Pour prévenir le boycott d’Israël, la gauche coloniale israélienne dénie toute similarité entre l’apartheid sud-africain et la situation en Palestine au motif que les juifs sont majoritaires en Israël alors que les Blancs étaient minoritaires en Afrique du Sud. C’est évidemment spécieux car ils considèrent les Arabes palestiniens comme apatrides et oublient que les noirs sud-africains furent déchus de leur nationalité et rattachés à des bantoustans. Uri Avnery, leader emblématique du Bloc de la Paix, s’oppose au boycott en construisant une rhétorique pacifique, aussi séduisante que fallacieuse, à laquelle répond Jeffrey Blankfort.
Bonjour Uri,
Je viens de lire ta réaction à certaines critiques soulevées par ton opposition au boycottage d’Israël [1]. Ayant pris conscience il y a bien longtemps des limites de ton militantisme et de ta vision du monde, cela ne m’a nullement étonné. Tu as manifestement investi trop de temps et trop d’énergie, depuis tant d’années, dans la normalisation de la dépossession des Palestiniens de leur patrie par Israël pour reconnaître l’injustice qui fut non seulement inhérente à la création de l’Etat d’Israël, mais qui lui fut même nécessaire. Le passage du temps n’efface en rien cette injustice et peu importe le nombre de fois où toi et d’autres vous invoquerez l’Holocauste nazi. Le dé de la création d’un État juif en chassant les Palestiniens de leurs maisons et de leurs villages avait déjà été jeté bien des années avant qu’Hitler ne parvînt au pouvoir, si bien que la question de l’hitlérisme ne saurait trouver de place dans ce débat.
Les arguments contre la création d’un État juif en Palestine, soulevées par des juifs antisionistes et non sionistes, remontant aux premières années du siècle dernier, étaient bien connus, et tous ont apporté la preuve de leur exactitude. Il n’est donc nullement étonnant que la légitimité d’Israël n’ait été reconnue ni par les Palestiniens ni par les autres peuples du Proche-Orient. De fait, les sionistes en avaient fait la publicité dans le monde entier, avec fierté, le présentant comme une entreprise de colonisation de peuplement, jusqu’à ce qu’une telle terminologie soit passée de mode. Le fait qu’Israël ait été créé en des temps où le reste du monde était engagé dans une période de décolonisation fut une garantie supplémentaire, s’il en était besoin, de son rejet. Sans l’influence de ses partisans aux États-Unis et en Europe, et sans les armes qui s’y déversèrent afin de le soutenir, Israël, à l’instar de l’Algérie française, n’aurait été rien d’autre qu’un bref épisode de l’Histoire (il convient de noter, à cet égard, que c’est le soutien d’Israël au régime colonialiste français contre la Résistance algérienne qui amena la France à être le principal fournisseur d’armes d’Israël, jusqu’en 1967).
Tu sais aussi pertinemment qu’afin de maintenir Israël en tant que Sparte du Moyen-Orient, le « lobby pro-israélien » tient depuis longtemps le Congrès des États-Unis sous sa coupe, étranglant le peu de ce qui restait de la démocratie américaine. Ne te rappelles-tu pas d’avoir décrit la manière dont un président états-unien après l’autre a tenté de résoudre le conflit israélo-palestinien et dont chacun d’entre eux fut contraint, par le lobby, de se retirer battu du champ de bataille ? Et qu’après chacune de leurs défaites, le vol de la terre palestinienne et la croissance des colonies continuaient ? Qui en a payé le prix ?
Comme tu l’as sans doute deviné, je suis contre l’existence de l’État d’Israël ou de tout État juif, quel qu’en fût le nom, fondé sur la notion qu’un juif originaire de n’importe où dans le monde a plus que le droit de vivre dans ce que l’immense majorité du monde connaissait et reconnaissait comme étant la Palestine qu’un Arabe palestinien né dans ce pays ou que les membres de sa famille. Si la situation actuelle n’est ni immorale, ni raciste, alors nous devons trouver à ces adjectifs une nouvelle définition. Mais toi, apparemment, tu ne le penses pas ; tu rejettes les opinions de ceux qui sont de cet avis. (La notion selon laquelle Israël ou n’importe quel pays puisse être la patrie d’une personne qui n’y est pas née et qui ne connaît aucun proche qui y soit né n’est qu’un exemple supplémentaire d’à quel point les sionistes ont déformé le langage afin de tenter de justifier l’injustifiable).
