Cher ami,
A l’heure où je rédige ce texte, mon pays, le Liban, traverse une période trouble en raison d’une conjonction de développements locaux et internationaux. Cela nécessite le rassemblement de tous les Libanais et de leurs alliés, France en tête.
En 1982, Israël a envahi notre capitale sous un prétexte fallacieux. Cette occupation a causé des dizaines de milliers de martyrs et de blessés et des ravages matériels, économiques, sociaux et psychologiques d’une grande ampleur, dont les séquelles continuent de se faire sentir. Les Libanais se sont regroupés pour organiser la résistance contre l’occupant et ils l’ont progressivement faite reculer pour qu’il quitte presque totalement notre territoire à l’exception des fermes de Chebaa. Depuis 2000 et malgré l’expression de son inquiétude par l’ONU, notre espace aérien est constamment violé par Israël et les responsables politiques de ce pays continuent de nous menacer. La résistance, de son côté, adopte une posture défensive, respectueuse des frontières internationales, et agit dans le cadre de la stratégie de l’État libanais en parfaite coordination avec l’armée nationale, pour dissuader toute agression israélienne. Sans les armes de la résistance, le Liban serait à la merci d’Israël et c’est pour cela que les diplomates israéliens sillonnent le monde et mobilisent leurs lobbies pour demander que le Hezbollah soit inscrit sur la liste des organisations terroristes.
Dans ce contexte, la résolution 1559 du Conseil de sécurité, fruit d’un grand compromis entre la France et les États-Unis au détriment de notre petit pays, est intervenue au moment même où ce dernier était confronté à une situation politique intérieure complexe. Dans ce texte, les Français ont exigé le départ des troupes syriennes et les États-Unis le désarmement des milices libanaises. La synthèse de ces deux points a permis une amélioration des rapports tendus entre ces deux pays. Cependant, ce compromis a favorisé Israël au détriment du Liban, fidèle et vieil ami de la France. Cette résolution a déstabilisé le pays.
Le 14 février, un crime effroyable a coûté la vie à l’ancien premier ministre Rafic Hariri, un homme ayant consacré sa vie et son énergie au service de son pays et de sa reconstruction. Un homme avec qui nous nous accordions sur tous les enjeux cruciaux : la nécessité de préserver la résistance et d’édifier un État moderne et juste, débarrassé du communautarisme. Nous étions tous les deux partisans d’une pleine application des accords de Taëf, véritable fondement politique consensuel du projet sus-mentionné. Tous les Libanais ont été profondément ébranlés par ce crime effroyable. Toutefois, en lieu de l’unité nationale nécessaire pour faire face aux conséquences de celui-ci, une dangereuse polarisation a vu le jour. Ce crime a été instrumentalisé pour lancer une campagne de dénigrement sans preuves contre les autorités libanaises et la Syrie, afin de déstabiliser le pays. Nous avons manifesté pour demander la vérité sur la mort de Rafik Hariri, demander l’application des accords de Taëf et préserver les armes de la résistance tant que la menace israélienne subsistera.
Le 30 avril, les forces syriennes auront achevé leur retrait du Liban, après 29 ans de présence qui auront permis d’arrêter la guerre civile, la reconstruction de l’armée libanaise et le départ d’Israël. Cette présence a donné lieu à de graves erreurs syriennes et libanaises qui ont affecté notre relation ; elles ont été reconnues par le président syrien. Elles ont affecté des relations que nous souhaitons excellentes car l’alliance avec la Syrie est indispensable d’un point de vue stratégique et économique. Nous devons trouver une porte de sortie à l’impasse actuelle. Nous appelons au dialogue toutes les forces libanaises et la France, pour qui le Hezbollah éprouve une grande amitié, est invitée en tant qu’amie du Liban à encourager le dialogue national et la réconciliation interne. Sa participation à l’élaboration de la résolution 1559 a interloqué de nombreux Libanais qui n’aiment pas voir la France aux prises avec une hégémonie américaine déchaînée et agressive.
Nous devons tous avoir à l’esprit que le Liban, pour des considérations géographiques, politiques et culturelles, concentre en lui l’essentiel des enjeux dans la région et pour faire face le Liban doit être uni. Veuillez croire, cher ami, en l’assurance de mon amitié sincère.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Lettre à un ami français », par Hassan Nasrallah, Le Figaro, 15 avril 2005.