L’euphorie suscitée par l’élection de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne était peut-être justifiée, mais il est temps d’analyser plus sereinement les perspectives des Palestiniens, des Israéliens, et peut-être celles du monde arabe dans son ensemble.
Tout d’abord, notons que cette élection n’a pas été irréprochable : le Hamas et le Jihad islamique ont appelé au boycott et le Fatah a convaincu sans ménagement Marwan Barghouti de ne pas se présenter. En outre, il a obtenu la victoire avec le contrôle des forces de sécurité et les démonstrations d’hommes en armes lors de ses meetings ne correspondaient pas exactement aux normes démocratiques. Toutefois, après des décennies d’autocratie de Yasser Arafat, sans élections, la bonne tenue du scrutin est une surprise.
L’élection présidentielle est l’occasion d’ouvrir de nouvelles négociations avec Israël mais, plus encore, le vote des Palestiniens aura aussi des répercussions dans le monde arabe, car ce qui vient de se passer en Cisjordanie et à Gaza est sans précédent : Abbas peut se vanter d’avoir reçu l’investiture populaire. Or, aucun pays arabe n’a jamais connu cela. La société palestinienne n’est pourtant pas si différente que cela des autres sociétés arabes, mais la pression des États-Unis et de l’Union européenne en faveur d’élections, la croyance des Palestiniens dans l’importance de cette élection dans la lutte contre Israël et l’exemple de démocratie israélienne observée depuis quatre décennies par les Palestiniens ont permis ces élections.
Des images de ces élections ont été diffusées dans tout le monde arabe via Al-Jazeera et elles ont dû en faire réfléchir plus d’un. S’il est possible en Palestine, sous occupation israélienne, de choisir ses dirigeants, pourquoi pas au Caire ou à Damas, à Riyad ou à Alger ? Le monde arabe pourrait bien commencer à se poser des questions difficiles. Une bombe à retardement vient-elle, autrement dit, d’être déposée sous le trône des potentats arabes, rois, émirs et présidents ? Alors qu’en Irak la tentative d’importer la démocratie par la force est un échec, la situation paradoxale d’une démocratie arabe sous occupation israélienne est peut-être une menace que les dirigeants arabes n’ont pas encore bien saisie.

Source
Daily Star (Liban)
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« L’autre révolution palestinienne », par Shlomo Avineri, Le Figaro, 21 janvier 2005.
« Palestinian elections - a time bomb for Arab regimes ? », Daily Star, 24 janvier 2005.