Comment interpréter l’abstention chinoise au Conseil de sécurité lors du vote sur l’intervention en Libye ? Pour Domenico Losurdo, Pékin n’a pas osé entrer en conflit avec l’Arabie saoudite, dont la Chine est fortement dépendante énergétiquement.
Ces jours-ci, comme il était prévisible, j’ai reçu de nombreux commentaires de lecteurs, amis et camarades. Sur la guerre contre la Libye je me réserve de faire d’autres interventions. Je me limite ici à quelques observations relatives à l’attitude adoptée par la Chine.
Aux critiques que je lis dans divers messages semble répondre un article-interview paru il y a quelques jours sur Global-Times (quotidien chinois en langue anglaise). On y rapporte quelques données essentielles pour comprendre la question :
a) « plus de la moitié des importations de pétrole de la Chine proviennent aujourd’hui du Moyen-Orient » ;
b) dans sa tentative de remédier à cette situation, la Chine, depuis quelques temps, a commencé à accumuler des réserves stratégiques de pétrole, mais elle est plutôt en retard dans ce domaine. En cas de blocus des exportations par les pays producteurs de pétrole, la Chine pourrait résister au maximum deux semaines, alors que les USA ont des réserves stratégiques pour 400 jours !
Si on ajoute à cela les milliers de kilomètres à traverser (pour les navires qui transportent le pétrole en Chine) et la présence menaçante de la flotte étasunienne tout le long du parcours, il est évident que la « sécurité économique de la Chine » — en citant toujours Global Times — est encore plutôt fragile.
C’est dans ce contexte politique et économique qu’intervient la crise libyenne. Parmi ceux qui ont soutenu la zone d’exclusion aérienne se trouvent malheureusement la Ligue arabe et en premier lieu l’Arabie saoudite, le pays d’où provient une part assez conséquente du pétrole moyen-oriental importé par la Chine. Il est évident que les dirigeants chinois se sont posés une question : convient-il de rompre avec l’Arabie saoudite (déjà irritée par l’attitude souple prise par Pékin à l’égard de l’Iran) et avec les « rebelles » libyens mêmes (je partage à ce propos l’observation de Maurizio [1] sur le blog de l’auteur. ) en ayant recours à un veto qui d’ailleurs, comme le montre l’expérience historique (Yougoslavie et Irak), n’est pas en mesure de bloquer l’intervention militaire des USA et de l’Occident ?
Nous pouvons discuter de la façon dont les dirigeants chinois ont pensé devoir répondre à cette question, mais celle-ci est incontournable. (Soit dit entre parenthèses, la situation géopolitique du Venezuela et de Cuba est totalement différente, et pas seulement à cause de la présence de vastes gisements de pétrole et de gaz dans le premier pays !). Ce serait un « internationalisme » bien étrange d’être prêt à exposer un pays de plus d’un milliard et 300 millions d’habitants à une crise économique dévastatrice (qui d’ailleurs — j’ouvre ici une autre parenthèse — toucherait lourdement aussi le Venezuela et Cuba !).
Le fait est que certains camarades (que j’estime pourtant) prennent une attitude que je considère contradictoire : quand ils regardent vers le passé, ils n’ont aucune difficulté à comprendre les compromis du mouvement communiste international (Lénine et Brest-Litovsk ; Staline et le pacte de non-agression avec Hitler ; Mao avec Tchang Kaï-chek puis, dans des modalités différentes, avec Nixon) ; mais, quand ils ont le regard tourné sur le présent, ces camarades ont tendance à se scandaliser pour beaucoup moins.
Enfin. L’observation « dialectique » de Joao Carlos Graça me semble pertinente : il est juste d’analyser sans préjugés la politique extérieure de la Chine, en souhaitant que le grand pays asiatique fasse d’avantage sentir son poids sur le plan international ; mais que fait la gauche pour renforcer le prestige, le soft power et donc la capacité d’action des dirigeants chinois sur le plan international ?
[1] Voir message signé : Un saluto da Bruxelles.
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