Ton échec à trouver un argument allant à l’encontre de l’idée d’un État unique devient patent, quand tu écris que les Français et les Allemands ne se sont pas mis d’accord pour vivre ensemble. Tu crois vraiment que l’on puisse faire la moindre comparaison entre les deux situations ? Les Français seraient donc en train d’occuper l’Allemagne ? Ou vice-versa ?
Je ne cesserai sans doute jamais d’être stupéfait par tes efforts continuels visant à séparer les colons de ceux des juifs qui vivent à l’intérieur de la Ligne Verte, comme si la majorité des habitants d’Israël proprement dit n’étaient pas responsables de l’élection d’une série de tueurs professionnels en tant que leurs Premiers ministres, année après année, qui ont, tous, augmenté et agrandi les colonies. Il n’y a eu aucun sondage d’opinion des Israéliens (je les ai tous consultés) depuis 1988, au début de la première Intifada, dont la moitié des répondants n’aient pas appelé à l’épuration ethnique des Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Combien de colons y avait-il là en 1988 ?
Dans ta belle démocratie, tout juif ou toute juive valide, à l’exception des hassidim, a joué le rôle d’un occupant en Cisjordanie ou à Gaza tout au long des quarante-deux années écoulées. Ce sont des innocents ? Hier, j’ai regardé, sur Al-Jazeera, des soldats israéliens en train de tirer des grenades lacrymogènes et un liquide vert nauséabond contre des Palestiniens non-violents qui manifestaient contre le mur d’acier qui coupe leur terres à Ni’ilin, après quoi ces soldats ont pris pour cible le reporter d’Al-Jazeera. Attend-on de nous que nous soutenions ces jeunes voyous en uniforme israélien ? Ceux qui les haïssent devraient être condamnés, et non pas les voyous et ceux qui les ont envoyés là-bas ?
Tu utilises le mot « paix » à tout bout de champ, mais jamais tu n’utilises le mot « justice ». C’est ce qui vous distingue, toi et tes collègues sionistes, des Palestiniens et de ceux qui les soutiennent sincèrement. L’occupation dérange ta conscience, ton sentiment d’identité, en ta qualité d’Israélien, mais jusqu’à quelle point affecte-t-elle ta vie ? Mettre un terme à l’occupation, de quelque façon que ce soit, t’apportera la tranquillité de l’esprit et le temps de finir tes mémoires. Eh bien, là, maintenant, essaie, si tu le peux, d’imaginer que tu es dans la peau d’un Palestinien, qui a été soumis à l’arbitraire d’un squatter israélien toute sa vie. Rechercherais-tu simplement la paix, l’absence de ce squatter israélien, ou rechercherais-tu et exigerais-tu que justice soit faite ?
Ta conclusion ne fait que traduire ta confusion. Tu écris que tu veux qu’ « Israël soit un État appartenant à tous ses citoyens, sans distinction d’origine ethnique, de sexe, de religion ou de langue ; avec des droits entièrement égaux pour tous », et pourtant tu supposes qu’il y aura « une majorité hébraïsante », qui permettra à ses « citoyens arabophones… de chérir leurs liens étroits avec leurs frères et leurs sœurs palestiniens… ». S’il n’y a plus de distinction entre un citoyen et un autre, entre un juif et un Arabe, alors comment peux-tu imaginer que la majorité continuera à être hébraïsante ?
Ou bien alors, peut-être envisages-tu la possibilité que la population arabe palestinienne d’Israël, qui est d’ores et déjà largement bilingue arabe-hébreu deviendra la majorité, ce qui ferait qu’Israël, dès lors, ne serait plus un État juif ?
Si tel est le bien cas, peut-être y a-t-il encore un peu d’espoir, en ce qui te concerne.
[1] Le boycott revisité », Réseau Voltaire, 8 septembre 2009.
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