussi responsables des questions de sécurité. » Mais quelles troupes doivent-ils guider et surtout où, puisque les Alpes ne font plus partie des territoires d’intérêt militaire ? Et Andreas Bardill de continuer : « Nos spécialistes doivent avoir un avantage sur les personnes qu’ils devront encadrer et guider, c’est pourquoi ils s’entraînent dans des conditions spécialement difficiles, afin que la troupe soit poussée à donner le maximum et qu’ils puissent s’entraîner à prendre des décisions dans de telles conditions. » [2]
Par conséquent, on forme des spécialistes dont on n’a pas vraiment besoin en Suisse mais qui sont capables de conseiller d’autres troupes. Si l’on se rappelle la stratégie de défense du DDPS, on réalise que tout cela n’a pas de sens. A quoi bon tout cela ? Former des jeunes gens dans une situation hautement dangereuse et sacrifier ainsi la vie de 6 jeunes adultes. Est-ce que ce ne sont pas des exercices pour des engagements qui n’auront pas lieu en Suisse mais lors d’engagements guerriers à l’étranger ? Est-ce qu’on prépare ces jeunes gens pour des opérations à très hauts risques, effectuées lors d’engagements à l’étranger ?
Le DDPS entraîne des troupes étrangères
Dans une interview accordée au SonntagsBlick du 22 juillet par le colonel d’état-major Franz Nager, on apprend pourquoi les recrues ont porté le chapeau : « Outre nos propres soldats, nous formons chaque année dans plus de 50 cours des soldats d’armées étrangères. » Font partie de cette formation des scénarios de menaces sur des terrains difficilement accessibles ».
La Suisse devient de plus en plus un terrain de manœuvres de pays bellicistes : Avant la guerre d’Irak, des soldats britanniques s’entraînaient à faire des atterrissages en hélicoptère dans la neige des Alpes suisses, car celle-ci a une consistance semblable au sable du désert. La division aéroportée américaine Airborne 82 fait des exercices secrets dans la vallée de Lauterbrunnen. L’Armée de l’air allemande vole en rase-mottes le long des vallées suisses et se prépare ainsi à ses prochains engagements militaires. Des soldats de l’infanterie de montagne israélienne s’entraînent en Suisse pour leurs combats sur le plateau du Golan. Selon la Neue Zürcher Zeitung du 13 juillet, il y avait aussi des soldats de la Marine britannique dans la cabane du Mönchsjoch le jour du drame – il ne s’agissait certainement pas d’un voyage de vacances. Est-ce cela, l’engagement pour la paix ? Le DDPS fait de la Suisse un terrain d’exercices pour des guerres menées en violation du droit international.
[1] Horizons et débats n° 24 du 25 juin 2007.
[2] Radio DRS, Rendez-vous am Mittag du 13/7/07.
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